Spider-Man, l’histoire d’une vie – Chip Zdarsky & Mark Bagley
Spider-Man: Life Story. 2020Origine : États-Unis
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Des années 60 jusqu’à aujourd’hui, suivez Spider-Man à travers tous les moments importants de sa vie : ses combats épiques contre les super-vilains, les Guerres Secrètes, Civil War mais aussi la guerre du Vietnam ou encore le 11 septembre. Ce one-shot exceptionnel célèbre toute la richesse de la Maison des Idées.
Et si Peter Parker avait vieilli naturellement depuis sa naissance ?
Que voilà une idée saugrenue diront les lecteurs de comics habitués qu’ils sont à la compression temporelle appliquée à leur lecture. Pourtant…
Marvel, aka la maison des idées, a toujours essayé de donner un coté réaliste à ses publications contrairement à la distinguée concurrence qu’est DC. Chez Marvel point de Métropolis ou de Gotham mais plutôt New York, Westchester County, San Francisco… L’éditeur a toujours fait en sorte que le lecteur retrouve au fil des pages des lieux connus, familiers comme l’île de Manhattan fief de notre tisseur préféré. Mais bien qu’ancrés dans la réalité géographique, nos adeptes des tenues en lycra © n’ont pas accepté l’idée de vieillir à un rythme normal. Dans les faits, la première salve de super héros est née en 1961 avec les 4 fantastiques puis suivent Iron Man, Thor, Hulk, les Vengeurs et celui qui nous intéresse, Spider Man, en août 1962. Et c’est là que le miracle de la fameuse compression temporelle entre en jeu… Mais qu’est ce donc que cette fameuse compression temporelle appliquée aux comics ? ComiXrayS feat. Mar Vell essayent de nous donner une explication détaillée dans la vidéo suivante : LE TEMPS CHEZ MARVEL COMICS !
Bref vous l’aurez compris ce n’est pas simple de garder éternellement “jeunes” nos personnages comics adorés, mais depuis bientôt 80 ans l’éditeur y arrive et nous l’acceptons sans sourciller. Donc… pourquoi changer ce qui fonctionne ?
Un concept inattendu pour un résultat génial
Lecteur de comics depuis plus de 30 ans, votre humble serviteur a pu vivre les différents changements abordés dans la vidéo de ComiXrayS, la renaissance d’Iron Man en Afghanistan entre autres mais aussi le maintien du statu quo pour d’autres comme Scott Summers et Jean Grey qui ont attendu 1994 pour se marier alors qu’ils s’aiment depuis 1963, ou la création de l’entreprise de Peter Parker, Parker Industries, en 2014 alors que le héros n’a que 25 à 30 ans max… Bien d’autres anecdotes pourraient être mises en avant dans cette chronique mais il s’agit de Spider-Man alors concentrons nous sur sa “vie”.
Comment arriver à assimiler le changement d’époque lorsqu’on voit la différence entre les 2 modèles de spider mobile ?
L’exemple est plutôt brutal diront certains mais difficile d’imaginer que quelques années seulement séparent la conception des deux véhicules et ce qui est présenté ici en image aurait pu l’être aussi par le style vestimentaire. Car oui Peter Parker a porté des chemises pelle à tarte et des pantalons pattes d’éléphant lors de sa jeunesse. C’est en remontant le temps des frasques de Petey que nos deux auteurs ont eu cette idée géniale tout autant qu’effrayante : Et si Parker, et par extension l’univers Marvel, avait suivi le cours du temps ?
Deux auteurs, 6 comics, un scénario novateur
Commençons par celui qui nous a pondu le scénario de ce One shot : Chip Zdarsky.
Chip Zdarsky, né Steve Murray, est un auteur de bande dessinée et journaliste canadien qui œuvre parfois sous le pseudo de Todd Diamand. Il offre depuis plus de 20 ans de nombreuses chroniques et illustrations pour les journaux outre-Atlantique (Canada et USA) ainsi que des comic books humoristiques à compte d’auteur. Pas un jeunot dans le métier. C’est en 2013, sous le label Image Comics, qu’il s’expose aux feux des projecteurs avec Sex Criminals sur un scénario de Matt Fraction, ce qui lui offre rapidement un large succès public et critique. Quelques années plus tard, on voit son nom apparaître chez Marvel sur de nombreux titres comme Avengers, les gardiens de la galaxie, Spider-Man, Daredevil, Original Sin et bien d’autres.
Alors que le Tisseur fête bientôt ses soixante ans de bons et loyaux services, Chip Zdarsky propose un projet ambitieux : Spider-Man : L’Histoire d’une Vie avec un concept novateur à plus d’un titre à Marvel : et si l’on retraçait le parcours de Peter Parker en temps réel, depuis son apparition dans les années 60 jusqu’à nos jours ?
Durant 6 fascicules, le scénariste couvre 6 décennies (60, 70, 80, 90, 2000, 2010) durant lesquelles Spidey vit au rythme de la vie américaine classique et la vie comics, le tout accompagné de ses amis et ennemis. Au travers des 200 pages du One Shot français sorti il y a peu, le lecteur va suivre un mix incroyable entre les aventures de Peter/Spidey face à ses ennemis que sont Doc Octopus, le Bouffon vert, Kraven le Chasseur et les évènements marquant des États Unis d’Amérique comme la guerre du Vietnam, l’avènement du disco (au travers du célèbre Studio 54), le 11 septembre…
Une idée simple quand on l’énonce mais assez complexe à mettre en œuvre sur le papier. Il est facile d’inventer une histoire qui ne touche qu’un seul personnage mais le fait est que Spider-Man a fréquenté de nombreux héros comme les 4 Fantastiques, les X-Men, les Vengeurs, Iron Man… Une vrai toile d’aventure dans laquelle il est facile de se prendre au point d’être piégé dans un récit indigeste.
Et c’est là qu’explose le talent de Chip Zdarsky. En prenant de petites parts de ce qui fait le mythe de Spidey et l’histoire de Marvel, il a réussi à rendre le tout cohérent. Mieux, il a fait de Spider-Man L’Histoire d’une Vie une réinvention du mythe. Dans ces 200 pages on découvre un hommage aux grandes sagas de Spidey avec comme fil rouge permanent “With great power, comes great responsibility“, avec un Peter qui prend de l’age et découvre que ses responsabilités changent en fonction de l’âge qu’il a et celui des gens qui l’entourent. Le récit en devient touchant pour les fans inconditionnels tout autant que plaisant à découvrir pour les profanes qui découvriront un Spider-Man plus proche d’eux qu’il ne l’aura jamais été pour les vieux briscards que nous sommes.
Au final, s’il ne fallait retenir qu’une chose de ce scénario et de son scénariste ? C’est un tour de force maitrisé de bout en bout par un auteur de talent qui a réussi à rendre le personnage le plus humain du panthéon super héroïque Marvel encore plus proche de nous, ce qui est en tout point exceptionnel.
Dans un comics un scénario n’est rien sans un dessinateur à la hauteur
Comment parler du dessinateur Mark Bagley sans en faire un article complet ?
Commençons par une rapide bio qui rappelle à l’auteur de ces lignes un autre grand nom de la BD, Roger Leloup. Comment comparer deux auteurs si différents ? Simplement via une petite anecdote : c’est à Leloup que Tintin doit le dessin et les aménagements du jet du milliardaire Carreidas dans Vol 714 pour Sidney. En effet le dessinateur a œuvré pour Hergé sur certains titres de Tintin après qu’il fut l’assistant de Jacques Martin sur Alix. De son coté Mark Bagley a débuté sa carrière en tant qu’illustrateur technique pour Lockheed. Certes le lien est capillotracté mais il n’en fallait pas plus pour se rendre compte que dessiner des avions permet souvent de prendre son envol… Et c’est le cas lorsque Bagley entre dans le monde des Comics en gagnant un concours pour Marvel Try-Out Book. Dès 1991, il s’attèle à The Amazing Spider-Man, jusqu’en 1996. En 2000, c’est via le titre Ultimate Spider-Man qu’il obtient ses lettres de noblesse en offrant un Peter Parker au goût du jour avec des origines rajeunies et surtout une timeline raccord à la nôtre. Bagley nous propose graphiquement, sous le scénario de Brian Michael Bendis, un vrai adolescent du 21ème siècle avec un dessin on ne peut plus dynamique et collant à l’univers. Ce n’est pas pour rien que la série Ultimate Spider-Man a réussi le pari d’avoir une longévité qui n’a aucun égal dans tout l’univers Ultimate avec plus de 110 épisodes. C’est d’ailleurs avec cette série de 111 épisodes dessinés sans être remplacé, que le dessinateur battra le record détenu par Jack Kirby avec 102 épisodes sur la série Fantastic Four.
Mais Bagley ne serait pas Bagley si nous ne le disséquions qu’à travers une série. Parmi ses autres créations, on peut citer : Alias, Fantastic Four, Night Thrasher, Robocop, Thunderbolts, Avengers Assemble et même Star Trek. L’homme a passé l’essentiel de sa carrière chez Marvel, de ses débuts il y a plus de 30 ans jusqu’à nos jours (hormis une légère incartade chez DC durant la période 2008-2011) et ces 30 ans de carrière lui ont donné l’occasion de peaufiner la qualité de son style pour arriver à l’apothéose sur ce Spider-Man, l’histoire d’une vie où il se lâche pour donner vie à chacun des protagonistes de cette œuvre anniversaire
Deux talents peuvent il nous offrir le Graal du comics ?
Bien que ce soit douloureux à dire : “oui MAIS…” (essayons d’être objectif entre deux larmes de joie)
Comme expliqué durant ces lignes, Spider-Man : L’Histoire d’une Vie ne propose pas une réinvention de la vie de Parker comme ce fut le cas avec le travail de Dan Slott sur Superior Spider-Man. Le scénariste Chip Zdarsk a préféré s’attacher aux motivations et rêves de Parker en les collant à la réalité plutôt qu’à Spider-Man et à ses aventures trépidantes. De sa jeunesse d’étudiant dans les années 60 lorsque la guerre du Vietnam est à son apogée et que le jeune Pete, plein d’idéaux, se retrouve révolté par la politique américaine et se demande si ses pouvoirs ont leur place dans le conflit, à l’homme mûr qui abandonne sa famille poussé par ce sens du devoir hérité de la mort de son oncle, on découvre un Parker différent des comics habituels qui doit composer avec l’âge qui lui apporte de nouveaux fardeaux comme la vieillesse, la famille, la complexité de mener une vie d’homme classique et de super héros. De ce côté donc le contrat est rempli de bien belle manière au point qu’à la dernière planche on ne peut s’empêcher de verser sa petite larme. Côté dessin, Bagley donne le meilleur de lui-même en nous offrant des planches d’un dynamisme hors du commun tout en offrant des personnages vivants aux visages expressifs. On pourrait craindre de voir vieillir nos héros mais il n’en est rien, on finit même par les apprécier d’autant plus.
Mais c’est là que le puriste tique. L’histoire des comics ce n’est pas que des personnages mais aussi des dessinateurs avec leurs pattes graphiques parfois propres à une époque. Quand on lit un comics quel qu’il soit (en tant que fan et non néophyte), on peut deviner l’époque au style apporté. Les dessins de spidey issus des années 60 voire 70 sont à mille lieues de ce qui se fait aujourd’hui, ne serait-ce que par les techniques utilisées et les inspirations… Et c’est sans doute le reproche qu’on peut faire à ce comics : couvrir 60 ans sans changer un iota de style graphique.
Sinon, de la première à la dernière page, Bagley et Zdarsky ont réussi un pari osé en nous offrant un récit touchant, les lecteurs amateurs de comics trouveront plaisant de découvrir un Spidey plus proche de nous que jamais (Spidey est vraiment notre “Friendly Neighbour”) et les profanes se trouveront face à un un comic book proche d’un récit réaliste qu’on ne risque pas de retrouver avant longtemps, hélas. En conclusion une des plus belles surprises de ce déconfinement qui permet à Marvel de mériter son nom de “maison des (très bonnes) Idées”.