Charade – Stanley Donen
Charade. 1963Origine : Etats-Unis
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Se préparant à retrouver sa vie de célibataire avant que son divorce ne soit prononcé, Regina Lampert (Audrey Hepburn) passe de belles vacances à Megève, se permettant même de faire la cour à un inconnu nommé Peter Joshua (Cary Grant). De retour à Paris, surprise : l’appartement conjugal est vide, et la police vient lui demander d’identifier son mari à la morgue avant de lui remettre les quelques insignifiants effets personnels qu’il avait en sa possession. Vraisemblablement, Charles projetait de se rendre en Amérique du sud, mais un malotru l’a assassiné alors qu’il était dans le train. Lors des funérailles, quelques individus étranges défilent et se permettent quelques simagrées avec le corps de feu Charles Lempert. Plus stupéfaite que bouleversée, sachant déjà que son défunt mari avait des secrets bien gardés, Regina ne sait qu’en penser. Jusqu’à ce qu’elle soit convoquée à l’ambassade américaine pour un entretien avec Hamilton Bartholomew, de la CIA. Il s’avère que Charles et les gaillards venus à son enterrement furent pendant la guerre chargés d’apporter 250 000 dollars à la résistance française. Ils n’en firent rien et enterrèrent le magot pour mieux se le partager à la fin du conflit. Charles doubla tout le monde, empocha le pactole et escomptait ainsi fuir avec l’argent en poche. Sauf qu’il n’avait pas l’argent sur lui au moment du meurtre. Bartholomew compte bien sur Regina pour le retrouver, et la met en garde contre les individus venus aux funérailles : il s’agit des anciens complices de Charles, venus récupérer leur part du butin, et ils risquent fort de faire pression sur elle pour qu’elle leur donne. Mais elle ne sait absolument rien de cet argent ! Livrée à elle-même, avec seulement le numéro de téléphone de Bartholomew, elle accueille avec grand plaisir l’arrivée du fameux Peter Joshua, accouru à elle après avoir appris la mort de Charles. Mais ledit Peter Joshua n’est pas vraiment Peter Joshua, et lui aussi en a après l’argent.
Vous voudrez bien m’excuser pour ce résumé fort long, mais Charade est de ces films qui peuvent difficilement se résumer en quelques lignes. Et c’est tant mieux : à l’instar des productions de l’âge d’or hollywoodien, et plus spécialement des “screwball comedies”, nous sommes face à un film qui se refuse obstinément de se poser, développant une énergie qui ne se dément jamais. Ainsi, il n’y a pas vraiment de pallier d’intensité différenciant l’introduction, le développement et la conclusion, et ce même si la finalité utilisée (les 250 000 dollars volés à la CIA) n’est guère éloignée du procédé désigné par Alfred Hitchcock sous le nom de MacGuffin, c’est à dire un prétexte pour dérouler un scénario misant sur un ensemble plutôt que sur un enjeu précis. Le film de ce spécialiste de la comédie musicale qu’est Stanley Donen (Chantons sous la pluie, Drôle de frimousse – déjà avec Audrey Hepburn-) s’inscrit totalement dans une tradition résolument tournée vers un passé glorieux plutôt que vers une nouvelle génération encore en gestation (le fameux nouvel Hollywood symbolisé par Scorsese, Coppola et compagnie), et use ainsi d’une recette qui a fait ses preuves, et qui en dépit du légitime besoin de renouveau pouvait toujours payer. C’est ainsi que l’on retrouve sans surprise une star de la screwball comedy en tête d’affiche, à savoir Cary Grant, allié à une figure bien plus jeune mais elle aussi pourvue de cet aura propre aux acteurs de l’ancienne génération, j’ai nommé Audrey Hepburn. Réunir ces deux icônes, incarnations respectivement de la classe masculine et de la sophistication féminine, ne pouvait qu’indiquer la volonté de donner au film un certain “chic” (par opposition aux vues plus crues du nouvel Hollywood) qui va bien entendu au-delà de la seule présence d’un couple d’acteurs mythiques. Composée par Henry Mancini, qui en cette même année composa la BO de cet autre film chic qu’est la première Panthère rose, la musique prend une tonalité jazzy qui ferait merveille dans des soirées mondaines. Le générique, confié à Maurice Binder (concepteur des génériques des James Bond de Dr. No à Permis de tuer), participe au même mouvement. Et puis il y a le lieu de l’action : Paris, ville associée dans l’imaginaire collectif à l’élégance et au romantisme. Quand ses personnages ne sont pas dans leur hôtel douillet, Donen ne se prive pas d’exploiter cette image d’Épinal et nous promène ainsi dans les jardins des Champs-Élysées, dans la cour du Palais Royal, dans un restaurant bateau-mouche (en nocturne bien entendu), et place ses personnages face à des figurants parlant l’anglais avec un accent français à couper au couteau. Même le métro ou une simple place de marché se teintent de ce côté exotique qu’on serait bien en peine de trouver dans le Paris réel, y compris dans cet épicentre du cliché qu’est la place du Tertre…
Toutefois, n’imaginez pas que le film de Donen se contente de se reposer sur un snobisme caricatural. Celui-ci n’est pas une fin en soi, il n’est que la manifestation d’une volonté de plonger le spectateur dans un milieu certes charmant, et même effectivement un peu snob, mais surtout irréel. Une sorte de rêve éveillé entretenu par un scénario qui possède de profonds relents hitchcockiens façon Fenêtre sur cour voire Mais qui a tué Harry ?, c’est à dire parcouru d’une veine de comédie romantique dissimulée derrière un mystère confinant à l’absurde. Si les rebondissements sont nombreux au point de nous faire friser le vaudeville policier, si le personnage d’Audrey Hepburn est balancé dans tous les sens à force de se rendre compte des mensonges de son galant protecteur -s’il en est bien un-, si les anciens associés de Charles en arrivent eux-mêmes à ne plus savoir sur quel pied danser (comme leur fait remarquer Peter Joshua, devenu entre-temps Alexander Dyle, l’un d’eux pourrait très bien avoir récupéré le magot et serait en train de jouer la comédie ; sans compter qu’ils sont assassinés un à un, ce qui laisse à penser que le meurtrier cherche à récupérer tout l’argent), il est très difficile de prendre tout cela au sérieux. Il n’y a qu’à voir les réactions face à l’affront fait au cadavre de Charles, face à la prise d’otage d’un enfant, ou face aux différents meurtres. Toutes ces scènes dramatiques sont tournées en dérision par le biais de l’outrance des réactions de Regina, dont l’angoisse surjouée s’apparente à l’amusement ressenti dans un train fantôme plus qu’à une réelle peur d’être en danger de mort. L’austère inspecteur Grandpierre, de la police française, ne s’y trompe pas et s’agace de la désinvolture de la jeune femme et de son compagnon, qui pour sa part prend un malin plaisir à faire tomber ses différents masques et à cacher son jeu. Même les associés de feu Charles sont des méchants d’opérette : un petit vieux souffreteux (Ned Glass), une armoire à glace avec un crochet en guise de main (George Kennedy) et un dur extirpé d’un quelconque film noir (James Coburn), le tout suivi de loin par un agent de la CIA débonnaire (Walter Matthau). Les dialogues sont à l’avenant : tout en réparties spirituelles. Donen ne fait pas grand chose pour dissimuler ses ambitions comiques… Qui elles-mêmes recouvrent une romance et en extirpe toute forme de guimauve.
Au fond, le moment le plus important du film arrive tout au début, à Megève, lorsque se rencontrent Regina et celui qui se fait alors appeler Peter Joshua. Par la suite, à travers ses fréquents changements d’identité et de motivations, le personnage de Cary Grant ne cesse jamais d’être l’inconnu de Megève, ce qui intrigue Regina au plus haut point. Les aventures rocambolesques qu’elle vit avec lui dans ce Paris fantasmé contribuent à rendre cette amourette plus piquante encore. Loin de la décourager, les mensonges proférés et aussi vite corrigés sans honte aucune par d’autres mensonges rajoutent du mystère au mystère, et finissent par la séduire pour de bon. C’est une forme de rêve romantique actif vu du point de vue d’une femme se demandant qu’à développer ce petit jeu. Car c’est bien elle qui se montre la plus entreprenante du point de vue amoureux, et ce dès Megève. Bien sûr, elle ne procède pas bille en tête (on imagine mal Audrey Hepburn jouer à cela) mais par des sous-entendus évidents. Par exemple, à chaque changement d’identité, sa première interrogation est savoir s’il existe une madame quelque chose avec le nouveau monsieur quelque chose. Ses actes aussi ne laissent pas de doute : inciter Peter à jouer à un jeu consistant à s’échanger une orange placée sous le menton sans utiliser ses mains, ce qui revient en gros à simuler un baiser, ou encore s’arranger pour qu’il ne puisse pas prendre une douche dans sa chambre à lui mais dans la sienne, tout cela est très évocateur. Il ne faut pas être devin pour deviner l’attirance. De son côté, le personnage de Cary Grant le perçoit aussi, bien entendu. Mais en séducteur chevronné qu’il est, il sait que plus il résistera, plus il rendra Regina amoureuse. D’autant plus que ses dérobades sont faites avec un grand humour, comme pour le coup de la douche, auquel il répond en se lavant tout habillé. Notons que ces réactions sont indirectement l’œuvre de Cary Grant lui-même : dans le scénario d’origine, son personnage devait lui aussi faire des avances. Mais, constatant la grande différence d’âge entre lui et Audrey Hepburn (25 ans) il jugea dérangeant de laisser entendre qu’un homme pratiquement sexagénaire fasse la cour à une jeunette. Il n’accepta son rôle qu’à la condition que Regina apparaisse comme la seule prédatrice. Ainsi fut fait, et il n’en est donc ressorti que du bon. L’image classieuse de Grant apparaît en outre préservée. Pour l’anecdote, cet écart d’âge lui fit malgré tout ressentir qu’il ne pourrait plus longtemps prétendre aux rôles qui ont fait de lui l’incarnation du séducteur (rappelons que Ian Fleming inventa James Bond avec Cary Grant à l’esprit) et il prit sa retraite des écrans trois ans et deux films plus tard. Quant à sa ravissante partenaire, loin d’écorner son image, son rôle de jeune femme entreprenante -dans les limites du bon goût- et prête à l’aventure tout en gardant une irrésistible candeur (ses traits et sa silhouette frêle y contribuent autant que son jeu d’actrice) contribua à lui apporter cette touche de modernité qui n’est certainement pas pour rien dans la légende qui l’entoure encore aujourd’hui.
Inutile de s’appesantir davantage : Charade mérite bien son statut de classique. Si ce n’est une réalisation peut-être un peu plus tonique (et encore, il faut voir), il ne lui manque rien. Ni les acteurs (radieux), ni le scénario (plein d’esprit), ni la photographie (grand luxe). Quoique si, il lui manqua bien quelque chose lors de sa sortie : la mention du copyright, qu’Universal avait bêtement oublié d’apposer au générique, ce qui en vertu des lois de l’époque précipita le film illico dans le domaine public. On peut s’en féliciter, puisque du coup ce ne sont pas les éditions DVD qui manquent. Mais d’un autre côté, il est dommage que certains éditeurs puissent du coup se sentir dispensés de bichonner l’image comme elle le mériterait (ce qui est une façon d’excuser la piètre qualité des captures ici présentes).