GoldenEye – Martin Campbell
GoldenEye. 1995Origine : Royaume-Uni / Etats-Unis
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Une organisation terroriste russe nommée Janus prévoit de se réapproprier une arme baptisée GoldenEye, naguère conçue par les soviétiques, et qui depuis l’espace où elle est en orbite est capable de nettoyer à grand fracas n’importe quelle ville de ses moyens de communications. James Bond sera malgré lui impliqué dans l’affaire par une certaine Xenia Onatopp, ancienne pilote de l’Armée Rouge. Il découvrira que cette affaire trouve ses racines dans une ancienne affaire qu’il a lui-même menée péniblement à son terme du temps de l’U.R.S.S.
Six ans après que Permis de tuer ait constitué la seconde et dernière tentative d’imposer Timothy Dalton dans le rôle de l’agent 007, ce fut au tour de Pierce Brosnan de faire ses preuves dans la série dictatorialement produite par la famille Broccoli. Mais durant ces six années d’attente, bien des choses ont changé pour la saga James Bond. D’une part, le cinéma d’action venait d’être révolutionné par l’utilisation des effets spéciaux numériques, reléguant les James Bond classiques au rang d’antiquités de luxe. Et d’autre part, certainement le plus important, un évènement politique d’ampleur mondiale s’était produit, contribuant encore à faire de la saga James Bond un témoignage résolument rétro. Il s’agit de la dissolution sans appel de l’Union Soviétique et par conséquent de toute la guerre froide, déjà affaiblie depuis presque une dizaine d’année par les glasnost et perestroika de Gorbatchev. Les temps changent pour le cinéma, aussi bien du côté technique que du côté des préoccupations, et en leur confiant GoldenEye, ce n’était donc pas vraiment un cadeau que les Broccoli firent à leur nouvel acteur vedette et au réalisateur Martin Campbell, néo-zélandais fraichement débarqué à Hollywood.
Après la fin de la guerre froide, que reste-il de James Bond ? Cette interrogation est au cœur du film, et il faut bien admettre que la solution de facilité eut été de produire un nouveau film ignorant totalement l’un des pivots de toute la saga. Mais ce n’est pas le cas. Le film démarre d’ailleurs en URSS, à la belle époque où Bond accomplissait ses prouesses habituelles, en laissant cependant sur le carreau son confrère 006, de son vrai nom Alec Trevelyan. Une introduction en forme de condensé de tout ce que les films 007 ont pu jusqu’ici apporter dans l’illustration de la guerre froide : un générique pop et sexy doté d’une chanson hit interprétée par une artiste majeure (Tina Turner) complété par l’infiltration dans un silo soviétique, par une bataille rangée avec des soldats rouges, par l’intervention d’un vilain très vilain et enfin par l’acte de bravoure de l’agent 007, toujours aussi peu réaliste (mais tel n’est pas l’orientation choisie).
Puis, nous revenons au présent post-URSS. La Russie n’est plus ce qu’elle était, et c’est désormais le banditisme qui règne. Un banditisme ayant nourri les ambitions personnelles de ceux qui sont devenus les nouveaux riches, dont Xenia Onatopp fait parti. Roulant dans une voiture de luxe, proposant à Bond des duels de conduite sur les routes ou dans les casinos de Monte Carlo, elle est assurément une James Bond Girl suspecte. Mais en dépit de ses allures de riches, elle est aussi une ancienne militaire soviétique, qui avec l’un de ses anciens collègues, le colonel Ourumov, perpétue la tradition soviétique au sein d’un banditisme qui a trouvé dans l’ancienne nomenklatura ses plus violents représentants. La Russie n’en a pas fini avec son passé soviétique, et outre l’utilisation programmée du GoldenEye (dont le signe CCCP figure fièrement sur la carrosserie), les références visuelles sont nombreuses et ne se démentent jamais de tout le film. Uniformes de l’armée rouge, train blindé avec l’Etoile Rouge, prison soviétique putride… Tout est là. Terni, certes, comme le prouvent le cimetière de statues déboulonnées des leaders d’autrefois ou encore le générique présentant littéralement la chute du marteau et de la faucille, mais certaines traditions semblent bel et bien avoir été conservées. Du reste, la continuité entre l’affaire du GoldenEye et celle qui a amené la mort de 006 pendant la guerre froide est plus que toute autre chose la preuve que le passé n’est pas à oublier (a fortiori quand l’on connait le “mini-twist” qui intervient au milieu du film sur l’organisation Janus et son leader) . Néanmoins, certaines choses ont tout de même changées. Certains ennemis sont devenus des alliés, et d’autres ont pris le chemin inverse. C’est ainsi que Bond sera confronté à son passé, et qu’il sera amené à se moderniser, sous le mépris apparent affiché par sa supérieure, M (oui, désormais une femme !) qui ne le considère que comme un “vestige de la guerre froide”.
Avec tout ceci, le choix de Martin Campbell pour ce James Bond crucial semble on ne peut plus logique : plutôt que de tout miser sur les recettes éculées, plutôt que de vouloir tout révolutionner, il choisit la voie de l’évolution. Malheureusement, le James Bond campé par Pierce Brosnan ne suivra pas ces bonnes intentions et se contentera d’appliquer assez bêtement un melting-pot des personnalités des interprètes précédents : l’abandon des “punchlines” aurait été bienvenue, de même que le machisme qui ici sonne très faux, ou encore l’auto-suffisance du personnage que peine à rendre un acteur devant également camper un personnage conscient des changements qui ont eu lieu depuis sa première rencontre avec Ourumov. Brosnan est assez brouillon, se cherche encore un style propre, et cela s’en ressent. On n’en dira pas autant de Famke Janssen, qui trouve ici son premier rôle majeur dans une production hollywoodienne, et qui est tout simplement époustouflante. Son interprétation d’un personnage de femme fatale sado-masochiste n’a pas la pression que peut avoir celle de l’interprète de James Bond et l’actrice se lâche totalement pour livrer l’une de ses meilleures prestations à l’écran. Il fallait bien cela pour rendre crédible cette femme qui jouit en utilisant une mitraillette ou en s’apprêtant à subir un accident de train majeur, et dont la principale arme n’est rien d’autre qu’une paire de jambes destinées à étouffer l’amant d’un soir. Très érotique et très très belle, l’actrice surclasse sans difficulté la potiche inutile campée par Izabella Scorupco, que l’on doit malheureusement se farcir pendant une bonne partie du film, principalement dans le final. Tout comme l’on doit également se farcir quelques touches humoristiques saugrenues (l’atelier de Q, l’informaticien Boris) qui viennent encore entacher les bonnes intentions du réalisateur. Quand au côté “action” du film, il ne souffre pas de défaut majeur et reste très généreux, même si la mise en scène se fait parfois assez maladroite, principalement dans le dénouement.
On ne peut pas dire que GoldenEye soit un très bon film. Ses idées sont impeccables, mais leur transposition à l’écran laisse parfois à désirer. Les codes incontournables ont une forte tendance à parasiter le discours sur la modernisation de James Bond, la psychologie fait défaut, et si le film se révèle effectivement être un film de transition, il ne s’agit pas d’une transition ultime, et par la suite les perpétuels changements de réalisateurs peuvent être regrettés. Martin Campbell obtiendra tout de même une seconde chance bien des années plus tard en mettant en scène Casino Royale, le premier film sortant de la décevante période Pierce Brosnan (soit quatre films entre 1995 et 2002). GoldenEye reste tout de même un film à voir, ne serait-ce que pour y voir Famke Janssen vêtue avec un uniforme en cuir sur lequel figure l’étoile rouge soviétique.