Attention les dégâts ! – Enzo Barboni
Non c’è due senza quattro. 1984Origine : Italie
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Qu’ont en commun le jazzman Greg Wonder (Bud Spencer) et le cascadeur Eliot Vance (Terence Hill) ? C’est ce qu’ils se demandent alors qu’ils se rencontrent pour la première fois dans une agence où ils furent entraînés avec la promesse d’un million de dollars chacun. La réponse est que l’agence est spécialisée dans la recherche de sosies, et qu’ils sont les sosies d’Antonio et Bastiano Coimbra de la Coronilla y Azevedo, deux richissimes industriels brésiliens. Sur le point de signer un juteux contrat, ces deux cousins sont menacés par la pègre locale, et souhaitent embaucher Greg et Eliot pour prendre leurs identités au Brésil pendant une semaine, jusqu’à ce que le contrat soit signé. Au million promis s’ajouteront 500 000 dollars si ils parviennent à découvrir et à punir celui qui se cache derrière la pègre.
Antépénultième film du duo Hill / Spencer (ou son avant-dernier, tant le tardif Petit Papa Baston s’éloigne de leurs habitudes), dernière collaboration avec Enzo Barboni, qui les avait fait décoller avec les Trinita, Attention les dégâts ! continue à faire voyager les deux hommes les plus heureux du monde. Après la brousse sud-américaine, après l’Amérique centrale, après Miami (plusieurs fois), après la savane africaine, après l’île déserte, les voici à Rio ! La samba et ses danseuses, Copacabana, la plage, le football, la statue du Christ rédempteur surplombant la ville, bref tout ce qui ne manquerait pas d’apparaître sur les clichés du touriste de base. Bud et Terence ne les manquent pas non plus, pas plus qu’Enzo Barboni. Le film démarre par un plan aérien au dessus de Copacabana, et sa musique est résolument portée sur la samba et autres rythmes dansants. Barboni profite bien de Rio en réussissant à envoyer ses personnages (gentils comme méchants) dans tous les coins les plus remarquables, non sans une certaine gratuité. Besoin de parler sans être écouté ? Direction le Maracana (avec extraits de match en stock-shot) ! Besoin de repérer quelqu’un de loin ? Direction la statue du Christ ! Où donc trouver les méchants ? Et bien au milieu d’une répétition de samba ! Comment faire parler la tête pensante du complot ? En prenant les palmes et en nageant jusqu’à son île privée ! Niveau exotisme, le hasard fait encore mieux les choses que dans un James Bond. Comme c’est le cas pour la plupart de leurs films, Bud et Terence n’ont que faire de cette tartine de baratin que les professionnels nomment “scénario”. Ils sont là pour amuser la galerie et s’amuser eux-mêmes, et personne ne saurait prendre leurs pérégrinations au sérieux. Après plus de quinze ans d’association, ils peuvent bien se passer de tout souci de réalisme, et on pourra trouver bien des incohérences dans leurs aventures. Mille fois Greg et Eliot auraient dû trahir leur véritable identité… mais à la base, l’idée même des sosies est foireuse. Plus leur carrière passe, plus Bud et Terence développent l’humour “cartoon”, qu’ils associent harmonieusement avec leur habituel humour burlesque et légèrement beauf pour donner une image un peu plus naïve de leur amitié, qui ici ne repose plus sur le schéma du “je t’aime moi non plus” (si ce n’est dans l’introduction), et qui donc évite de faire passer Bud pour le pachyderme imbécile et Terence pour le rusé renard. Leur mission permet surtout de passer le temps en leur compagnie, et d’assister à leur quotidien débridé.
Le spectacle porte ici sur deux niveaux : d’une part, la mission, leur opposition à la pègre, semblable dans le principe à une énième opposition entre Tom et Jerry à ceci près que les petits (enfin numériquement parlant, parce que Bud Spencer n’est pas une souris) ne l’emportent pas sur les gros avec la seule malice, mais aussi avec les poings. Envoyez leur une équipe entière de mercenaires, et ils vous les castagneront pendant un quart d’heure avec le sourire, sans trembler, profitant même de la présence des Coimbra pour donner le tournis à leurs victimes expiatoires. Tel est le clou du spectacle, mais cette scène n’est pas la seule du même style. Située dans un cabaret, une autre vient aussi nous rappeler que le tandem à commencé au far west. Quant à la malice, elle est par exemple employée quand il s’agit de ridiculiser une fois de plus les hommes du mafieux Tango (“faut être un sombre crétin pour s’appeler Tango au pays de la samba“, dit Eliot non sans raison) alors même que Greg et Eliot étaient à leur merci, kidnappés en voiture. L’autre grand axe comique du film tourne autour de la présence des deux peu raffinés compères dans le milieu de la haute société. Les soirées littéraires, l’amour platonique, les séances de psychanalyse, la diète, les chauffeurs qui respectent le code de la route, le maintien du standing en public… Bien sûr, Greg et Eliot feront exploser les convenances. Il était à prévoir que Terence Hill n’allait pas tarder à transgresser l’amour platonique de sa blonde brésilienne, et que Bud Spencer n’allait pas écouter les freuderies de son psy sans réagir. Une par une, les règles de bonne conduite sont transgressées. Un vent de liberté souffle parmi les employés, et un parfum de scandale parmi les gens de bonne morale (dont les vrais Coimbra, que les deux acteurs se délectent d’interpréter). On ne peut dire que l’humour d’Attention les dégâts ! soit un “Vis ma vie” avant l’heure, puisque nous ne rions pas sur le dos de Greg et Eliot, mais bien avec eux. Leurs agissements sont autant une façon de se moquer de la haute société qu’un manifeste pour une façon de vivre décoincée, et même un peu beauf. Bud Spencer conversant avec l’arrière-train d’une danseuse n’est pas l’humour le plus fin qui soit, mais c’est aussi ce genre d’idioties qui fait du film ce qu’il est. De toute façon, les gags sont suffisamment variés pour ne pas saturer. Même les répliques sont travaillées, comme quoi les deux acteurs ne valent pas que pour leurs mimiques. On trouve aussi quelques remarques politiques, concentrées au début du film, lors de la visite à l’agence des sosies (le président américain ? Remplacé par “un acteur médiocre de série B”. La conférence de Yalta ? C’est les trois sosies qui ont fait les cons avec la géopolitique. Margaret Thatcher ? Une ça va.. Deux, attention les dégâts ! D’où le titre du film).
Certainement l’un des meilleurs films de leur carrière commune, Attention les dégâts ! est aussi le dernier bon film du duo le plus célèbre du cinéma italien. Incompréhensiblement, Les Super flics de Miami marquera l’année suivante un gros coup de fatigue de la part des deux acteurs, pourtant ici très inspirés. Et c’est bien dommage, puisqu’ils étaient alors dans leur meilleure période.