Cannibal Girls – Ivan Reitman
Cannibal Girls. 1973Origine : Canada
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Quelque part dans l’hiver neigeux canadien, Clifford et Gloria (Eugene Levy et Andrea Martin) sont en route pour les vacances. Leur voiture défaillante les oblige à s’arrêter aux abords de Farnhamville, coin paumé qui dispose tout de même d’un motel où le couple élit domicile. Au détour d’une conversation innocente, la gérante les informe de la légende locale, celle de trois terribles filles cannibales et de leur maître sataniste qui se seraient adonnés au cannibalisme pour se préserver des outrages du temps. Mais c’est fini tout ça, et la maison où vécurent ces cinglés est désormais un respectable restaurant tenu par le Révérend Alex St. John (Ronald Ulrich)… Vous m’en direz tant.
On ne dirait pas, comme ça, à voir sa filmographie pleine de comédies inégales, du très nul Un flic à la maternelle aux géniaux SOS Fantômes, mais Ivan Reitman n’a pas toujours été le gentil faiseur de comédies familiales à l’américaine. La production des deux premiers films de David Cronenberg en atteste : il fut aussi capable à ses débuts, dans son Canada d’adoption (il est né en Slovaquie), de s’intéresser au cinéma d’horreur quand celui-ci n’avait pas encore le vent en poupe. Avant même qu’il ne soutienne les débuts de Cronenberg, il avait déjà tourné son propre film d’horreur, Cannibal Girls, tombé en peu de temps dans les limbes du cinéma. Non sans raison, d’ailleurs : le réalisateur de SOS Fantômes, soit l’un des meilleurs films des années 80 (qui doit tout de même beaucoup à ses acteurs imaginatifs), y affichait un amateurisme stupéfiant, par bien des égards similaire à celui d’un Jean Rollin. Utilisation massive du zoom ou du très gros plan, surimpression criarde, mollesse du montage, tout y est pour concevoir un climat onirique au rabais, tellement communicatif qu’il finit par envoyer le spectateur dans les bras de Morphée.
Pourtant, à la différence des pires films de Rollin, Cannibal Girls nous évite heureusement le lyrisme des créatures démoniaques, ici les trois jolies filles cannibales (une blonde, une brune et une rousse, y’en a pour tous les goûts) qui s’assument comme telles et se contentent donc de se dévêtir pour mieux attirer le chaland dans leur lit, puis dans leur assiette via un coup de hache ou autre objet contondant. Si onirisme il y a, c’est l’œuvre de ce salaud de Révérend, sorte de barbu mystique à la Charles Manson dont l’attitude maniérée et le discours précieux aurait quelque peu tendance à singer les Dracula romantiques (la présence des trois filles fait d’ailleurs songer aux maîtresses du célèbre vampire). C’est d’ailleurs sur lui que Reitman place ses gros plans subliminaux, qui apparaissent rudement superfétatoires compte tenu de l’amateurisme du film, qui va jusqu’à placer des sons de clochettes signalant aux spectateurs les plus sensibles l’imminence puis la fin d’une scène gore. Le décalage entre ce procédé guignolesque et la lourdeur amenée par le Révérend illustre l’indécision d’un réalisateur tiraillé entre le sérieux à la Jean Rollin et l’auto-dérision habituellement propre au cinéma d’exploitation. Cette hésitation pèse lourd dans la balance, et l’on ne sait plus trop comment il faut recevoir la structure bizarre du film, qui à partir du moment où la gérante du motel raconte la légende à ses deux clients part dans une sous-histoire censée illustrer cette légende. Nous assistons donc aux mésaventures de trois hommes attirés dans la bâtisse maudite par les filles cannibales. L’occasion de montrer les généreuses poitrines de ces dames et de mettre en scène de très frustrantes scènes gores, rendues incompréhensibles par un montage et un cadrage sur lesquels ne cracherait pas le Tobe Hooper des Masters of Horror.
Le problème est que l’on ne sait pas tellement ce qu’est au juste cette sous-histoire : le récit au passé de la gérante d’hôtel ou des évènements qui se déroulent en parallèle ? Car Reitman ne serait pas à ça près, lui qui se prend aussi d’aborder l’enquête du frère d’une donzelle disparue depuis l’introduction du film, que l’on pensait n’être qu’une mise en bouche. Mais non : cette autre sous-histoire créé peu à peu le lien entre le Révérend et la ville, convertie au cannibalisme. Elle est torchée en quelques scènes disséminées au hasard, contrairement au calvaire des trois gars, gourmand en temps et qui se déroule d’une traite. L’histoire principale, celle de Clifford et Gloria (qui redémarre au bout d’une heure sous prétexte que tout ce qui leur est arrivé jusqu’ici n’était qu’un rêve !), n’est en rien concernée par tout cela, d’où le sentiment de ne plus trop savoir où l’on en est. En clair, c’est le bordel, et que ce soit du pseudo onirisme ou un scénario décousu, le film n’en sort pas grandi. Si on lui ajoute quelques défauts bien plus conventionnels, comme un criant manque de moyens jamais compensé, une musique insipide ou des acteurs médiocres (mais qui connurent une jolie carrière à la télévision canadienne) avec en tête de liste un Eugene Levy caché sous une épaisse coiffe afro, une moustache à la Frank Zappa et des lunettes de soleil d’une taille démesurée, on obtient un film résolument mauvais. C’est dommage, un Massacre à la tronçonneuse dans le froid aurait pu être sympathique.