CinémaComédie

Boire et déboires – Blake Edwards

Blind Date. 1987.

Origine : États-Unis
Genre :  Coeurs éméchés
Réalisation : Blake Edwards
Avec :  Kim Basinger, Bruce Willis, John Larroquette, William Daniels, Phil Hartman, Stephanie Faracy, Mark Blum.

Walter Davis est un jeune cadre ambitieux. Trop, sans doute puisqu’il ne ménage pas ses efforts pour être dans les petits papiers de son patron. Il reste jusqu’à point d’heure au bureau, continue de travailler ses dossiers une fois rentré chez lui, à tel point qu’il en oublie d’entretenir une vie sociale. Un bon élève dont l’abnégation n’est pas payée en retour puisque son patron Harry Gruen remarque moins son travail que son accoutrement. Alors que se profile une soirée importante avec un nouveau client japonais, Walter doit absolument trouver une cavalière. Grâce à son frère, il rencontre Nadia Gates, pétillante et belle jeune femme qui présente comme seul défaut de ne pas tenir l’alcool. Sous le charme, Walter omet les recommandations de son frère et les hésitations de Nadia pour trinquer avec elle au champagne. Les effets ne tardent pas à se faire sentir. Saoûle, Nadia enchaîne les catastrophes dont Walter est le premier à faire les frais. Et comme si cela ne suffisait pas, David Bedford, l’ex de Nadia, les suit à la trace, bien décidé à la récupérer. La nuit promet d’être longue.

Au sein de l’abondante filmographie de Blake Edwards, S.O.B. (1981) détonne. L’humour s’y fait plus corrosif quand il ne vire pas carrément au réglement de comptes. Dans ces coulisses du manège hollywoodien, le réalisateur de The Party exprime une amertume qu’on ne lui connaissait guère et qu’on ne reverra plus par la suite. Ou en tout cas plus de manière aussi frontale. En revanche, ce film permet de mieux saisir les circonvolutions que sa carrière va suivre durant toute cette décennie. Toujours très attaché à un cinéma éminemment personnel, souvent centré sur la figure du mâle en perte de repères (L’Homme à femmes, Micki et Maude, That’s Life), Blake Edwards alterne avec des films au potentiel plus commercial (A la recherche de la panthère rose, L’Héritier de la panthère rose). C’est la technique du donnant-donnant, également employée par Clint Eastwood, condition sine qua non pour pouvoir se consacrer à des projets qui lui tiennent plus à coeur. Boire et déboires s’inscrit dans cette logique commerciale. Blake Edwards n’est pas à l’origine de ce projet. Au départ, ce film a été envisagé comme un véhicule pour le couple d’enfants terribles Madonna – Sean Penn. Sauf qu’ils choisissent finalement de tourner Shanghai Surprise de Jim Goddard (produit par George Harrison, qui s’offre au passage un caméo), obligeant la production à revoir ses plans. Le rôle féminin revient alors à Kim Basinger, tout juste auréolée du succès de 9 semaines et 1/2, et qui présente l’avantage d’avoir déjà tourné sous la direction de Blake Edwards. Le rôle masculin tient quant à lui du pari. Il est confié à Bruce Willis pour ce qui constitue alors ses grands débuts au cinéma après quelques figurations. L’acteur n’est pas pour autant un inconnu du grand public puisque depuis maintenant trois saisons, il s’invite régulièrement dans leurs foyers avec la série Clair de lune. Le personnage de Walter Davis va pouvoir lui permettre de rêver plus grand.

Boire et déboires épouse les contours d’une comédie romantique tout ce qu’il y a de plus classique, sans omettre le happy end de rigueur. Le film n’en demeure pas moins parfaitement ancré dans son époque, ce qui lui donne tout son sel. La rencontre décisive entre deux âmes égarées ne tient plus du hasard mais d’un rendez-vous arrangé. Tout entier dédié à son travail, Walter n’a guère le temps de sociabiliser. Il trouve en son frère Ted un entremetteur aussi dévoué qu’empressé. Dès le départ, la soirée que Walter et Nadia doivent passer ensemble ne baigne pas dans le romantisme. Aux yeux de Walter, elle s’apparenterait plutôt à un rendez-vous d’affaire. Il aborde cette soirée comme l’ultime moyen d’entrer dans les petits papiers de son supérieur. Constamment raillé pour sa manière de s’habiller et le côté ennuyant de sa précédente copine, Walter tient là une occasion de marquer des points. Nadia est de ses femmes que l’on remarque. Cela tient autant à son allure qu’à sa beauté mais aussi à cette robe rouge qu’elle arbore et qui attire tous les regards… ou presque (lors du contrôle d’alcoolémie qu’ils font passer à Walter, les agents de police ignorent ostensiblement Nadia comme si ils l’estimaient étrangère à ce type de vice). Compte tenu de la nuit de folie que Walter va passer, cette robe tient lieu de symbole à la portée ironique évidente. Tout de rouge vêtue, Nadia représente un danger pour Walter. A partir du moment où il la rencontre, le jeune cadre va être poursuivi (l’ex inconsolable), menacé d’une arme (les punkettes), se retrouver au milieu d’une bagarre générale (le club) et arrêté. Pire, son statut social s’en trouve considérablement fragilisé. Sous l’effet du comportement de Nadia, qui met à mal ses rapports avec le partenaire financier japonais, l’employeur de Walter le licencie sans ménagement. Et pour appuyer cette disgrâce, sa belle voiture se fait désosser au point de la reléguer au rang d’épave.  A travers elle, Walter se voit soudain dépourvu de tous ses attributs sociaux. Ces déboires actent cependant une amorce de renaissance. Au fond, Walter souhaite intégrer un monde qui ne lui ressemble pas. Il a trop de valeurs pour pouvoir s’y épanouir. Son collègue Denny Gordon incarne tout ce qu’il n’est pas : arriviste, superficiel et grossier. A ce titre, Nadia sert de révélateur. Deshinibée par l’alcool, elle met en lumière l’indélicatesse et la misogynie ambiante. Elle ose dire les choses lorsque Walter préfère avaler des couleuvres dans l’espoir illusoire d’obtenir l’avancement et la considération auxquels il aspire. Il s’est tellement convaincu que c’est cette vie qu’il veut mener que l’électrochoc prend du temps. Il lui faut passer par une crise infantile et une gueule de bois carabinée pour ouvrir enfin les yeux sur ce qu’il désire réellement. A la différence de After Hours et de Série noire pour une nuit blanche, la virée nocturne de Walter revêt une importance capitale. Elle devient une étape à sa (re)construction.

Cette finalité amène tout de même à se poser la question : ce qui est important pour Walter l’est-il tout autant pour Nadia ? La trajectoire de cette dernière reste floue. A la manière de sa première apparition dans l’histoire, elle débarque un peu de nulle part et ne semble pas trop savoir où aller. Elle passe d’élément perturbateur pendant les deux tiers du film à objet de convoitise sans que le personnage n’évolue d’un iota. D’elle, on ne saura pas grand chose si ce n’est qu’elle fréquente la haute bourgeoisie et que par amour pour Walter, elle est prête à consentir à un mariage forcé dans les bras de son ex fiancé invasif. Elle ne donne pas une image très moderne de la femme, sauf lorsqu’elle a un coup dans le nez. L’absorption d’alcool permet à son moi profond de s’exprimer et de refuser ce qu’elle accepte d’habitude. Elle devient presque une militante de la cause des femmes lorsque au restaurant, elle enjoint la femme de l’entrepreneur japonais à faire enfin entendre sa voix. Cela dit, cette attitude se révèle ponctuelle et dirigée vers des moeurs étrangères. Si son état d’ébriété provoque quelques remous là où Nadia passe, nous sommes loin du bordel généralisé. La principale victime reste Walter, Walter qui en guise de retour de bâton va lui aussi s’enivrer pour gâcher la quiétude de la garden party chez les bourgeois où il retrouve sa cavalière. Néanmoins, la folie demeure contenue et ne fonctionne pas par accumulation jusqu’à un morceau de bravoure. Elle opère de manière ponctuelle, reposant d’ailleurs davantage sur les irruptions de l’ex jaloux que des rapports entre Walter et Nadia. Entre eux se joue autre chose, la petite musique de la comédie romantique qui doit les amener l’un vers l’autre. Et cela se fait au prix d’un certain conformisme lors d’un dernier acte au ton radicalement différent. Il s’agit alors pour Walter de reconquérir l’amour perdu en la libérant de la prison dorée – la propriété de Bedford père – dans laquelle elle s’est volontairement enfermée. Le film bascule alors dans une dynamique boulevardière à grands renforts de portes qui claquent qui rappelle l’introduction de Quand l’inspecteur s’emmêle. La mise en scène de Blake Edwards se fait alors plus millimétrée pour orchestrer ce ballet de quiproquos et d’occasions ratées qui aboutit à un statu quo. Walter n’est pas le sauveur qu’il pense être et si son entreprise finira in fine par réussir, c’est parce que les effets de l’alcool sur Nadia auront encore frappé.

On sourit plus qu’on ne rit devant Boire et déboires. Manquant cruellement de rythme, le film ne nous emporte jamais vraiment au sein de cette nuit prétendument folle. A 65 ans, Blake Edwards se dévoile en contempteur de ces années 80 toc et frime, cherchant à travers la trajectoire de Walter à renouer avec l’essentiel, le plaisir de vivre comme on aime plutôt que passer son temps à essayer d’écraser les autres. Un propos louable qui se heurte néanmoins à une vision vieillotte de la femme. Si la bouteille de coca cola dans un seau à champagne sur laquelle se clôt le film sonne comme un ultime gag, il ne saurait faire oublier que dépourvue désormais de son “sérum de la vérité”, Nadia est vouée à n’être que la gentille épouse qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre. Un vrai conte de fées, en somme.

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