Allan Quatermain et la cité de l’or perdu – Gary Nelson
Allan Quatermain and the lost city of gold. 1986.Origine : États-Unis
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Pour Allan Quatermain, c’en est bientôt fini de crapahuter dans la brousse à braver le danger sous une chaleur étouffante. Dans quelques heures, Jesse et lui doivent partir aux États-Unis convoler en justes noces. Or des événements récents l’amènent à s’inquiéter pour son jeune frère, parti depuis longtemps en quête d’une mythique cité d’où il n’est jamais revenu. N’écoutant que son courage, et aussi bien content de repousser le moment fatidique où il devra frayer avec le grand monde dans des costumes ridicules, Allan monte une expédition pour retrouver son frère.
Toujours occupé à réaliser des films plus « respectables », Steven Spielberg laisse le front de l’aventure dégarni de son plus fier représentant, autorisant moult producteurs cupides à se lancer sur ses traces pour récupérer quelques miettes du gâteau. Parmi eux, les pontes de la Cannon Menahem Golan et Yoram Globus figurent parmi les plus acharnés. Satisfaits des résultats obtenus par Allan Quatermain et les mines du roi Salomon, les deux compères ne tergiversent pas longtemps avant de remettre le couvert dès l’année suivante, ravis de pouvoir occuper le terrain. Parti tourner un autre film d’aventure maison –Le Temple d’or autour du duo Chuck Norris/Lou Gossett Jr.–, J. Lee Thompson cède sa place au téléaste Gary Nelson, également réalisateur du Trou noir pour les studios Disney. Que les amateurs du premier film se rassurent, Allan Quatermain et la cité de l’or perdue s’inscrit dans la droite lignée de son prédécesseur, un lourd mélange d’influences mal digérées et d’action peu trépidante. C’est toute la beauté de ces productions Cannon, loucher ostensiblement du côté des Indiana Jones pour rendre une copie plus proche des bisseries italiennes.
A l’inverse du premier film qui reposait sur une course-poursuite lors de laquelle les antagonistes se croisaient puis se recroisaient jusqu’à l’affrontement final, Allan Quatermain et la cité de l’or perdue tend vers davantage de simplicité. Les personnages doivent ainsi se rendre d’un point A à un point B, et rien ne les fera dévier de leur route. A charge pour le scénariste de concocter suffisamment de péripéties pour rendre le récit, si ce n’est palpitant, au moins un minimum distrayant. Sur ce point, le maintien de Gene Quintano au poste de scénariste n’augure rien de bon. Et le bonhomme ne nous déçoit pas, trouvant le moyen de rendre une copie encore plus navrante que la précédente. Si la route est longue jusqu’à la cité perdue, les embûches se font plutôt rares lors d’une première partie propice aux plans cartes postales qui permettent de profiter –modérément- de la magnificence des lieux de tournage (le Zimbabwe). Une longue procession durant laquelle le caractère de certains personnages affleure de manière ostensible, à l’image de Swarma, guide de l’expédition et prêtre de pacotille aux mains constamment jointes en signe de prières. Conjuguant les pires tares (le mensonge, la lâcheté, la cupidité), Swarma sert en outre de caution comique au film, à défaut d’avoir une réelle justification au sein du récit. Après tout, si la légende de cette cité d’or attise tant sa convoitise, il apparaît un peu trop commode qu’il propose ses services à Allan Quatermain plutôt qu’à son jeune frère. A moins que l’aura du premier ne suffise à le convaincre de la réussite d’une expédition réputée périlleuse. Enfin, façon de parler tant Richard Chamberlain s’avère peu concerné par le personnage. Du coup, comme le héros fait pâle figure, le scénario s’ingénie à le faire passer pour un dieu (ou un démon) aux yeux des peuples qu’il croise du fait de son immortalité supposée. Une imposture rendue possible à la fois par la plaque protectrice souple qu’Allan porte sous sa chemisette, et par la maladresse de ses adversaires dont les lances s’échouent invariablement au niveau du tronc, sans même abîmer le vêtement. Un procédé bien pratique pour que l’aventurier puisse traverser les épreuves sans se départir de son flegme irritant.
Plus encore que lors de sa précédente aventure, Allan Quatermain traverse le film telle une ombre. Au moins dans Allan Quatermain et les mines du roi Salomon, il avait ses prises de bec avec Jesse pour exister. Plus maintenant qu’il est un homme –presque– rangé. Alors il crapahute en guidage automatique, vient au secours de sa douce lorsque le scénario l’exige, use d’astuces indignes d’un Garcimore pour se faire mousser, mais laisse la plupart du temps le devant de la scène au valeureux guerrier Umslopogaas et au fourbe Swarma. Que le but de l’expédition soit de venir en aide à son petit frère ne semble pas le préoccuper outre mesure, même si quelques piqûres de rappel à l’humour involontaire parsèment le récit via la découverte à intervalle régulier du cadavre de l’un ou l’autre des compagnons d’expédition du cadet. Oui, les chemins qui mènent à la cité d’or perdue sont dangereux, non, ce n’est pas forcément prégnant à l’écran. Une poignée de pièges machiavéliques, une tribu belliqueuse, des rapides souterrains, une espèce de ver glouton cavernicole constituent les principales embûches qui se dressent sur le chemin des aventuriers intrépides. Un menu prétendument copieux qui n’est finalement difficile à digérer que pour ces pauvres guerriers Askaris, recrutés en tant que porteurs, et dont les disparitions au compte-goutte, outre évoquer les Tarzan de la MGM, servent à donner de l’ampleur aux périls encourus. En vain puisque tout le monde semble pouvoir passer outre ces obstacles, à commencer par Robeson Quatermain, lequel contait fleurette à une princesse dans l’enceinte de la cité perdue pendant que son frère s’échinait à le retrouver. S’illustre là toute l’inconséquence d’une jeunesse tellement centrée sur elle-même qu’elle demeure étrangère aux tourments qu’elle peut engendrer. Bon prince, Allan ne lui en tient pas rigueur et remise la machine à baffes au placard, le temps qu’apparaisse ce bon vieux Henry Silva, toujours partant pour incarner les méchants, fussent-ils d’opérette à l’image de cet Agon. Parce qu’il fallait bien justifier tous les efforts consentis par Allan et son équipe, il se trouve que la cité d’or perdue vit sous la coupe d’un tyran, un ancien marchand d’esclaves qui a su jouer de l’innocence du peuple pour prendre le pouvoir. Et pour ceux qui douteraient de l’innocence des villageois, leur tenue d’une blancheur immaculée est là pour les en convaincre. Le récit ne s’était jusqu’alors guère embarrassé de subtilité, ce n’est pas à 30 minutes du terme qu’il va commencer. A cet usage de gros sabots s’ajoutent des incohérences qui vont de l’anecdotique au contresens flagrant. Par pure mesquinerie, je ne résiste pas à l’envie de mentionner l’absence de rues pavées d’or alors même que c’est ce genre de détail, de surcroît rapporté à Allan Quatermain par l’un de ses amis qui en revenait, qui a nourri le mythe autour d’icelle. Faute d’un budget conséquent, la production a dû revoir ses ambitions à la baisse, transformant la majestueuse cité d’or tant convoitée en banale cité ceinte de hauts murs dont la peinture blanche masque mal leur nature factice. Mais le plus embêtant tient à la personnalité même d’Agon, un imposteur de premier ordre qui par la magie d’un scénario stupide succombe soudain à la superstition. Loin de remettre en doute la « magie » qui entoure Allan Quatermain, le préservant de la mort, il quitte la cité sans demander son reste, emmenant avec lui sa garde rapprochée (et armée !), alors qu’il a sous sa coupe un peuple non seulement naïf mais pacifique. Déjà mauvais, le film atteint alors les tréfonds de la nullité, ne reculant devant aucun stratagème pour gonfler son intrigue. Et le film de proposer en guise de clou du spectacle l’une des batailles les plus molles de l’histoire du cinéma lors de laquelle Allan Quatermain triomphera presque par inadvertance d’un Agon grimaçant.
Voici donc comment, sous l’égide de la Cannon, Allan Quatermain acheva sa piètre carrière, laissant de côté folklore en toc et magie de bazar pour se lancer dans l’aventure ultime : le mariage. Il est néanmoins amusant de constater que l’imitateur a bien malgré lui inspiré son modèle, puisque de La Dernière croisade au Royaume du crâne de cristal, Indiana Jones lui-même cherchera à renouer des liens familiaux (la quête du père) puis finira par renoncer à sa vie de patachon pour se passer la corde au cou. En somme, Allan Quatermain et la cité de l’or perdue ne marque pas seulement la fin d’une franchise bâclée, mais bel et bien d’un genre dans son intégralité. Fâcheux constat pour un triste spectacle.