Attention les yeux ! – Gérard Pirès
Attention les yeux !. 1976.Origine : France
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Pour Rotberger, producteur de cinéma, les affaires vont mal et, si ça continue comme ça, il est bon pour mettre la clé sous la porte. Nous sommes en 1976 et la solution s’offre à ses yeux, évidente : il faut faire un porno, les gens ne vont plus voir que ça… Avec son associé, ils se chargent de convaincre leur réalisateur maison, qui renâcle un peu, et pour cause : au départ, il était embauché pour faire une adaptation de La Chartreuse de Parme…
Commence alors un tournage chaotique, conjuguant à une absence de moyens évidente une distribution peu motivée et une équipe réduite et parfois dépassée. De scène olé-olé en scène olé-olé, le tournage avance tout doucement, laborieusement, se terminant par la mise en boite d’une partouze géante.
En tout cas, ça, ce sont les intentions affichées. Car, en réalité, on a affaire à une comédie qui prend le prétexte du cinéma porno, alors en pleine ébullition, mais qui reste très sage et bien trop habillée. On montre quelques seins ici, un peu de fesses là ; de ces dames surtout, d’ailleurs, les hommes étant sûrement bien trop pudiques pour ça… Un peu de touffes aussi, qu’on devine parfois plus qu’on ne voit, un soutien-gorge qu’on arrache, quelques cambrures remarquables, mais rien de vraiment porno en fait, pas de quoi fouetter un curé…
Cet écueil du film presque tout public (il a probablement été interdit aux moins de 13 ans lors de sa sortie) est malheureusement insurmontable. Faire du porno sans vraies scène porno, pour s’en moquer mais en jouant sur le voyeurisme du spectateur, c’est déjà un peu hypocrite. Mettre en scène une histoire aussi pauvre sur un tournage fauché, mené par un réalisateur foireux et financé par un producteur véreux, c’est presque se regarder dans un miroir. Car soyons honnête : Attention les yeux ! ne vole pas haut, n’a pas dû coûter cher et est une comédie qui désole et afflige.
Les répliques avec l’accent pied-noir de Robert Castel ne font plus rire personne (si elles ont jamais fait s’esclaffer quelqu’un…) ; la critique implicite des cinéastes faisant de la merde sous des prétextes vaguement politiques (ici, Brasseur dit à ses acteurs qu’ils tournent en Afrique « un film anti-impérialiste, rejetant le colonialisme ») tombe à plat car les auteurs de ce film font, eux aussi, de la merde sur fond de « sujet de société ».
Les acteurs font ce qu’ils peuvent mais le naufrage n’est jamais très loin, cette galère cinématographique fonçant droit sur les récifs du facile et du pas drôle. Guy Marchand, le premier rôle à la mémoire courte et qui ne sait bander que pour sa femme, ne brille pas. Claude Brasseur est en roue libre et surjoue. Pousse et Darras sont des caricatures de producteurs et on n’y croit pas une minute. Restent quelques actrices, parfois pétillantes, comme Sonia Vareuil, à la gouaille impressionnante et qui se déloque visiblement sans aucun complexe ; ou bouillantes, comme Grace Jones, qui connut son heure de gloire l’année suivante sur la scène disco et, quelques années plus tard, dans Dangereusement vôtre ou dans Conan le destructeur. Viennent ensuite toute une pléiade d’acteurs, dans des rôles moins importants, et qui allaient bientôt connaître le succès: Daniel Auteuil, Michel Blanc, Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Anémone, côtoyant moult acteurs de second plan ou personnalités venues faire une scène ou deux : Jean-Pierre Darras, Georges Descrières, Moustache, Stéphane Collaro, … Ils ne font que participer à une machine qui tourne, hélas, à vide.
Attention les yeux ! est donc un film raté, aux raccourcis flagrants et aux relents assez machistes, aussi. Étonnamment, c’est une femme qui en a écrit le scénario : Nicole de Buron. Romancière, elle a un peu travaillé aussi pour le cinéma (Erotissimo, Elle court, elle court, la banlieue) et la télévision (Les Saintes chéries), mais elle est ici bien peu inspirée. Alors que le boom du X occupait encore les écrans, les esprits et le fond de certains slips, il n’était pas interdit de s’y frotter et d’en montrer l’arrière-plan. 30 ans plus tard, Kevin Smith (Clerks, Méprise multiple) se penchera d’ailleurs lui aussi sur ce sujet en montant Zack et Miri font un porno. Là aussi, la motivation affichée des protagonistes pour faire du cul sera la même : gagner de l’argent facilement, en donnant de sa personne, et profiter de cet engouement du public pour le X, via internet notamment ; là aussi, l’accent sera mis sur l’absence de moyens, d’où doit découler des situations comiques ; là également, l’hypocrisie voudra qu’on en dise plus qu’on en montre mais qu’on en montre un peu quand même… Bon, Zack et Miri font un porno est quand même plus réussi que cet Attention les yeux ! qui fait peine à voir. Et il constitue la preuve que certains « sujets de société » traversent le temps et les océans. Mais la vraie comédie sur le cinéma X, drôle et réussie, reste à tourner. Avis aux amateurs.