A couteaux tirés – Rian Johnson
Knives Out. 2019.Origine : États-Unis
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Comme chaque matin, Fran apporte le petit-déjeuner à son employeur, l’écrivain à succès Harlan Thrombey. D’abord étonnée de ne pas le trouver dans sa chambre, elle pousse un cri d’effroi en le découvrant baignant dans son sang dans la petite bibliothèque du dernier étage de son immense maison de style néo-gothique. Quelques jours plus tard, après l’enterrement, les inspecteurs de police Elliott et Wagner procèdent à des interrogatoires individualisés de chaque membre de la famille sous le regard avisé de Benoît Blanc, un célèbre détective engagé de manière anonyme. Alors que tout porte à croire que l’écrivain s’est suicidé, le détective se persuade du contraire et obtient de la police un délai de 48 heures pour mener l’enquête. Pour cela, il sollicite l’aide de Marta Cabrera, l’infirmière à domicile de Harlan, laquelle pourrait en savoir bien plus sur le drame que ce qu’elle consent à dire.
Cinquième film de Rian Johnson, A couteaux tirés (à ne pas confondre avec le drame éponyme de Charles Gérard sorti en 1964 ou encore le survival conflictuel de Lee Tamahori datant de 1997) fournit l’occasion d’effectuer un bref survol d’une carrière démarrée en 2005. Davantage qu’un style, il se détache de ses films une volonté d’apporter une cure de rajeunissement aux genres abordés. Dans Brick, il dépoussière le film noir en transposant un univers à la Raymond Chandler dans les couloirs d’un lycée. L’enquêteur, un lycéen comme les autres joué par son acteur-fétiche Joseph Gordon-Levitt, démontre une abnégation qui n’a d’égal que ses mauvais goûts vestimentaires (des mocassins, berk !). Avec Une arnaque presque parfaite (2007), il joue la carte de la manipulation autour d’un triangle amoureux, comme un lointain écho à L’Arnaque de George Roy Hill tout en préfigurant les divers retournements de situation d’A couteaux tirés. Arrive ensuite le projet plus ambitieux de Looper où Joseph-Gordon Levitt et Bruce Willis jouent le même personnage dans des temporalités différentes. Un micmac temporel à mi-chemin du sérial (le grossier maquillage de Joseph Gordon-Levitt) et du manga (le final). Ce film lui ouvre grand les portes du blockbuster. Et pas n’importe lequel puisqu’il participe ni plus ni moins au retour de la saga la plus populaire qui soit, Star Wars, en se chargeant de l’épisode VIII – Les Derniers Jedi. Au-delà du spectacle proposé particulièrement décevant, à la limite du surplace, cet épisode nous le montre en mode sale gosse. Rian Johnson s’ingénie à détricoter systématiquement tout ce que son camarade J.J. Abrams avait échafaudé, lui coupant ainsi l’herbe sous le pied. Un jeu de déconstruction dont la haute figure de Luke Skywalker ne sort pas indemne, dépeint en vieil homme acariâtre et désabusé. On sent une réelle envie d’accélérer la passation de pouvoir entre l’ancienne génération et la nouvelle, idée qui se retrouve au cœur d’A couteaux tirés sur fond de successions contrariées.
D’emblée, Rian Johnson place A couteaux tirés sous le haut patronage de l’œuvre d’Agatha Christie et des adaptations cinématographiques qui en ont découlé, des productions le plus souvent luxueuses et à la distribution ronflante. Un rapide coup d’œil au générique indique que sur ce point, il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Du beau monde a été convoqué et parce que l’intrigue se déploie dans la sphère familiale avec tout ce que cela présuppose en télescopage de générations, les acteurs brassent le plus large public possible jusqu’aux adolescents avec notamment Chris Evans (le Captain America en titre), Katherine Langford (personnage pivot de la série 13 Reasons Why) ou encore Jaeden Martell (Bill Denbrough dans Ça, 1ere partie). Et cerise sur le gâteau, Daniel Craig délaisse la retenue neurasthénique de son James Bond pour cabotiner allégrement dans la peau d’un simili Hercule Poirot. Un contre-emploi clé-en-main dont il s’empare avec gourmandise. Ce genre de projet s’avère particulièrement propice aux numéros d’acteurs, ce qui explique que les grands noms se bousculent au portillon. Le film semble se diriger dans cette voie à la faveur des interrogatoires successifs des membres de l’entourage de l’écrivain. Rian Johnson s’amuse à entrecouper les témoignages de flashbacks qui agissent en contrepoint, témoignant de leur duplicité tout en nous dévoilant la manière dont les événements se sont réellement déroulés. Par cet effet de montage, il fait de chacun des interrogés un suspect potentiel, tous ayant un mobile susceptible de les pousser à commettre l’irréparable. Ces scènes permettent non seulement de caractériser chaque membre de la famille mais également de dessiner le portrait de la victime, l’éminent Harlan Thrombey. Ce dernier nous apparaît comme la parfaite illustration du rêve américain. Parti de rien, il s’est construit petit à petit à coup de romans policiers dont le succès grandissant lui a garanti fortune et gloire. En bon père de famille, il s’est par la suite senti le devoir d’aider ses enfants, assurant la partie financière de leurs projets. Une manière de les maintenir sous sa coupe tout en s’imposant comme la pierre angulaire de l’empire familial. Néanmoins, Rian Johnson se garde bien d’en faire un monstre d’arrogance qui chercherait à écraser ses enfants. Au contraire, il le dépeint sévère mais juste, ayant avant tout le souci de préserver sa descendance (il somme Richard Drysdale, son gendre, d’avouer son adultère à Linda) quitte à devoir les protéger d’eux-mêmes. En somme, Harlan connaît la valeur de l’argent et du travail bien fait, et sait reconnaître cela à autrui, au contraire de ses enfants, nés avec une cuillère dorée dans la bouche et qui traitent avec mépris tous ceux qu’ils considèrent comme étant inférieurs à eux. Sans même connaître l’identité du coupable, les enfants Thrombey et leurs progénitures apparaissent comme de parfaits salauds, imbus de leur petite personne et parfaitement détestables. Tous les ingrédients sont donc réunis pour une crise familiale d’ampleur où les rancœurs des uns et des autres exploseraient en un jeu de massacre jubilatoire en attendant les conclusions de Benoît Blanc. Or Rian Johnson casse cette dynamique en versant dans la lutte des classes, maintenant les Thrombey soudés contre un ennemi commun inattendu, l’émigrée Marta Cabrera.
Le whodunit annoncé ne résiste pas au témoignage de Marta Cabrera, lequel est construit comme l’extrait d’un roman de Harlan Thrombey. La demoiselle est l’honnêteté incarnée, vomissant littéralement le mensonge. A son endroit, Rian Johnson use d’un gimmick potache qui ne suffit pas à troubler le joli minois de Ana de Armas. Ah, la magie du cinéma ! Malicieux, le réalisateur prend le parti de révéler rapidement le pot-aux-roses pour ensuite s’amuser des efforts maladroits de Marta pour masquer la vérité. Ce faisant, il délaisse les plates-bandes d’Agatha Christie pour lorgner du côté de Columbo. Nous connaissons “l’assassin” et toute l’intrigue consiste alors à suivre Benoît Blanc dans ses investigations et le jeu de dupes qui s’instaure avec Marta. Un duel phagocyté par la présence subitement insistante de Hugh “Ransom” Drysdale, le petit-fils de Harlan constamment en opposition avec le reste de sa famille. Hugh en est en quelque sorte le vilain petit canard, le rejeton glandeur et flambeur qui se repose sur la fortune familiale afin d’assurer son train de vie. Un sale gosse capable de manquer l’enterrement de son grand-père mais pas l’ouverture de son testament. Il se situe en réalité dans la droite lignée de sa famille, à la différence qu’il assume totalement son mode de vie de parvenu et son attitude méprisante. Son ralliement à Marta, alors que tous les autres membres de la famille la voue aux gémonies, la traitant de mille noms d’oiseau à la lecture du testament qui en fait l’unique héritière de l’empire Thrombey, sonne comme l’ultime doigt d’honneur de l’enfant répudié. Loin de relancer l’intrigue, ce rebondissement entraîne le film dans un schéma policier plus classique. Les autres membres de la famille se retrouvent relégués au second plan, prisonniers de leurs personnalités caricaturales, lesquelles n’évoluent pas d’un iota tout au long du film, au profit de la trinité Marta, Benoît, Hugh. A la suite de l’infirmière à domicile, le récit se nimbe de trop de gentillesses et de bons sentiments, ce qu’accentue l’attitude de Benoît Blanc qui trouve un regain d’énergie au contact de cette “sainte”. Son enquête devient alors le prétexte à une croisade anti riches, comme s’il mettait un point d’honneur à ce que les dernières volontés de Harlan Thrombey soient pleinement respectées. A mesure que l’intrigue progresse, Rian Johnson se fait plus paresseux, use de subterfuges pour maintenir l’intérêt (une course-poursuite motorisée, un nouveau mystère autour de la mort d’un personnage secondaire) et de rebondissements à l’issue téléphonée. Tout cela manque singulièrement d’épaisseur et apparaît trop théâtral, dans le mauvais sens du terme, à l’image de cet ultime plan qui illustre ostensiblement le nouveau rapport de force entre Marta et les Thrombey.
A n’en pas douter, Rian Johnson connaît ses classiques et en bon petit malin, il ne rechigne pas à glisser des références au détour des scènes (un extrait d’un épisode de Arabesque passe fugacement à l’écran). Un petit jeu de citations qui a tendance à prendre le pas sur son ambition de départ, en l’occurrence l’examen des relations sociales et les différentes couches de l’Amérique contemporaine par le prisme d’une histoire policière divertissante. Sur ce point, son écriture se fait plus lourde. Il dessine ses personnages à gros traits et ne parvient pas à les sortir d’une certaine symbolique qui confine à l’angélisme dans le cas de Marta. Quant à l’intrigue policière, à force de nous mettre quasi immédiatement dans la confidence, elle tourne rapidement en rond. Et sur près de 2 heures d’enquête, le temps paraît long. Cela dit, il a réussi son coup. Le public a suivi au point qu’une suite – comprendre une nouvelle enquête de Benoît Blanc – soit envisagée. Mais ça, c’était avant la pandémie. Il n’est pas dit qu’un tel projet fasse partie des priorités du studio lorsque la vie reprendra son cours normal.
Rian Johnson a toujours critiqué les riches dans ses films et mème dans le dernier jedi cela parait évident, la force ne devait plus être le droit de quelque élus mais devait revenir au peuple via les jeunes qui travaillent dans les étables. A coté de ca, on a des riches qui jouent au casino, dans une insouciance, alors que la guerre fait rage, une allusion est faite par le personnage de Rose, que ce sont des profiteurs de guerres.
On retrouve un peu la même chose dans Looper, un mafieux du futur campé par Jeff Daniell, avec un fils assez stupide pour se tirer une balle dans le pied, voila l’image des nouveaux riches dans un futur ou règne la pauvreté. Mais les loopers ne valent pas mieux, le personnage de Gordon Levitt est prêt à donner son ami, pour ne pas perdre la moitié de sa fortune amassé, et les loopers n’ont aucun problème à dépenser l’argent sur l’exécution de centaine de personnes, dont ils feront eux mème partie dans 30 ans.
Tout comme dans à couteaux tirés, ce sont les pauvres qui ont le role de victimes, mais qui feront chuter toute cette caste de riche, comme le maitre des pluie dans Looper.