A Dirty Shame – John Waters
A Dirty Shame. 2004Origine : États-Unis
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Considéré comme le grand Pape du trash jusqu’à Polyester, John Waters a par la suite considérablement mis de l’eau dans son vin. Après un ultime film avec son acteur vedette et ami Divine (Hairspray, 1988), pétillante comédie musicale de très bonne tenue, John Waters a fini par ouvrir son univers très fermé à des acteurs plus grand public (Johnny Depp, alors coqueluche des teenagers avec la série 21 Jump Street dans Cry Baby, Kathleen Turner dans Serial Mother, Edward Furlong et Christina Ricci dans Pecker, et enfin Melanie Griffith dans Cecil B. Demented). En dépit des apparences, son cinéma n’est pas pour autant devenu conformiste. Ses obsessions restent les mêmes, seule la manière de les exprimer a changé. Et c’est justement dans cette voie trash plus policée que se sont engouffrés de jeunes réalisateurs, à la tête desquels trônent les frères Farelly (Dumb et Dumber, Mary à tout prix). Comme conscient de la concurrence et avec la volonté de montrer qui est le patron, John Waters décide de changer son fusil d’épaule et de revenir à un cinéma plus rentre-dedans, plus décomplexé. A l’instar de ses premiers films, A Dirty Shame ne fait donc pas dans la dentelle.
Sylvia Stickles (Tracey Ullman) est une femme respectable quoique un peu trop rigide, au grand dam de son mari (Chris Isaak). Elle vit d’ailleurs très mal les avances de celui-ci au petit matin, qu’elle trouve particulièrement déplacées. Mais ceci n’est rien à côté de la honte qu’elle éprouve à l’égard de sa fille Caprice (Selma Blair), danseuse de boîte de nuit plus connue sous le sobriquet de Ursula Udders (qu’on peut traduire par mamelles ou nichons). Et comme si cela ne suffisait pas, c’est tout le quartier qui semble touché par une vague de lubricité. Touchée à la tête lors d’un accident de la circulation, la très sage Sylvia se transforme soudain en nymphomane sous les bons soins de Ray Ray (Johnny Knoxville), une sorte de gourou du sexe qui vise à étendre cette vague de lubricité au monde entier.
Dans le milieu du cinéma en général, et le cinéma américain en particulier, la question du sexe et de sa représentation demeure encore aujourd’hui un sujet transgressif. Après avoir souvent tourné autour par le passé, John Waters décide d’en faire le cœur de son nouveau film en dépeignant la lutte acharnée que se livrent les Coincés et les Obsédés. De manière schématique, John Waters nous donne là sa vision de la société américaine telle qu’elle est (les Coincés) et telle qu’il la souhaiterait (les Obsédés). Par l’intermédiaire du personnage de Ray Ray, il exhorte ses concitoyens à se libérer d’un mode de vie corseté et puritain qui les conduit à nier toutes pulsions sexuelles jusqu’à la notion même de plaisir. Ses Obsédés se veulent représentatifs de l’essentiel des pratiques sexuelles répertoriées, occultant tout de même la pédophilie et la zoophilie. Tout provocateur qu’il est, John Waters s’impose quelques limites.
Construit essentiellement autour de l’idée d’affrontement, son cinéma se fait ici plus agressif et rentre-dedans que d’ordinaire. Les Obsédés ne combattent pas juste pour avoir le droit de vivre leur sexualité comme ils l’entendent, mais au contraire pour imposer leur lubricité à toute la population. Le final se veut ainsi sans équivoque puisque leur déferlement dans ce paisible quartier pavillonnaire de Baltimore s’apparente à une invasion de zombies, contamination à l’appui. Un rapprochement non dénué de sens puisque obsédés comme zombies répondent à une même terminologie. Après tout, ne parle t-on pas des plaisirs de la chair pour évoquer l’acte sexuel ? De cette analogie naît le seul véritable moment de drôlerie du film, ou tout du moins, en constitue son ressort comique le plus efficace. Pour le reste, John Waters se montre particulièrement lourd et manquant sérieusement d’imagination. Ainsi, il multiplie les plans sur une nature aux formes très subjectives (arbres et fleurs, tour à tour phallus ou vulves). Nous avons même droit à un écureuil lubrique, immortalisé par d’hideuses images de synthèse. Et pour ceux qui n’auraient pas encore compris qu’un vent de lubricité soufflait sur le quartier, John Waters parsème son film de mots sans équivoque s’affichant à même l’écran.
Comme à son habitude, le réalisateur s’appuie sur un noyau familial autour duquel il construit son intrigue. Ici, les membres de la famille Stickles représentent chacun à leur manière une approche du sexe. A la frigidité de Sylvia s’oppose la totale désinhibition de Caprice. Quant au père, il sert de trait d’union entre les deux, désireux de connaître une vie sexuelle épanouie sans non plus tomber dans les excès. Ni pudibond, ni obsédé, il incarne le respect dans toute sa splendeur, soucieux de mener une vie tranquille sans s’immiscer dans celles de ses voisins et de les juger. A travers ce personnage, on retrouve cette ode à la tolérance si chère à John Waters, mais ici noyée dans un tel salmigondis de vulgarités qu’elle en devient vaine. Bien entendu, la vulgarité a toujours été une composante du cinéma de John Waters. Cependant, sous couvert de cette vulgarité parfaitement assumée, se cachait un véritable amour pour des personnages hors normes, quelques peu marginalisés au sein d’une société trop policée, et que John Waters s’ingéniait à réhabiliter. Là, on ne ressent rien de tout ça. A Dirty Shame, plus qu’aucun autre de ses films, ressemble à une farce bien grasse dont le seul but est de jouer avec les tabous (et encore, pas tous) à l’aide de personnages plus caricaturaux les uns que les autres. Ce qui pouvait encore passer pour de la subversion au début de sa carrière passe aujourd’hui pour un aimable délire entre potes, tout ce qu’il y a de plus inoffensif. L’humour du film se veut même régressif, notamment via le caméo de David Hasselhoff dont les excréments participent à la folie du final. Un gag qui en dit long sur le niveau d’un film qui n’hésite pas non plus à flirter avec le fantastique, dans un grand n’importe quoi révélateur d’un bâclage qui n’est pas sans rappeler les derniers Russ Meyer.
A Dirty Shame s’apparente au chant du cygne d’un réalisateur à bout de souffle dont les provocations ne choquent plus grand monde. Dans le domaine, des réalisateurs plus sérieux comme Larry Clarke ou Gaspar Noé ont pris le relais. Aujourd’hui, John Waters est entré dans le domaine public, récupéré par Hollywood. Le remake de son Hairspray, qu’il cautionne par un petit rôle, a obtenu un tel succès qu’une suite est en préparation. Et voilà comment le Pape du trash s’est dissout dans l’usine à rêves.