CinémaScience-Fiction

Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud – Jun Fukuda

ebirah

Gojira, Ebira, Mosura Nankai no Daikettō. 1966

Origine : Japon
Genre : Recréaction
Réalisation : Jun Fukuda
Avec : Akira Takarada, Toru Watanabe, Chôtarô Tôgin, Kumi Mizuno…

Parce qu’une médium affirme que son frère a survécu au naufrage de son navire et que personne ne veut lever le petit doigt pour en avoir le cœur net, Ryota prend les choses en main et, accompagné de deux fêtards croisés en chemin, il investit de force un yacht de luxe. Le propriétaire, qui s’avérera plus tard être un vulgaire cambrioleur, accepte qu’il passe malgré tout la nuit à bord. Ce petit malin de Ryota en profite pour larguer les amarres, et au petit matin, le rafiot se trouve en pleine mer. Il est bientôt pris en pleine tempête et dans les pinces d’Ebirah, dont l’antre est juste à la sortie de l’île sur laquelle l’équipage se réveille. Ils découvrent bien vite que l’endroit sert de repère au Bambou Rouge, un groupe terroriste qui fait trimer des esclaves enlevés d’Infant Island, autrement dit des adorateurs de Mothra. Il convient donc d’échapper aux griffes de ces fieffés méchants, par exemple en se réfugiant dans une grotte. Et c’est là que dans un puits sommeille justement Godzilla, qui pourra éventuellement filer un coup de main au papillon géant lorsque celui-ci aura enfin répondu aux appels de ses deux fées prêtresses.

Tout le monde -public compris- étant un peu fatigué après avoir carburé non stop depuis bientôt 5 ans, une sage décision fut prise. Non pas des congés, qui au Japon sont quelque peu boudés (à l’heure où j’écris ces lignes, le gouvernement envisage d’instaurer une loi contraignant les salariés à prendre au moins 5 jours de repos par an), mais un temporaire aménagement du travail. Direction les mers du sud où se trouve une aimable crevette géante répondant au doux nom de Ebirah, qui comme nous le verrons très bientôt s’avère nettement moins coriace que ce vaurien de King Ghidrah. Le patron a également changé : alors qu’il n’avait jusqu’ici manqué qu’un seul des six films officiels de la saga Godzilla, Ishirô Honda est écarté au profit de Jun Fukuda, assistant de Honda sur Rodan et réalisateur de films obscurs, qui impose également son propre compositeur Masaru Sato en remplacement de Akira Ifukube, lié depuis le début à Honda. Et les grands monstres ont amplement le temps de se reposer, ce qui constitue encore un recul depuis le film précédent, où ils se laissaient tranquillement manipuler. Ici, ils sont tranquilles tout court. Godzilla roupille dans sa montagne et ne s’en extrait que pour aller faire trempette avec Ebirah, sous couvert de combats totalement anodins (aucune des deux scènes de bataille aquatique ne sert ni ne dessert les humains) qui pour le premier d’entre eux prend même des allures de beach volley avec un rocher en guise de ballon.

Ebirah n’a pas à se plaindre non plus : vivant dans l’eau, elle se contente de ces rencontres ludiques avec Godzilla ou, plus peinard, de faire mumuse avec les rares bateaux qui passent par là. Quant à Mothra, troisième larron de l’histoire, elle met un temps fou à se réveiller et ne se bouge que pour transporter des survivants sans même livrer une seule bataille. Autant dire que les kaiju de ce supposé kaiju eiga ne servent pas à grand chose si ce n’est à permettre de vendre le film sur leur dos. Godzilla piétinera bien quelques petites maquettes, mais il est bien loin de ce dont il reste capable comme il l’avait encore prouvé l’année précédente. En fait, il n’aurait même pas dû être là : Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud ne devait originellement pas le faire intervenir. King Kong aurait dû être le héros de ce prolongement du King Kong vs. Godzilla de 1962, pour lequel un co-financier américain aurait dû participer. Celui-ci temporairement parti (il reviendra pour King Kong s’est échappé l’année suivante), le gros lézard fut appelé à la rescousse, probablement sans que le scénario ne s’en trouve modifié. Ce qui expliquerait mieux le cadre exotique du film, ainsi que certaines scènes : le combat contre les avions, la soudaine tendresse pour une femme à sa merci, la rencontre fortuite avec un quelconque monstre préhistorique (pour lequel la Toho n’a même pas donné de nom)… Et surtout la sympathie ouverte qu’il finit par inspirer, les gentils adressant pour la première fois un ostensible signe d’amitié envers l’autrefois honni Godzilla. Ce qui était déjà latent, mais qui trouve ici une peu subtile concrétisation.

Et donc, comme dans Invasion Planète X, le cœur du film se trouve être lié aux humains. C’est là encore une fâcheuse tendance qui va de mal en pis, puisque cette fois il n’y a même plus cette volonté de verser dans l’absurde. L’humour n’est pas absent, mais il est essentiellement véhiculé par les personnages, vivant toute leur aventure avec l’insouciance de vacanciers tirés de l’ennui par le hasard. C’est dire si le Bambou Rouge, organisation qui endosse le rôle de méchant en l’absence de monstre prévu à cet effet (Ebirah en est bien loin… je la trouve même sympathique cette humble crevette), est en déficit d’opposition. Du coup, autant le rabaisser au même niveau : ce n’est qu’un groupuscule sorti d’un sous-James Bond. Son plan ? Se doter de la bombe atomique. Pour quoi faire ? On ne le sait pas, mais au moins cela permet d’entretenir une certaine parenté avec les préoccupations atomiques qui ont donné naissance à la saga Godzilla. Toujours est-il qu’on se retrouve face à une clique paramilitaire pratiquant l’esclavage et voulant acquérir l’arme de destruction ultime. Le Bambou Rouge est vraiment malfaisant, mais néanmoins minable du début à la fin, autant à titre collectif qu’à titre individuel puisque ses leaders ne sont ni plus ni moins que des tyranneaux standards, forts en gueule, avares en actes et fringués comme des putschistes militaires bananiers.

Il y a donc harmonie entre la crétinerie des bons et celle des mauvais : les uns n’ont pas à déployer beaucoup d’efforts pour prendre le dessus (un cambrioleur capable d’ouvrir des portes et ça suffit à peu près) et les autres n’ont qu’à rester eux-mêmes pour aller vers la chute qu’ils méritent. Quand à peine arrivés une demie douzaine de branquignols réussissent à pénétrer dans une salle des machines sans être vus par les scientifiques qui s’y trouvent et qu’ils parviennent à ouvrir la porte d’un réacteur nucléaire en crochetant la serrure avant de fuir toujours inaperçus (parce qu’ils se sont rendus compte qu’ils empruntaient le mauvais chemin), cela suffit à se faire une idée. On ne peut décemment pas attendre quoi que ce soit des personnages, et encore moins de l’affaire à laquelle ils sont mêlés. Fukuda joue franc jeu et ne vient jamais contredire cette impression que rien n’a été pensé en amont et que chaque nouvel acte prolonge artificiellement une intrigue qui confond ineptie rasante et extravagance enthousiaste. On en viendrait presque à comprendre la désinvolture des gros monstres, qui rechignent à s’intégrer à cette intrigue simpliste au sein de laquelle ils n’ont au mieux qu’à jouer le rôle de deus ex machina, au pire celui de diversion au milieu d’un récit haché. Voire même de justifier les scènes de chansons / prières en ce qui concerne Mothra, dont les fées prêtresses ont été renouvelées. Si c’est pour faire ça, il vaut en effet mieux profiter de l’île paradisiaque.

Mais à quoi pense donc la Toho en lançant un tel film ? A économiser sur le budget rafistolage des costumes de monstres ? Sur celui des maquettes ? Il y a très probablement de ça, mais en ce cas pourquoi ne pas donner un véritable congé à Godzilla, plutôt que d’inonder le marché avec des films de moins en moins imaginatifs ? Car dans le fond, c’est vraiment à ça que ressemble Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud : à un film tourné à la va-vite que tout le monde a traité par dessus la jambe.

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