CinémaHorreur

Frayeurs – Lucio Fulci

frayeurs

Paura nella città dei morti viventi. 1980

Origine : Italie
Genre : Horreur
Réalisation : Lucio Fulci
Avec : Catriona MacColl, Christopher George, Carlo De Mejo, Antonella Interlenghi…

A New York, une medium tombe en catalepsie suite à des visions mettant en scène un curé suicidé et un mort se relevant de sa tombe. Sauvée d’un enterrement prématuré par un homme ayant entendu ses cris dans la tombe, elle décide de se rendre en compagnie de son sauveur, un journaliste, dans la ville théâtre des drames de sa vision. Il s’agit de Dunwich, une ville maudite sur laquelle le curé, en se suicidant, a ouvert les portes de l’enfer. La population connait alors d’insolites événements macabres, les préludes d’une invasion démoniaque prévue pour la Toussaint, dans quelques jours.

Après L’Enfer des Zombies, film de zombies surfant sur le Dawn of the Dead de George Romero (dont il peut être vu comme la préquelle), Lucio Fulci, inspiré, ré-aborde une nouvelle fois le sujet. Mais cette fois, le cinéaste laisse libre cours à ses propres fantasmes en compagnie de l’excellent scénariste Dardano Sacchetti. Et pour le coup, avec leur histoire de ville maudite, les deux hommes semblent davantage portés par une vision de l’horreur à l’ancienne, onirique, plutôt que par la vision réaliste en vogue à leur époque, celle des Exorciste, Massacre à la Tronçonneuse et Zombie… On ne trouvera donc pas dans Frayeurs de référence à la politique ou à la société. L’histoire du film aurait même tendance à s’effacer devant la prédominance d’un climat général hérité des vieux jours du fantastique et plus particulièrement des écrits de Lovecraft, créateur de la ville de Dunwich dans L’Abomination de Dunwich (1929). Une nouvelle dont Frayeurs n’est pas l’adaptation, puisque Fulci et Sacchetti optent pour une retranscription à leur propre sauce de l’ensemble des écrits du misanthrope de Providence. On y retrouve donc ce mal suprême dont les manifestations se font aussi irréelles que terrifiantes, et qui est censé conduire en fin de course à l’arrivée sur Terre d’une abomination aux funestes implications. La ville de Dunwich n’est que le lieu damné (il s’agirait de la descendante de Salem) préparant l’entrée de cette divinité monstrueuse dans notre monde, via un intermédiaire humain des plus inquiétants (le prêtre). Les héros ne seront que des êtres désespérés essayant d’éviter le pire.

S’il transpose ce sujet dans sa propre époque, Fulci ne tombe cependant pas dans le travers qui aurait été de faire de Dunwich une ville moderne, avec des habitants modernes. Il opte donc pour une petite communauté disposant entre autre d’un bar pouvant être vu comme le descendant des auberges chères aux productions gothiques de la Hammer, de son médecin et de ses habitants gagnés par la peur ou la folie. Les quelques jeunes du film, si ils sont du même calibre que ceux d’un quelconque slasher de l’époque (toujours à se bécoter) ne sont jamais au cœur du film et connaissent des destins funestes bien éloigné du simple meurtre à l’arme blanche. Ce qui nous amène donc droit au principal apport de Fulci vis à vis de Lovecraft : le gore. La ville ne se contente pas d’être hantée. Le mal qu’elle abrite est répugnant et laisse derrière lui des victimes mutilées ou pourrissantes sur lesquelles le réalisateur s’attarde avec son sens du macabre habituel. Ces morts rejoignent alors les forces du mal en apparaissant et disparaissant à volonté. Il serait un peu hâtif de déclarer que Frayeurs est un nouveau film de zombie signé Fulci : ses “méchants” tiennent à la fois du mort-vivant (aspect décomposé, tendance à s’en prendre au cerveau des victimes) que du fantôme. Ils ne donnent pas l’impression d’être matériels, et s’inscrivent comme les émanations d’une force supérieure envahissant la ville. Les armes à feu ne servent à rien, et le film n’est clairement pas orienté sur l’action. Le style de Fulci est tel que le film tout entier dévoué à cette ambiance de malédiction, se renforçant au fur et à mesure que l’heure fatidique de la Toussaint approche.

Le rythme, lent, permet au réalisateur d’installer cette chape de plomb plongeant Dunwich dans l’expectative, dans la torpeur, dans l’attente de sa mort. L’excellente musique de Fabio Frizzi (qui avait déjà composé un très bon score pour L’Enfer des Zombies) vient entretenir cette dimension lourde et funèbre, de même que la photographie de Sergio Salvati, magnifiée par l’utilisation qui en est faite. En réalisateur éminemment porté sur l’esthétique, Fulci parsème son film de plans aussi marquants qu’inventifs, et ce dès la vision de son héroïne médium. Frayeurs développe ainsi toute une imagerie de la mort : le cimetière, les cercueils, la salle d’embaumement, les asticots, la ville désertée de ses habitants. Il s’agit ni plus ni moins qu’une véritable ode à la mort et à tout ce qui s’y rattache… Et la mort promise à Dunwich et à ses habitants n’a rien d’une délivrance. D’où le gore, qui ne se contente pas de jouer son rôle répulsif, mais qui est aussi un élément capable de faire naître la peur, ce qu’il a trop souvent tendance à ne pas être. Fulci est véritablement un maestro du cinéma d’horreur, et la façon dont il gère ses nombreuses et croustillantes scènes sanguinolentes le prouve. Son grand mérite est de ne jamais tomber dans une rationalisation du fantastique, qui est ici utilisé à son sens premier, comme l’intervention du surnaturel dans notre monde naturel. Voilà ce qui distingue Frayeurs des autres chef d’œuvre du gore.

Bien entendu, les esprits chagrins argueront que les personnages principaux ne brillent pas par leur utilité, et encore moins par la pertinence de leur raisonnement. Ils ne sont après tout que les victimes potentielles d’un mal qui les dépasse, et à ce titre, Fulci ne s’attarde sur leur sort que pour permettre aux débordements infernaux d’évoluer. Oui, le réalisateur ne travaille son scénario qu’au minimum, mais grâce à cela, Frayeurs devient un véritable tableau macabre, un film impressionnant de maîtrise, et peut-être tout bonnement le meilleur film gore italien.

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