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La Tétralogie du monstre, tome 1 : Le Sommeil du monstre – Enki Bilal

La Tétralogie du monstre
Tome 1 : Le Sommeil du monstre. 1998

Origine : France
Genre : Science-fiction
Dessins : Enki Bilal
Scénario : Enki Bilal
Editeur : Les Humanoïdes associés, Casterman

Nike est un spécialiste de la mémoire. Lorsque le lecteur le découvre, il est capable de se souvenir du 18ème jour de sa vie. A 18 jours, il peut reconnaître le souffle de l’air du souffle des bombes, et un tir de mortier de T 34, nous dit-il.

Enki Bilal est un artiste à part dans le paysage de la bande dessinée. Son style graphique s’éloigne de la production générale. Il ne cherche jamais à faire du beau pour le beau, il essaie de faire du réaliste. Ce réalisme ne se traduit pas par un réalisme proche de notre réalité, mais bel et bien de celle qu’il veut nous conter. C’est pour cela qu’on arrive à se plonger aussi facilement dans son univers. Cela ne fait aucun doute, ses dessins sont beaux, autant qu’il est possible de définir ce qu’est la beauté dans l’art. Mais c’est une beauté particulière. Car ce que Bilal nous montre est sale, violent, avec des décors et des personnages dont les traits sont tirés à l’extrême de par ces filaments qui se traînent, donnant à l’histoire une impression de trop vite, comme si le passé n’arrivait pas à suivre.

Nike s’est mis en tête de retrouver deux de ses camarades. Avec eux, il forme un trio, un trio de bébés nés à Sarajevo en 1993 ayant partagés le même lit. Il se souvient de leurs noms, il se souvient d’où ils viennent. Amir est arrivé en second, fils d’un sniper mort, et Leyla est arrivée ensuite. Nike veut les retrouver.

Mais ce dernier n’est pas libre de ses gestes. Victime d’une attaque terroriste, on découvre à travers les yeux de cet homme l’étendu du monde que nous propose Enki Bilal. Ne vous attendez donc pas à un futur radieux. Nous sommes en 2026 et la Terre a connu de nombreux bouleversements. Les religions ont fait leur retour à un tel point que certaines en sont venues à s’associer pour devenir encore plus puissantes et imposer leurs points de vues. Sans trop dévoiler la trame de l’histoire, Nike va être au centre d’un imbroglio politique.

Avec Le Sommeil du monstre, Enki Bilal nous montre le monde tel qu’il pourrait être dans quelques années. Un monde où le refuge vers la religion est omniprésent, où l’extrémisme religieux, l’ultralibéralisme et l’ « ultrascience » s’opposent ou se marient pour mieux régner.

Au-delà de sa vision très personnelle du futur, Enki Bilal nous livre une histoire très intime, nous plongeant dans les méandres de la mémoire d’un homme dans un monde où rien n’a été retenu du passé. La mémoire est à la base de cette œuvre qui fascine par tant de détails, par tant de complexité, par tant d’immondices. Ne vous attendez pas à une œuvre de science-fiction toute lisse, on ressort de ce livre les mains moites, avec l’étrange sentiment que ce qui nous est proposé peut bel et bien arriver un jour lorsqu’on fait un constat même sommaire de notre présent.

Mais ce qui fait que l’histoire est terriblement intime, ce n’est pas tant la vision très personnelle du futur que nous offre Bilal (après tout, il l’a déjà fait plusieurs fois, et encore récemment avec Animal’z), c’est surtout que l’auteur nous replonge dans un conflit qu’il connaît bien, celui de l’éclatement de la Yougoslavie, lui-même né à Belgrade en 1951 et qui a donc suivi ce conflit avec intérêt. L’horreur qui en résulte, c’est un peu les bases de cette œuvre, trilogie au départ, tétralogie à la fin, qui naît sur les cendres d’une guerre qui connut les pires atrocités. Génocides, massacres, camps, guerres de religions, guerres ethniques, guerres idéologiques, comme si ces multiples conflits rassemblaient et résumaient à lui tout seul l’ensemble des conflits du 20ème siècle. Et pire que tout, ce laboratoire fut regardé par les grandes puissances de l’époque, par l’ONU elle-même avec une sorte de nonchalance qui ne laissa guère de chances aux populations les plus démunies.

A partir de là, Bilal dresse sa vision de l’humanité. Il ne s’agit même pas d’impuissance, mais surtout d’un manque flagrant de volonté. Et à trop laisser faire les choses, Bilal y voit un monde ravagé par les conflits internes. Les problèmes du 20ème siècle sont toujours autant présents, sinon plus, et au lieu de les combattre, on les a épousés.

Avec Le Sommeil du monstre, vous l’aurez compris, Bilal nous livre une œuvre terriblement personnelle, qui met parfois mal à l’aise de par son réalisme. Cette œuvre de science-fiction, ou peut-être même d’anticipation, est une réussite totale. Ce premier ouvrage ouvre la porte à trois autres qui ne feront que mieux développer les intérêts et l’ensemble des rouages d’un monde qui, même s’il est différent du notre, s’en rapproche dangereusement.

De par ces quelques lignes, je n’ai pu hélas tout développer. (La trame scénaristique est terriblement complexe.) Je vous invite vivement à lire ce livre qui a tout d’une œuvre intelligente : structure narrative originale et logique, vision personnelle et réaliste du futur, mais surtout, une capacité incroyable à faire réfléchir.

 

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