Cul et chemise – Italo Zingarelli
Io sto con gli ippopotami. 1979
Origine : Italie
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Tom (Bud Spencer) vit peinard à promener les touristes pour des safaris. Mais une de ses expéditions tourne mal, et il finit dans le lac des hippopotames. La cause de cet affront a un nom : Slim (Terence Hill), son cousin, de retour au bercail. Et puisque Slim apporte avec lui de l’argent bien précieux pour entretenir son bus touristique, Tom est bien obligé de le supporter en temps qu’associé. Et puis ce cousin arrive au bon moment, puisque l’infâme trafiquant d’ivoire Ormond (Joe Bugner) projette d’exproprier les villageois pour bâtir un vaste parc dédié à la traite des animaux sauvages. Motivés par leur amitié pour un médecin dénonçant ces pratiques, Tom et Slim vont devoir passer à l’action, non sans déplaisir.
Immuable, le duo Terence Hill / Bud Spencer continue son petit bonhomme de chemin au rythme d’à peu près un film par an, sans pour autant changer la recette de leur succès. Ainsi, même lorsqu’ils ne sont pas dirigés par l’un de leur deux réalisateurs fétiches, Giuseppe Colizzi et Enzo Barboni, ils demeurent fidèles à eux-mêmes. De toute façon, pour Cul et chemise, Italo Zingarelli est un nouveau venu sans vraiment en être un… Producteur des deux Trinita et de Maintenant on l’appelle Plata, sa relative inexpérience de scénariste et de réalisateur ne saurait constituer un obstacle. Le travail a déjà été mâché et remâché (Hill et Spencer en sont déjà à leur dixième association) et Zingarelli le connaît bien. On se demande même pourquoi Slim et Tom ne s’appellent pas Trinita et Bambino, tant les personnages de Hill et Spencer sont les mêmes quels que soient les lieux et les époques qu’ils peuvent traverser. Il est toujours question de deux frères, ou deux cousins, ou deux demis frères, unis face à un pourri caricatural désireux de détruire le mode de vie d’une communauté pourtant bien agréable. Ici comme ailleurs, Spencer incarne avec le physique de l’emploi un personnage bougon, inculte, faussement vénal et autoritaire, tandis que Hill, disposant lui aussi du physique adéquat, joue au pistolero futé, faisant mine de se soumettre à son camarade pour mieux le manipuler en l’embrigadant dans ses propres projets, généralement altruistes. Deux figures opposées jusque dans leur façon de se battre, tout en brutalité pour l’un, tout en facéties pour l’autre, mais qui pourtant forment une amitié inaltérable.
Les aventures de Bud et Terence appartiennent à la catégorie des “films estivaux”, avec soleil, décors naturels luxuriant, musique appropriée et légèreté générale. Et puis bien sûr, il n’y a aucune crainte à avoir quant au triomphe final du tandem. Le grand méchant pourrait aussi bien être défait en un quart d’heure, tant Bud et Terence sont intouchables. Ils ne font que faire mumuse avant la victoire, se riant ici des autorités corrompues (police, tribunal) et provoquant la peur des hommes du grand méchant Osmond, réduits à peu près au même rôle que les pirates dans la BD Astérix (autre univers reposant sur le duo d’un petit rusé et d’un grand primaire, d’ailleurs), allant jusqu’à se jeter eux-mêmes à l’eau pour ne pas avoir à faire face aux deux redresseurs de torts. Et que Osmond soit un boxeur professionnel reconnu, y compris jusque dans son interprète, joué par un ancien vaillant adversaire de Mohammed Ali, ne change pas grand chose à la destinée prévisible du combat final, si ce n’est qu’il dure un peu plus longtemps et qu’il met l’accent sur la capacité de Bud à encaisser les coups. Fondamentalement, rien ne change, donc, et il n’y a pas de raison pour que l’amateur de Bud et Terence n’apprécie pas ce film… ou que leurs contempteurs l’apprécient. De l’humour un peu cartoonesque centré sur des personnages archétypaux et de la bagarre qui ne fait pas mal, voilà en gros comment on pourrait résumer la carrière filmique des deux compères. Quoi qu’ici, le montage ne soit pas aussi dense que dans certains autres films, chose qui permet d’affirmer que nous ne sommes pas au dessus du panier, mais au milieu.
Place maintenant à ce qui fait la singularité de Cul et chemise. Des broutilles, certes, mais ce sont là les seuls éléments qui justifient que cette critique ne soit pas un copié-collé de, disons, Maintenant on l’appelle Plata. Parce que dans ce film, Bud et Terence partaient à l’étranger, en Amérique du sud. Cette fois, c’est la tout aussi exotique Afrique du sud que Zingarelli, conscient de réaliser un film pour les vacances, magnifie via des plans larges accentuant la liberté dans laquelle évoluent Slim et Tom, rappelant au passage que Bud et Terence ont démarré dans le western là où ce genre de procédé est commun. On lui est tout de même gré d’éviter l’imagerie de carte postale et d’Épinal, défaut dans lequel certains de ses confrères plongeront tête la première. Il y a peut-être une raison à cela : l’Afrique du sud en 1979 subissait encore l’apartheid, et il aurait été malvenu d’avoir recours aux clichés sur les gentils sauvages. Pour autant, les sud-africains noirs ne sont pas très actifs, le docteur à l’origine de la lutte contre Ormond demeurant un simple symbole de cette lutte évocatrice de l’impérialisme oppresseur, dépossédant les peuples de leurs biens. Tout ceci se perçoit à un niveau assez infime, par quelques répliques discrètes, non pas parce que le réalisateur cherchait à ne pas trop énerver le pays qui accueillait son tournage, mais tout simplement parce qu’il ne veut pas outrageusement politiser un film de vacances comme celui-ci. Ainsi, le fait que ce soit encore deux blancs qui prennent en charge le combat des noirs, comme si ceux-ci n’étaient pas assez malins pour le faire, ne scandalise pas trop.
Zingarelli ne s’attarde pas du tout sur la souffrance, ni sur celles des habitants auxquels on vole la terre, ni sur celles des animaux victimes du trafic de Ormond, et il se satisfait grandement d’envoyer ses deux héros faire les pitres au milieu d’une situation il est vrai très primaire, tant l’aspect caricatural de la méchanceté d’Ormond n’échappe à personne. Il n’a même pratiquement pas recours à l’illustration du racisme, chose qui aurait poussé le film dans une direction bien trop engagée (il désamorce le propos en disant que le nouveau clivage n’est plus entre blancs et noirs, mais entre riches et pauvres… sauf que les deux sont très largement liés). En vidant ainsi le film d’une substance politique qui par son scénario lui pendait au nez, et de laquelle il reste tout de même quelques bribes éparses ma foi assez bienvenues, le réalisateur aboutit à une teneur peut-être encore plus familiale qu’à l’accoutumée pour un film de Bud et Terence. La défense de la culture africaine, de l’égalité, celle des animaux, mais aussi la satire contre les riches touristes venus faire du safari ou gagner de l’argent au casino, tout cela, puisque caricatural et sans développement, représente des causes facilement partagées par le public. Cela donne l’occasion à Bud Spencer de chanter avec des gamins et à Terence Hill de lâcher les lions sur les hommes d’Ormond. Cul et chemise, ou comment sensibiliser des enfants de moins de douze ans aux sujets de société internationaux. Maintenant, en guise de cadeau pour tous ceux qui ont lu cette critique jusqu’au bout, voici le texte de la chanson bob-dylanesque chantée par Bud Spencer : “Attention Monsieur Lion, ne me mords pas ! Crie si tu veux être libre, je t’entendrai et je te répondrai Grau Grau Grau ! Il y en a qui sont méchants avec les lions, d’autres sont méchants avec les hippopotames. Il vaudrait mieux y réfléchir à deux fois, essayons d’être gentils, Grau Grau Grau !“… L’École des fans de Bud et Terence lui met un 10 / 10.