Dieu pardonne… Moi pas – Giuseppe Colizzi
Dio perdona… Io no !. 1967Origine : Italie / Espagne
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Stupeur dans une petite gare du far west ! Le train que tout le monde attendait avec impatience ne contient que des cadavres, et l’argent qu’il amenait n’est plus là. L’agent des assurances Hutch Bessy (Bud Spencer) est mis le coup par un survivant sur son lit de mort, et il contacte le pistolero Cat Stevens, dit “Doc” (Terence Hill), une vieille connaissance, pour l’aider à récupérer le magot. Selon Hutch, le responsable de ce gros coup diablement bien préparé est Bill Sant’ Antonio (Frank Wolff). Ancien partenaire de Bill, Doc est dubitatif. Le bandit est censé être mort à peine un an auparavant, dans un duel qui justement les opposait. C’était sans compter sur le caractère blagueur de Bill.
Un peu plus, et Bud Spencer ratait Terence Hill. Leur carrière en eut été bouleversée, et le cinéma italien aurait dû se passer d’un binôme qui fut capable de s’imposer sur la durée à l’échelon international. Giuseppe Colizzi, l’homme qui les réunit une première fois (du moins en haut de l’affiche, puisqu’ils tinrent des petits rôles dans Annibal en 1959), songea tout d’abord à associer Peter Martell à Bud Spencer. Ou plutôt l’inverse, puisque Dieu pardonne… Moi pas ! marque le retour sur les écrans de l’ex nageur olympique après quelques prestations anonymes dans les années 50, parfois pour des films ambitieux comme Quo Vadis. A peine plus expérimenté, Peter Martell aurait dû tenir le rôle qui échut finalement à Terence Hill, considéré à l’époque comme un sous-Franco Nero. Une blessure au pied de Martell dans les premiers jours de tournage fut donc à l’origine de la venue de Terence Hill, comme quoi la formation du duo de choc italien, mélange entre les burlesques Franco et Ciccio et les futurs “buddy movies” américains, ne tint à pas grand chose. Mais leur première association n’avait certainement pas pour but d’en faire des vedettes inséparables, comme en témoigne l’inégalité de leurs rôles respectifs. Ici la tête d’affiche est clairement Terence Hill, et Bud Spencer se trouve relégué au même rang qu’un troisième larron, interprété par Frank Wolff. Pour son premier film en temps que réalisateur et scénariste, Giuseppe Colizzi semble s’être inspiré de Le Bon, la Brute, le Truand, donnant vie à un triangle de personnages aux caractères bien trempés et bien opposés.
Cat Stevens, ou plus simplement “Doc” est à peu de choses près le même genre d’énergumène que celui incarné par Clint Eastwood dans le film de Sergio Leone, à savoir un phénomène de la gâchette qui parle peu, mais qui lorsqu’il se décide à parler sait se montrer extrêmement sardonique. Le gros méchant incarné par Frank Wolff évoque pour sa part le personnage de Eli Wallach. C’est un pourri dissimulant ses penchants pour la trahison et le sadisme derrière une nature en apparence chaleureuse voire humoristique. Quant à Hutch / Bud Spencer… et bien il n’évoque pas du tout Lee Van Cleef. En fait, on pourrait dire qu’il est le point faible du triangle. Son temps d’apparition à l’écran est déjà bien moindre que celui de Doc / Terence Hill, et il passe une bonne partie du film en retrait, distancé par son camarade qui lui aura volé son cheval. Travaillant pour une compagnie d’assurance à laquelle il est fidèle, ce qui lui vaut d’aller régulièrement au conflit avec Doc, il ne fait pas part d’une personnalité très marquée. Spencer ne bénéficie que de sa présence physique, lui qui à l’époque n’était pas tant obèse que baraqué, probable vestige de la musculature acquise lors de ses années de nageur professionnel. Tout de même, en incarnant un rôle qui le conduit à être régulièrement trompé par Terence Hill, notre sympathique Bud pave la voie à ce qui sera son quotidien pendant 15 ans, à savoir l’image d’un pachyderme râleur systématiquement manipulé par un Terence Hill qui se sera alors converti à la comédie. Un peu comme si, à l’aune de l’expérience qui nous intéresse ici, il avait décidé qu’il était plus amusant de taquiner le gros Bud que de jouer les pistoleros solitaires. D’ailleurs les amateurs chevronnés des Deux super flics, de Salut l’ami, adieu le trésor et des Trinita pourront être désarçonnés en découvrant Dieu pardonne… Moi pas !. A force de s’être habitués aux gags des deux acteurs, il y a de fortes chances pour qu’ils aient le réflexe d’attendre la même chose ici, encouragés en cela par la relation entre Cat Stevens et Hutch Bessy, semblable dans son point de départ à celle qui caractérise leur relation habituelle. L’attente est vaine. C’est bien l’individualisme qui prime, et il n’est jamais question d’amitié.
Colizzi a gardé en tête la nécessité de faire reposer le point de vue du spectateur sur un seul personnage. Il ne se prive pas pour icônifier Terence Hill : on ne compte plus les gros plans sur le regard, les plans de dos au niveau de la ceinture ou de l’épaule (surtout lors des duels), ni même les zones d’ombre qui dissimulent le visage de Doc. On s’esbaudira également devant ses talents de combattant, que ce soit l’arme au poing, au corps à corps ou bien à l’arme blanche. Enfin, son look général, tout en barbe de trois jours et en transpiration, contribue à faire de lui l’archétype du pistolero des westerns spaghetti. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls poncifs du western sur lesquels insiste Colizzi. Le jeu de poker dans des atmosphères enfumées, les chevauchés sur fond de soleil couchant ou encore dans une rivière sont des éléments qui apparaissent plusieurs fois. Tout cela aurait pu faire de Dieu pardonne… Moi pas ! une oeuvre quelconque, un western dont le titre est plus mémorable que le film lui-même. Ça aurait pu. Cependant le scénario sait justifier toute cette débauche d’effets de style en faisant la part belle aux surprises et au suspense. Nous ne sommes pas dans une banale course au trésor : en louchant sur Sergio Leone, ses personnages et son humour, Colizzi n’a pas oublié de s’inspirer aussi de son scénario. Et il le fait plutôt bien : la rivalité entre Doc et Hutch, la fausse mort de Bill Sant’Antonio, la fausse vengeance des hommes de ce dernier, les trahisons et les réguliers changements dans les rapports de force rappellent la fresque qu’est Le Bon, la Brute, le Truand. En plus condensé, il va sans dire, d’où une certaine perte de crédibilité, mais on ne peut pas reprocher à Colizzi d’avoir trompé son monde.
Mieux : tous les effets mentionnés, ironie léonienne, images archétypales du western, personnages à forts contrastes, tout ceci est considéré sous un angle relativement original, redonnant de la substance à ce qui est très souvent utilisé dans un unique but illustratif. Ainsi, l’ironie ne fait que souligner davantage la grande violence dont savent faire part les personnages dépourvus de morale. Dès son entame, le film a d’ailleurs annoncé la couleur avec ce train rempli de cadavres. La suite n’est pas en reste, avec quelques scènes de tortures ou encore ce flash-back qui intervient très tôt et qui nous montre le duel ayant opposé Doc et Bill dans une maison en feu. Le caractère taciturne du personnage de Hill contribue à faire de lui un homme mystérieux, dont l’ennemi, censé être mort, est désormais une sorte de fantôme (“le fantôme” est d’ailleurs le surnom qu’on lui attribue). Bill Sant’Antonio est pendant longtemps introuvable et on ne le voit que dans les flash-backs : seuls ses hommes de main parcourent le désert et croisent la route de Doc, officiellement pour effectuer la vengeance promise par Bill au moment du duel. Plus que l’argent (charge qui incombe surtout à Hutch), c’est bien la rencontre avec Bill qui donne un sens à la traque de Doc. Toute proportion gardée, cela rappelle un peu le capitaine Willard allant à la recherche du Colonel Kurtz dans Apocalypse Now. Le parcours est semé d’embuches et de violences. En fin de compte, on pourra regretter que Colizzi n’ait pas davantage développé le côté mystique associé à certains poncifs du western. Dieu pardonne… Moi pas aurait gagné à se rapprocher davantage du fantastique, un peu à l’image de ce que feront plus tard Giulio Questi dans Tire encore si tu peux ou Clint Eastwood dans L’Homme des hautes plaines. Quoi qu’il en soit, nous avons ici affaire à un ancêtre des westerns crépusculaires, qui se montre encore un peu trop complaisant à l’égard du cinéma de Sergio Leone pour pouvoir être considéré comme une oeuvre de référence. Pour le coup, s’inspirer de Sergio Corbucci et de son Django aurait pu être plus utile.