Commando pour un homme seul – Étienne Périer
When Eight Bells Toll. 1971.Origine: Grande-Bretagne
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Rien ne va plus aux larges des côtes écossaises. De nombreux navires battant pavillon britannique et qui transportent des lingots d’or disparaissent de manière inexplicable. Prenant l’affaire très au sérieux, les Services Secrets de sa Majesté envoient l’un de leurs meilleurs hommes, l’agent de l’Amirauté Philip Calvert (Anthony Hopkins). Pour le seconder, il peut compter sur son ami Roy Hunslett et l’apport de deux agents présentés comme étant d’excellents éléments. Sauf que les deux agents trouvent la mort à bord du navire où ils s’étaient infiltrés tandis que Hunslett est vite porté disparu. De con côté, Calvert réchappe à la mort à de nombreuses reprises. Preuve qu’il n’est pas loin de la vérité. Pas homme à se décourager pour si peu, Calvert insiste, trouvant en son supérieur un allié de terrain inattendu.
Au cinéma, le personnage de l’espion a fait du chemin. D’abord figure inquiétante dépeinte essentiellement sous son jour de traître manipulateur, l’espion se meut peu à peu en figure chevaleresque à la faveur de la Guerre Froide. Il devient alors un personnage fréquentable, voire mieux, héroïque et plébiscité. Sean Connery en James Bond est depuis passé par là, balayant d’un revers de main tous les a-priori négatifs. Désormais bien ancré dans la culture populaire, James Bond fait des émules partout dans le monde. Et certains producteurs se verraient bien profiter des difficultés rencontrées par Albert R. Broccoli et Harry Saltzman, lesquels peinent à convaincre Sean Connery de reprendre du service après l’intermède George Lazenby, afin d’imposer leur propre saga d’espionnage. Commando pour un homme seul part de cette envie. A l’instar des James Bond, le film d’Étienne Périer tire sa source d’un roman qui évoque un agent de sa gracieuse Majesté. Écrit par l’écrivain écossais Alistair MacLean, 48 heures de grâce – aussi connu sous le titre Trois morts dans un bateau – joue moins la carte de l’exotisme et du glamour au profit d’une action soutenue. Philip Calvert n’entretient donc guère de ressemblance avec James Bond si ce n’est par l’excellence de leurs états de service et une tendance à n’en faire qu’à leur tête. Pour incarner ce nouvel espion, les producteurs Elliott Kastner et Jerry Gershwin se tournent vers Anthony Hopkins, acteur encore méconnu dont la carrière se conjugue essentiellement à la télévision. Nous sommes loin des fastes de Quand les aigles attaquent, l’une de leurs précédentes productions dont le scénario était l’œuvre de Alistair MacLean et qui réunissait Richard Burton et Clint Eastwood. Commando pour un homme seul propose néanmoins son lot d’action et offre à Anthony Hopkins un rôle de tête brûlée comme il n’aura plus l’occasion d’en jouer au cours de sa carrière.
Commando pour un homme seul nous fait immédiatement entrer dans le vif du sujet. Ce personnage virevoltant et svelte moulé dans sa combinaison de plongée et qui monte à bord du Nantesville en remontant la chaîne de l’ancre d’amarrage n’est autre qu’Anthony Hopkins alias Philip Calvert. Un homme seul qui se retrouve rapidement pris au piège et qui ne s’en sort in extremis qu’au terme d’une âpre lutte et un brin de malice. Entrecoupée d’un flashback qui nous montre Philip Calvert exposer son plan d’action à son supérieur Sir Arthur Arnford Jones, cette séquence fait figure de pré-générique. Une manière de présenter son héros immédiatement en action suivi de l’exposition de ses principaux traits de caractère dans l’univers plus compassé du bureau d’un supérieur hiérarchique, à savoir une bonne dose de sarcasme et de désinvolture. Philip est et reste un homme du peuple qui ne cherche jamais à se faire passer pour quelqu’un de la haute société. Il ne fraye avec elle que par obligation et n’en éprouve aucun plaisir. Heureusement pour lui, cette mission ne lui en offre guère l’opportunité. A un verre près partagé à bord du yacht de Sir Anthony Skouras, Philip Calvert n’a pas à bouleverser ses habitudes. Même l’irruption impromptue de son supérieur sur son terrain n’infléchit pas son comportement. Au contraire, il prend un malin plaisir à le rudoyer -gentiment- et l’implique bien volontiers dans sa mission. Ce que le récit perd en crédibilité sur ce point, il le gagne en humour. Robert Morley, vieux de la vieille vu entre autres dans African Queen, Plus fort que le diable ou encore Sherlock Holmes contre Jack l’Éventreur, fait merveille en supérieur hiérarchique davantage préoccupé par son estomac (ses longs apitoiements au sujet des roulés au fromage proposés par la RAF) que par les aléas de la mission. Il s’appesantit sur la perte de ses hommes uniquement sur le plan comptable et parce qu’il a des comptes à rendre en haut lieu, pas parce que cela l’affecte particulièrement. En cela, il diffère de Philip Calvert qui, derrière son attitude frondeuse et solitaire, s’avère très soucieux du facteur humain. Son attitude distante n’est que la carapace d’un homme meurtri par un métier dangereux et coûteux en vies humaines. Par petites touches, Anthony Hopkins met du sentiment dans son personnage, le rend moins mécanique. Tout bon soldat qu’il est ne devant jamais faillir devant l’adversité, il n’en demeure pas moins homme. Certaines pertes le marquent plus que d’autres. Il a beau tenter de se prémunir derrière la formule “Je n’ai que des ennemis !” lancée au visage de Sir Arthur Arnford Jones, la vérité est tout autre. Il y a derrière cette phrase une manière de se complaire dans la posture du gars seul contre tous, appuyant à la fois son côté solitaire et son caractère d’agent d’exception. Sauf que l’agent d’exception n’est pas si génial que ça. Il se révèle faillible, parfois chanceux (l’incroyable maladresse au tir de ses adversaires) et finalement plus homme d’action qu’un adepte de la réflexion. Ce qui se marie bien à la qualité première du film, divertir dans un enchaînement soutenu de péripéties et de scènes d’action, lequel n’interdit pas une parenthèse romantique. Un petit écart par rapport au roman, Alistair MacLean étant peu porté sur ce genre de passage, sur lequel Étienne Périer ne s’attarde guère. Il sert seulement à sexuer son agent et à justifier un tant soit peu sa décision finale. Sûrement pour service rendu.
La mission en elle-même n’a rien d’extraordinaire. Il ne s’agit pas pour Philip Calvert de sauver le monde mais simplement de restaurer l’honneur de la Nation, laquelle ne peut supporter que des personnes mal intentionnées lui dérobent ses lingots d’or. A ce titre, Commando pour un homme seul prend un tour intemporel ne s’enfermant pas dans le climat de Guerre Froide de l’époque, pourtant propice au film d’espionnage. Philip Calvert a le titre d’espion mais ne se comporte pas comme tel. Si Hunslett et lui agissent sous couverture, se faisant passer pour des biologistes australiens, ils se présentent néanmoins sous leurs vraies identités. Et puis dès le départ, Philip est identifié comme l’ennemi. Bateau fouillé et saboté, passage à tabac dans un cimetière, essuyage de coups de feu répétés, il se confronte à une adversité particulièrement vindicative et qui elle-même ne cherche pas à cacher ses intentions. Du côté des ennemis, on reste dans le classique jusqu’à l’austérité. Il n’y a pas une figure qui se détache plus que les autres, privant ainsi Philip Calvert de duel final. L’agent luttera davantage contre ses démons intérieurs. Même si soumis à sa haute autorité, le Mal n’est ici pas réductible à un seul individu. Le récit comporte tout de même quelques surprises mais celles-ci sont traitées avec dédain, leur révélation n’influant guère sur le cours de celui-ci car intervenant à sa toute fin. Par ailleurs, le film ne cherche pas la sophistication. Cela se retrouve dans les paysages sauvages et escarpés des côtes écossaises que le héros explore par une météo des plus maussades. Il en va de même de ses alliés de circonstance, des mariniers en mal de femmes, un peu rustres mais loyaux. En somme, Commando pour un homme seul, mais qui ne l’est pas tant que ça, propose un espionnage du prolétariat par opposition à tous ces agents secrets tirés à quatre épingles qui frayent avec le gratin mondain. Philip Calvert n’apprécie pas ce genre de salamalecs et ne manque pas une occasion de fustiger les notables pour leur rudesse à son endroit. Rancunier, il prendra même un malin plaisir à placer Sue – la fille de Lord Kirkside, propriétaire du château où se déroule le dénouement – dans une position inconfortable compte tenu de son rang au moment de distraire un garde. Par son déroulé, l’échange entre Philip et Sue prendra un air familier pour tous ceux qui ont vu le Piranhas de Joe Dante où il est repris à l’identique.
Étienne Périer fait partie de ces oubliés de l’histoire du cinéma, de ces artisans consciencieux dont on loue peu les qualités. Ici, il réalise un film carré et efficace saupoudré d’un nuage d’humour anglais pas désagréable. On suit avec plaisir l’impétueux Anthony Hopkins, aussi à l’aise dans les airs que dans les fonds marins, dans le rôle de cet espion faillible mais pugnace. Philip Calvert ne se verra pas confier de seconde mission, ce qui confère a posteriori au plan final une portée crépusculaire. Fatigué de son métier et des sacrifices qu’il requiert, on l’imagine bien tout plaquer. Ce qui n’est pas le cas d’Étienne Périer qui poursuivra dans cette veine enchaînant la même année avec le film de guerre Zeppelin, toujours pour la Grande-Bretagne, avant de regagner la France avec le polar Un meurtre est un meurtre en 1972.