Devil in the Dark – Tim Brown
Devil in the Dark. 2017Origine : Canada
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Quinze ans après, Adam et Clint, deux frères que tout oppose, renouent le contact pour une petite virée dans les montagnes boisées de leur patelin natal. Depuis tous petits, ces deux-là ne se sont jamais guère entendus, Clint étant le chouchou de leur rude gaillard de papa et Adam passant pour la chochotte. Le plan chasse en pleine nature est donc l’occasion de s’expliquer, et cela s’annonce tendu… Et encore, c’est sans compter sur la terrifiante présence qui semble régner au sommet de la montagne.
C’est en vain que l’on cherchera des informations détaillées sur Tim Brown, réalisateur du présent film. Sa filmographie est relativement conséquente dans le domaine de la production, mais elle ne présente guère de point d’orgue, ni commerciaux ni critique, ne se concentre dans aucun genre particulier et Brown ne fait généralement partie que d’une armada de producteurs indépendants rassemblés pour mener à bien telle ou telle entreprise. Niveau réalisation, après avoir officié une première fois en 2007 pour l’horrifique The Cradle, qu’il a aussi écrit, il n’a plus rien fait jusqu’à ce Devil in the Dark originaire du Canada d’où Brown semble issu, suivi la même année par la comédie canine Treasure Hounds. Autant dire que l’homme est obscur, tout comme le sont les autres personnes œuvrant sur Devil in the Dark : le scénariste en est à son premier essai, les acteurs ne sont pas des gros calibres, et ne parlons pas des membres de l’équipe technique. Bref voici une petite production qui n’impose pas d’a priori. Encore que cette histoire de monstre dans les bois n’est pas sans évoquer une constellation de films reposant sur le même argument. Le défi pour Brown est donc d’éviter de pondre un film mille fois vu, et le bougre en a conscience…
Une fois passée une introduction effectivement basée sur l’épouvante (l’un des deux personnages principaux, alors enfant, qui est perdu dans les bois), Devil in the Dark se présente comme un film d’auteur décortiquant le pourquoi du comment de la profonde inimitié qui oppose Clint et Adam. Le premier, qui a repris la maison du père défunt, son boulot, son flingue et somme toute son caractère, est un homme du grand air, costaud et endurant, sans pour autant être un rustre. En témoigne sa difficulté à licencier ses employés ou la grande sagesse dont il fait preuve envers sa famille, y compris son frère lorsque celui-ci commence à lui taper sur le système (ce qui arrive très tôt, avant même qu’ils ne soient partis camper). De son côté, Adam, est un citadin quelque peu dépressif, adepte de l’utile, râleur, et ne voyant dans la chasse qu’une manie barbare. A moins qu’il ne soit comme ça que pour gêner son frère, car en réalité il sait bien se débrouiller et n’est pas si indolent qu’il le laisse paraître. Leurs conversations au coin du feu aident à faire resurgir les incompréhensions, voire les incompatibilités. Bref, il n’y a pas vraiment de bon gars et de mauvais gars : il y a juste un gros problème d’egos entre Clint qui trouve qu’Adam n’a jamais fait d’effort pour se rapprocher et Adam qui reproche à Clint (et à travers lui à son père) d’avoir méprisé ses inclinations. Présenté ainsi, cela peut paraître rébarbatif, et risque fort de l’être pour le spectateur qui voudrait urgemment sa dose de fantastique. En étant un peu plus ouverts, il faut convenir que Tim Brown et ses deux acteurs se débrouillent pas mal pour rendre les choses intéressantes. Une certaine noirceur donnant l’impression que rien ne pourra jamais rapprocher les deux frères. Leurs relations sont aussi rêches que la forêt qu’ils parcourent. Et au-dessus de cela plane malgré tout l’ombre de l’introduction, lorsque le jeune Adam s’était égaré de nuit dans la forêt, et qu’il s’est mis à regarder fixement les ténèbres devant lui. Ce qui amène donc au monstre, qui se fait attendre mais qui arriverait à point nommé pour parachever le cul-de-sac de ces liens fraternels.
Quoique promis par l’affiche, quoique évoqué par une légende (le dernier type a avoir été dans ce coin n’est jamais revenu), quoique annoncé par des cris bizarres, quoique sous-entendu par les cauchemars dont est victime Adam, le “Devil in the Dark” a effectivement tardé à venir, et son arrivée dans l’intrigue ne coïncide d’ailleurs pas forcément avec son arrivée physique, qui n’a jamais vraiment lieu (et heureusement d’ailleurs, car les quelques aperçus furtifs dont nous en avons -fort éloignés de la silhouette de l’affiche-, ne sont pas extrêmement convaincants). Brown préfère procéder par le hors-champ, voire uniquement par l’instauration d’une ambiance. D’où le constat qu’il n’y a pas une si grande rupture que ça entre la partie “auteur” et la partie horrifique. Du moins pas une grande rupture de ton, car la prise de conscience des personnages du pétrin dans lequel ils se sont fourrés est quant à elle brutale : parvenus au sommet d’un massif rocheux, loin de toute civilisation, Clint et Adam découvrent l’entrée d’une grotte hérissée de bois de cerfs et environnée d’arbres morts. C’est à partir de ce moment que le film semble basculer, et de fait, il verse bien dans l’épouvante. Mais pas une épouvante gore, ni même une traque façon “chasse à l’homme”.
Nous ne savons jamais vraiment ce que recherche le “Devil” -il ne tue pas, il kidnappe-, ce qu’il est ou ce qu’il représente. Il n’est pas à proprement parler un “wendigo”, ce mauvais esprit sévissant dans les forêts selon les légendes amérindiennes, il n’est pas non plus un animal mutant ou un humain dégénéré, et si l’on en juge à sa capacité à envoûter ses proies dont les yeux deviennent intégralement noirs, il est bel et bien une créature surnaturelle. C’est cette absence de toute indication, la façon avec laquelle il se dissimule dans les ténèbres ainsi que la soudaineté avec laquelle les personnages (déjà ébranlés par leurs propres conflits) y sont confrontés, de même que le climat de mystère et de désolation qui se dégage de son antre, qui le rendent si inquiétant et qui poussent à voir en lui un symbole dont l’explication est liée à la première partie du film, et donc aux traumas des personnages. Le Devil semble particulièrement en vouloir à Adam… L’explication la plus facile serait qu’il cherche à prendre sa vengeance sur la fois où il s’est échappé, bien des années plus tôt. Mais cela paraît peu probable tant la construction du film ne cadre pas avec cette simplicité. Une autre interprétation serait qu’Adam est, contre toute attente, celui qui a ouvert le feu dans la forêt au cours de la partie de chasse, et que cela fait de lui une cible. Guère plus convaincant, sachant que du coup toute l’histoire des frangins et de leur père ne servirait à rien. On pourrait également voir dans la créature le symbole d’une vie à laquelle Adam a toujours voulu échapper, et qui finit par l’attirer. Rien ne permet de l’affirmer, ceci dit. Ni même de dire qu’il existe une explication, en fin de compte… Et pourtant, il est difficile de faire autrement que d’en chercher une, et de se rendre compte que l’on s’est laissé séduire par Devil in the Dark. Avec un scénario sommaire et une approche cinématographique basique, bref avec un style assez aride, Tim Brown balaie toute certitude et prive le spectateur de repères. C’est ce qui rend son film intrigant et efficace, un peu à la manière du premier Jeepers Creepers, tout le côté spectaculaire en moins.