Démoniaque – Robert Malenfant
The Landlady. 1998Origine : États-Unis
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Melanie aimerait vivre une petite vie bien rangée avec un mari aimant et des enfants modèles. Las ! Son homme ne la touche pas, lui parle comme à un chien et, dernière frasque en date, s’envoie en l’air avec la banquière. Tant et si bien que Melanie décide d’utiliser une allergie mortelle dont il souffre pour l’empoisonner à coup de viande de crabe. Puis elle profite de l’immeuble récemment légué par une vieille tante pour prendre un nouveau départ au milieu de ses locataires. Parmi ceux-ci, un certain Patrick Forman ne la laisse pas insensible. Melanie trouve qu’il serait parfait en père de ses enfants ! Et elle est prête à employer la manière forte pour le convaincre, pour éjecter les rivales ou quiconque pourrait nuire à son projet de vie.
Le parrain n’est plus et Rocky a raccroché les gants (enfin du moins, c’est ce que l’on croyait alors). Et voilà donc la carrière de Talia Shire vidée des deux sagas qui la ramenaient régulièrement sur le devant de la scène. Désormais cantonnée aux petites productions anonymes pour grand ou petit écran, elle n’en continue pas moins à tourner à un rythme assez soutenu, sans se décourager. Et même dans le cas de ce Démoniaque elle s’investit dans la production aux côtés de Pierre David, le producteur québécois qui accompagna David Cronenberg sur la voie du succès en se portant garant de Chromosome III, Scanners et Videodrome. Pourtant, Démoniaque ne présente a priori pas grand chose pour justifier un tel soutien de la part de l’actrice, si ce n’est qu’elle y occupe la tête d’affiche sous l’œil complaisant d’un réalisateur pioché dans l’univers télévisuel. La raison de cet intérêt est peut-être à chercher dans le fait que le rôle qu’elle tient l’a tout simplement motivée, puisque sa Melanie lui offre l’opportunité de s’amuser dans les frusques d’une ménagère très pieuse, pétrie de principes moraux et de rêves sur la famille parfaite, tout en étant engluée dans un fantasme érotique et surtout dans une frénésie meurtrière qui ne colle guère avec l’image qu’elle se donne à elle-même. Bref, le vieux coup de la dichotomie que l’on croise assez souvent dans des films qui à différents degrés versent dans l’humour. C’est le cas par exemple avec Arsenic et vieilles dentelles, bien que celui-ci mettait en avant de vieilles dames et non une ménagère conformiste. Mais dans le fond, le principe est d’ironiser sur des tueurs qui de prime abord n’ont franchement pas le look de l’emploi. Mais Démoniaque (qui est en fait un thriller sans aucun élément surnaturel) lorgne aussi beaucoup du côté de Liaison fatale pour ce qui est de la femme obsédée par un homme, voire de Misery en ce qui concerne les moyens de soumettre l’élu du cœur à la volonté de sa groupie. Tout cet assemblage de situations déjà vues débouche sur un film pas franchement original.
Ceci étant dit, rien n’empêche Talia Shire et le réalisateur Robert Malenfant de contrebalancer en agençant tout cela correctement par la qualité de mise en scène ou d’écriture. La façon dont l’humour est utilisé peut notamment leur être d’un grand secours. De toute évidence, l’actrice se délecte à incarner cette femme dont la santé mentale part à vau-l’eau. Outre qu’elle se parle à elle-même à longueur de temps sur un ton doucereux et parfois pour se dire les plus affligeantes platitudes (qu’elle assène aussi aux cendres de feu son mari), Melanie est de plus en plus secouée au fil des obstacles rencontrés dans cet immeuble aux locataires venant très souvent s’interposer entre elle et sa proie. Ce que chacun fera le moment venu, avec pour conséquence de pousser Melanie au meurtre de manière très souvent improvisée. S’il est vrai qu’elle est globalement malchanceuse, notamment au niveau du timing des évacuations de cadavres ou des visiteurs inopinés, elle avait ceci dit tendu le bâton pour se faire battre en s’arrangeant pour que Patrick soit logé dans l’appartement jouxtant le sien histoire de s’y aventurer elle-même sitôt qu’il a le dos tourné, pour y caser un miroir sans tain lui permettant de le reluquer et pour y placer discrètement une caméra sous couvert de détecteur anti-fumée. Il était couru d’avance que ces stratagèmes ne tiendraient pas la distance ! D’autant que la faune de l’immeuble n’est pas du genre discrète : entre l’ex gérante portée sur les ragots, l’homme à tout faire qui va d’appartement en appartement, la fille de joie qui ramène ses clients, la copine légitime de Patrick ou même ce gros bonhomme qui aimerait bien passer la bague au doigts de Melanie, garder un secret est un exercice impossible. Toutefois, sa folie la persuadant qu’elle est dans son bon droit et que les autres n’ont d’autre objectif que lui nuire (ce que certains font effectivement d’ailleurs sous forme de chantage), Melanie n’hésite plus à faire le nettoyage dans ses locataires avec ce qu’elle a sous la main. Le mobilier, les babioles en tous genres ou plus conventionnellement les armes (blanches ou à feu) sont ainsi mis à contribution pour éloigner définitivement les indésirables et ceux qui viendraient à s’inquiéter de leur disparition. Démoniaque se veut une sorte de vaudeville noir qui, à partir d’un postulat de départ, se développe sur la forme de réactions en chaîne. A ce titre, ses intentions sont bonnes et avec la personnalité saugrenue d’une Melanie de plus en plus acculée et celles, volontairement grossières, de ses voisins, il est légitime d’y voir autre chose qu’un simple thriller alignant les mises à mort avant l’inévitable dénouement dans lequel la vilaine sera châtiée.
Dans les faits, il en va autrement et il est difficile de se laisser prendre au jeu dans lequel Talia Shire aurait souhaité nous amener. La raison en est tout bêtement que pour concrétiser ses promesses, le film se devait de maintenir un rythme frénétique (comme un vaudeville) qui serait venu dérouler le scénario avec fluidité et en faire ressortir les éléments d’humour noir. Au lieu de quoi nous avons un machin tout mou, lent à démarrer et qui s’encroûte dans des temps morts. Une vrai mise en scène de téléfilm standard, servie en outre par une musique générique qui pourrait être insérée aussi bien dans n’importe quelle scène de suspense d’un film lambda. Outre que le spectacle se fait par voie de conséquence particulièrement ennuyeux (si ce n’est peut-être pour la dernière demi-heure, où enfin tout s’accélère), les personnages ne portent plus que leur ridicule en étendard au lieu de le mettre au service d’une intrigue qui aurait dû s’en servir pour verser dans l’absurde. La réaction en chaîne provoquées par les erreurs de Melanie ou les indiscrétions de ses locataires existe bien, mais ses maillons ne sont guère solides. Ainsi s’écoule-t-il une heure à l’écran (et plusieurs jours en vrai) pour que quelqu’un s’intéresse à la disparition soudaine de la première victime, justifiée par Melanie à base d’envie de déménagement soudain. Certes, dans la réalité on ne ne s’inquiétera pas d’une disparition au bout de quelques heures, mais enfin Robert Malenfant n’était pas si à cheval sur la crédibilité lorsqu’il introduisait son film par un empoisonnement express à base de viande de crabe. Et c’est bien là tout le problème : bien que son film soit truffé d’excentricités (que l’on qualifiera plutôt de “débilités” si son intention n’avait jamais été l’humour), il n’ose jamais véritablement franchir le pas en versant dans le grotesque revendiqué, ou bien il n’a pas le sens de la mise en scène pour. Résultat des courses, son Démoniaque navigue entre le chiant (souvent), le consternant (parfois) et l’amusant (trop rarement). Et Talia Shire de s’être mise dans la peau d’une cruche pour rien.