CinémaPolar

Cat Chaser – Abel Ferrara

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Cat Chaser. 1989.

Origine : États-Unis
Genre : Polar ensoleillé
Réalisation : Abel Ferrara
Avec : Peter Weller, Kelly McGillis, Frederic Forrest, Tomas Milian…

Ancien G.I. ayant participé à l’intervention de l’armée américaine en République Dominicaine en 1965, George Moran (Peter Weller) coule désormais des jours paisibles au Coconut Palms, l’hôtel dont il est le propriétaire. Or, sans le vouloir, il se retrouve au milieu d’une machination visant à extorquer une fortune au mafieux dominicain Andres DeBoya (Tomas Milian), du fait des liens qu’il entretient avec l’épouse de ce dernier, Mary DeBoya (Kelly McGillis), une femme originaire comme lui de Détroit. Amoureux d’elle, et réciproquement, il va devoir éviter les coups émanant de part et d’autre s’il veut pouvoir se lever tous les jours aux côtés de l’être aimé.

Cinéaste urbain par excellence -son précédent film n’était autre qu’une adaptation de Roméo et Juliette sise entre les quartiers de Little Italy et Chinatown à New York (China Girl, 1987)- Abel Ferrara étonne son monde en s’attaquant à Cat Chaser, l’adaptation éponyme d’un roman ensoleillé de Elmore Leonard. Pour l’occasion, il délaisse l’asphalte humide des rues new-yorkaises pour l’air salin des côtes de Floride. Le changement est moins rude pour lui qui y a déjà travaillé en tournant deux épisodes de la série Miami Vice que pour nous, qui sommes plus habitués à voir sa caméra arpenter les bas-fonds de la Grosse Pomme. Néanmoins, et au-delà de cette simple considération d’ordre géographique, c’est la tonalité même du film qui déroute.

Dans Cat Chaser, rien ne semble avoir d’importance. A l’instar de George Moran, Abel Ferrara filme son histoire de manière nonchalante sans trop se préoccuper de ce qui se passe alentours, comme s’il avait mis des œillères. Ainsi, la guerre impérialiste que les États-Unis ont mené en République Dominicaine, et parallèlement au Vietnam pour un retentissement médiatique quasi nul, ne sert que de lointaine toile de fond alors que Abel Ferrara aurait pu en faire le cœur du film, d’autant plus qu’il s’agit d’un conflit rarement évoqué sur les écrans. L’entame du film laisse croire que ce sera le cas avec ces images d’archives d’un Lyndon B. Johnson justifiant l’injustifiable (« Ce n’est pas nous [les États-Unis] qui sommes les agresseurs là-bas ! »), suivies d’autres montrant quelques échauffourées dans les rues de Saint-Domingue, comme autant de souvenirs douloureux pour le vétéran George qui aurait très bien pu, à même pas 20 ans, y laisser la vie. Sous un calme apparent, George bout à l’intérieur, son esprit ressassant en permanence ces images de la jeune fille -Luci Palma- qui l’avait dans un premier temps attiré dans un guet-apens avant de l’en sortir et de lui laisser la vie sauve. Il souhaite la retrouver, savoir ce qu’elle est devenue et pourquoi elle a agi ainsi. C’est dans l’espoir de se débarrasser de ce lourd traumatisme qu’il entreprend ce voyage à Saint-Domingue, une façon pour lui de solder les comptes du passé pour pouvoir prendre un nouveau départ dans sa vie. Et pour Ferrara, cela aurait pu être l’opportunité idéale d’ausculter l’état d’un pays après l’intervention abusive de l’armée américaine. Or cette escapade dominicaine s’apparente à la fois à une parenthèse et au véritable point de départ de l’intrigue. Parenthèse dans le sens où Ferrara se désintéresse par la suite totalement des implications historiques qu’aurait pu avoir son histoire pour se concentrer sur la passion qui unit George à Mary, passion de laquelle découlent toutes les péripéties à venir. Un choix dommageable pour ceux qui espéraient un film plus critique vis-à-vis de l’impérialisme américain, mais qui n’étonne qu’à moitié dans la mesure où à l’époque, le travail de Ferrara n’était pas encore trop teinté de cette subversion qui accompagnera ses films suivants, et qu’en outre, il ne fait que suivre la logique de son personnage principal.

En un sens, le voyage de George a été couronné de succès. Il est parti à Saint-Domingue dans l’espoir de répondre à quelques questions qui le taraudaient et il en revient avec la certitude de la passion réciproque qui l’unit à Mary. Dés lors, tout ce qui a trait à la République Dominicaine ne l’intéresse plus. A ce titre, il y a une scène autour de la piscine de son hôtel qui est symptomatique de son changement d’état d’esprit. Alors que le Dominicain qui lui avait promis de retrouver Luci Palma a fait le voyage pour faire état de l’avancée de ses recherches, George l’ignore, ne voulant entendre que ce qu’à à dire Nolen, un ancien para chargé de signaler la présence de Mary dans les parages à ses supérieurs, concernant justement Mary et la surveillance dont elle fait l’objet. Du pamphlet politique qu’il aurait pu être, Cat Chaser bascule donc rapidement dans le récit policier classique à base de magot à récupérer. En l’occurrence, il s’agit ici de la réserve de cash que Andres DeBoya conserve chez lui pour avoir toujours un petit pécule à portée de main en cas de départ précipité. Une somme d’argent générique de 2 200 000 $ qui représente à la fois la somme que propose Andres à George pour lui racheter son hôtel et le montant du contrat pré nuptial que ce même Andres a passé avec son épouse. Autrement dit, il s’agit de la somme que toucherait Mary en cas de divorce. Et autour de cette somme d’argent, les attitudes diffèrent. George s’en fout, il repousse l’offre de rachat de Andres, refusant qu’on l’achète. Mary n’en veut pas non plus car elle ne souhaite pas que son mari pense qu’elle le quitte pour l’argent. Quant à Andres DeBoya, il refuse catégoriquement que Mary parte avec l’argent qui lui est dû car il ne veut pas financer la nouvelle vie du type qui lui pique sa femme.

Souvent dans les polars, le héros s’aperçoit trop tard qu’il a été le dindon de la farce. Or si dindon il y a, l’identité de celui-ci n’est pas celle qu’on croit. Déjà cocufié par son épouse, Andres DeBoya a la désagréable surprise de constater que tout le monde lui fait un enfant dans le dos. C’est lui le grand perdant de l’histoire. A ce titre, ce personnage de mafieux sort des sentiers battus. Réputé intransigeant et sans pitié, il se révèle d’une grande fragilité dès qu’il se retrouve face à son épouse. Son amour pour elle est si grand qu’il ne pense pas un instant à la tuer, quand bien même celle-ci l’ait trompé. Pas plus qu’il ne menace la vie de George, l’homme par qui son malheur est arrivé. Star de la grande époque du cinéma de genre italien des années 60-70, Tomas Milian bénéficie d’une seconde carrière outre atlantique depuis les années 80 où il joue constamment les latinos de service, et méchants de surcroît. Au moins le rôle de DeBoya lui permet-il d’aborder avec plus de subtilité ce genre de personnage récurrent du cinéma américain en tordant le cou aux clichés qui voudraient que ces personnages soient totalement dénués de sentiments et de scrupules. D’ailleurs, ce sont les seconds rôles du film qui marquent le plus les esprits. Peter Weller et Kelly McGillis ne sont pas à blâmer pour leur performance tant ils ne sont guère aidés par des personnages assez creux, et dont la quête de bonheur conjugale ne suffit pas à maintenir l’attention. Heureusement, outre DeBoya, Cat Chaser peut compter sur l’apport des duettistes Jiggs Scully – Nolen Tyner pour maintenir notre intérêt en éveil. Le premier, interprété par cette vieille connaissance de Charles Durning (Soeurs de sang), incarne par sa cupidité la vraie menace du film. Machiavélique, il a tout de suite compris tout le parti qu’il pouvait tirer de la relation entre George et Mary. Derrière le masque d’un homme affable et inoffensif se cache en réalité une crapule encore bien plus dangereuse que DeBoya dans la mesure où ses intentions ne sont jamais très claires, évoluant au gré de ses intérêts. Quant au second, interprété par Frederic Forrest (Hammett, Apocalypse Now), il s’agit d’un naïf qui a conservé de ses années de soldat cette aptitude à obéir aux ordres sans se poser de question et sans méchanceté aucune. Le duo qu’ils incarnent est d’autant plus atypique qu’ils ne traînent jamais ensemble, chacun jouant sa partition de son côté : le premier tout en propos mielleux et en retenue, lorsque le second se montre plus exalté voire parfois un peu simplet.

Lorsque Abel Ferrara s’est lancé dans le tournage de Cat Chaser, il avait la tête ailleurs et ça se sent. Sa mise en scène manque de tonus, et on ne retrouve jamais les éclats de violence sèche qui jalonnent son œuvre alors que le récit s’y prêtait idéalement. Pire, le film s’achève sur un happy end franchement étonnant venant de sa part. Film bancal mais pas déplaisant, Cat Chaser est une sorte de récréation avant le sombre King of New York, projet qui tenait tellement à cœur à Abel Ferrara qu’il n’a pas hésité à laisser le montage de Cat Chaser au studio (à qui l’on doit cette pénible et inutile voix off) dès qu’une opportunité de tourner enfin l’histoire de Frank White s’est présentée à lui. Et au vu du résultat –King of New York entre aisément dans le trio de tête de ses meilleurs films- on aurait tort de lui jeter la pierre.

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