Hollywood durant la Seconde Guerre mondiale 2 : Des nations vues par Hollywood
Cette partie n’a pour but que de capter les films les plus représentatifs d’une vision des principaux pays en guerre.
Les films de guerre hollywoodiens représentent les combattants selon les stéréotypes éprouvés : les japonais sont toujours affreusement sadiques, les allemands fanatiques et grotesques, les anglais sont loyaux et les russes follement braves.
Le premier long métrage américain dénonçant la menace nazie, Les Aveux d’un espion nazi (Confessions of a Nazi Spy, 1939) d’Anatole Litvak, avait suscité, ainsi que l’on pouvait s’y attendre, de vives protestations de la part des milieux officiels allemands. Aux États-Unis, le film avait été accueilli avec méfiance.
Tandis que la guerre se déroule en Europe, les films américains censés se passer en Allemagne ou en Italie vont conserver un prudent neutralisme. Ainsi, dans Escape (1940) de Mervyn LeRoy, qui a pour cadre un camp de concentration (reconstitué par le décorateur Cedric Gibbons), les mots “allemands” et “nazi” ont été soigneusement éliminés. Au début de Chasse à l’homme (Man Hunt, 1941) de Fritz Lang, on voit un chasseur anglais échafaudant des plans pour tuer Hitler ; mais très vite, après cette allusion timide, le film retombe dans les conventions du cinéma d’aventures.
Des japonais sadiques
L’attaque de Pearl Harbor, en décembre 1941, va tirer Hollywood de son attentisme. Exploitant l’émotion populaire, les studios s’empressent de réaliser toute une série de films anti-japonais. Les uns sont fort médiocres, comme Remember Pearl Harbor, Little Tokyo, USA ou Secret Agent of Japan, tous produits en 1942. Deux autres productions de la même année, tout en donnant une image stéréotypée des japonais, sont plus intéressantes : c’est le cas de Griffes jaunes (Across the Pacific) de John Huston, et Sentinelle du Pacifique (Wake Island) de John Farrow. Tous ces films vont renforcer l’hostilité – souvent injustifiée – de la population envers les citoyens d’origine japonaise vivant aux États-Unis.
Le film anti-japonais le plus virulent sera produit en 1943 par la FOX. Écrit et produit par Darryl F. Zanuck, réalisé par Lewis Milestone, Prisonniers de Satan (The Purple Heart) est conçu pour raviver la haine des américains à l’égard des japonais à un moment où les opérations en Europe accaparent la une des journaux. Le film ne sera pourtant distribué qu’en 1944, lorsque le département de la Guerre aura admis officiellement que les japonais ont torturé les prisonniers américains. Zanuck est d’ailleurs à ce point convaincu de la valeur de cette œuvre, qu’il se déclare prêt à attendre la fin de la guerre, à condition de pouvoir la distribuer… Tout comme Trente secondes sur Tokyo (1944) produit par la MGM, Prisonniers de Satan s’inspire du fracassant raid sur Tokyo accompli par plusieurs bombardiers B-25 opérant depuis un porte-avion stationné dans le Pacifique (en fait, la capitale japonaise n’avait guère subi de dommages sérieux, mais cet exploit aura un effet revigorant sur le moral de l’Amérique). Le film montre le procès des aviateurs américains abattus au cours de la mission ; ils sont ensuite torturés (on insiste avec complaisance sur le sadisme des japonais), puis passés par les armes, sans que leur culpabilité ait été formellement établie.
Les deux visages du nazisme
Hollywood donnera tout d’abord une image beaucoup plus anodine du nazisme, comme en témoignent deux comédies réalisées en 1942, où les nazis sont présentés comme des esprits peu subtils qu’il est facile de duper : il s’agit de Jeu dangereux (To Be or not to Be) d’Ernst Lubitsch, et de Lune de miel mouvementée (Once Upon a Honeymoon) de Leo McCarey. Le tempérament de McCarey s’accorde mal avec l’endoctrinement politique et il ne s’embarrasse guère d’idéologie. Le camp de concentration où sont injustement enfermés Cary Grant et Ginger Rogers sert uniquement de cadre à une intrigue amusante et n’est chargé d’aucune signification historique.
Paradoxalement, à mesure que la guerre se poursuit, l’image de marque de l’ennemi s’améliore. On voit apparaître à l’écran un nouveau type de personnage : l’Allemand cultivé, authentique fils de la patrie de Bach et de Beethoven. Les nazis implacables ne sont pas toujours exempts de raffinement. Le meilleur exemple en est Conrad Veidt, que l’ont peut voir dans Nazi Agent (1942) de Jules Dassin, et qui sera surtout l’inoubliable commandant Strasser de Casablanca (1942), l’un des plus célèbres films de Michael Curtiz. L’impassibilité hautaine d’Erich Von Stroheim fait merveille dans le personnage de Rommel des Cinq secrets du désert (Five Graves to Cairo, 1943) de Billy Wilder ; on le retrouve encore dans un rôle d’Allemand dans L’Étoile du Nord (The Noth Star, 1943) de Lewis Milestone. La même année, Cedric Hardwicke incarne un officier allemand qui fait fusiller les otages d’un village norvégien – non sans éprouver un torturant sentiment de culpabilité – dans La Nuit sans lune (The Moon is Down), une adaptation du roman de Steinbeck réalisée par Irving Pichel. Le gouvernement qui surveille de très près la production hollywoodienne, encourage la description de la férocité nazie, ainsi que les réflexions sur la finalité de la guerre. Hitler’s Children (1942), qui n’est pourtant que l’une des innombrables variations sur le thème de la dictature nazie, obtient un énorme succès. Ce film peu coûteux réalisé par Edward Dmytryck évoque les infortunes d’une belle jeune fille américaine (Bonita Grandville), née pour son malheur en Allemagne et par conséquent assujettie aux lois inhumaines du IIIème Reich.
Les planches de Broadway se prêtaient sans doute mieux que les salles obscures aux spéculations sur les mérites comparés de la démocratie et de la dictature. En 1943, le drame de Lillian Hellman, Watch on the Rhine, est adapté à l’écran, sous le même titre (Quand le jour se lève), et sans grand succès, par Herman Shumlin. La transposition théâtrale est moins apparente dans Les Hommes de demain (Tomorrow the World), réalisé en 1944 par James Gow. On en retiendra surtout l’évocation de ce jeune nazi de douze ans qui détruit le foyer américain qui lui a donné asile. En 1944, Steinbeck et Hitchcock s’associent pour Lifeboat, qui décrit l’odyssée des rescapés d’un bateau torpillé par les allemands. Le film provoque l’indignation des critiques, qui reprochent au réalisateur d’avoir fait de l’officier allemand le seul personnage compétent et positif, tandis que les autres naufragés, citoyens des démocraties, s’avèrent veules et querelleurs. En fait, les meilleurs films mettant en scène des allemands seront réalisés à la fin de la guerre. Quant aux alliés de l’Amérique, Hollywood va leur rendre un hommage de plus en plus vibrant.
De valeureux alliés anglais
Les sentiments pro-anglais, avivés par des films des années 40 comme L’Aigle des mers (The Sea Hawk, 1940) ou Lady Hamilton (That Hamilton Woman !, 1941), atteignent leur apogée en 1942, lorsque la MGM produit Madame Miniver (Mrs. Miniver), réalisé par William Wyler. Madame Miniver (Greer Garson) va capturer un pilote allemand tandis que son mari (Walter Pidgeon) s’efforce d’évacuer les troupes britanniques à Dunkerque. Avant que la guerre ne fasse irruption dans le paisible petit village, on assiste à une exposition florale où l’on nous fait comprendre que l’aristocratie anglaise (incarnée par Dame May Whitty) cache un cœur d’or sous des dehors peu expansifs. La première de Madame Miniver a lieu le 4 juin 1942 au Radio City Music Hall de New York. Au bout de dix semaines, un million et demi de spectateurs ont vu le film, qui rapporte six millions de dollars pour la seule Amérique du Nord et qui obtient quatre Oscars. Roosevelt confiera à Wyler que Madame Miniver a eu une influence décisive sur la politique d’aide intensive à la Grande-Bretagne.
La MGM, qui a réalisé une opération particulièrement heureuse tant sur le plan du prestige que sur le plan financier, va tenter de faire coup double avec Les Blanches falaises de Douvres (The White Cliffs of Dover, 1944), avec les mêmes scénaristes et les mêmes producteurs. Mais ce film de Clarence Brown ne sera qu’une bien pâle réplique de Madame Miniver.
Jusqu’à la fin de la guerre, le cinéma américain accordera une place privilégiée à ses alliés anglais. La RKO prête gracieusement ses studios et tous les membres de la colonie anglaise de Hollywood offrent leur concours pour Forever and a Day (1943), dont les bénéfices seront versés à la Croix-Rouge anglaise. La petite Margaret O’Brien bouleverse les mères américaines dans le mélodramatique Journey for Margaret (1942), réalisé par Woody Van Dyke : aussitôt d’innombrables familles offrent d’adopter des enfants anglais, de préférence des fillettes blondes, à l’image de la pathétique héroïne… La réalité sera moins poétique, car les orphelins qui arriveront d’Angleterre sont nés pour la plupart dans les taudis londoniens.
De tous les films dépeignant l’Angleterre en guerre, l’un des plus intéressants reste Âmes rebelles (This Above All, 1942) d’Anatole Litvak. On y voit un soldat anglais se résoudre à déserter, car il lui semble que la guerre vient encore renforcer l’injustice sociale et l’immobilisme désespérant de l'”establishment” britannique. Darryl F. Zanuck confie le rôle de ce curieux antihéros à Tyrone Power, mais exige un dénouement optimiste. Grâce à son amie, le rebelle reviendra à des sentiments beaucoup plus patriotiques.
Une Union soviétique idéalisée
Les impératifs de la propagande et l’opportunisme politique vont amener Hollywood à célébrer les vertus de l’allié soviétique. Avec un enthousiasme sans nuances qui peut surprendre aujourd’hui.
La plus célèbre des productions russophiles, Mission to Moscow (1943), s’inspire des mémoires de Joseph E. Davies, ancien ambassadeur américain en U.R.S.S. Le réalisateur Michael Curtiz y associe fort habilement le style documentaire et les effets dramatiques afin de démontrer que le courageux peuple russe, qui lutte héroïquement pour la grandeur de la patrie, n’est pas fondamentalement différent de son grand allié américain. On assiste en fait à une délirante apologie du régime soviétique, à tel point que, comparé à Mission to Moscow, Le Triomphe de la volonté (1934) de Leni Riefenstahl prend des allures de reportage froidement objectif. Ainsi, les actes de sabotage sont attribués de manière expéditive à Trotsky, aux agents nazis ou au japonais. De la sorte, les grandes purges staliniennes se trouvent justifiées par les nécessités de la sécurité nationale : de même, le pacte germano-soviétique signé par Staline est présenté comme une conséquence de l’aveuglement des français et des anglais, qui se sont inclinés devant Hitler à Munich et qui ont laissé sans défense la frontière soviétique. En fait, dès sa sortie, Mission to Moscow sera très contesté aux États-Unis. Aussi bien par les milieux réactionnaires (la presse Hearst en particulier), que par la gauche, qui n’apprécie pas le ton pro-stalinien du film.
La MGM se montrera plus prudente avec Song of Russia (1943) de Gregory Ratoff, et mettra surtout l’accent sur l’intrigue sentimentale et sur les charmes de la musique russe (Robert Taylor y incarne un chef d’orchestre effectuant une tournée en U.R.S.S. en 1941). Mais là encore, on insiste sur les affinités existant entre les peuples américain et russe : le kolkhoze visité par le héros lui rappelle irrésistiblement le ranch du Middle West où il a été élevé. Il tombe amoureux d’une belle pianiste russe (interprétée par Susan Peters), aux accents lancinants du concerto pour piano en si bémol de Tchaïkovsky. Mais l’invasion allemande interrompt tragiquement cette idylle romantique ; l’amour triomphera pourtant comme il se doit.
La description de l’Union soviétique est plus intéressante dans L’Étoile du Nord, produit par Samuel Goldwyn et écrit par Lillian Hellman. Initialement confié à William Wyler, le film devait être tourné en Russie ; mais l’ambassadeur soviétique Litvinov refuse, déclarant que son pays avait déjà fort à faire avec une guerre bien réelle… C’est Lewis Milestone qui prend la relève. Toutefois, en dépit des qualités du scénario de Lillian Hellman, L’Étoile du Nord se ressent encore trop d’une vision “hollywoodienne” stéréotypée, qui présente l’Union soviétique comme une réplique – folklore en plus – des États-Unis. Les autochtones s’expriment de la même manière que les fermiers de l’Oklahoma, et le déferlement des troupes allemandes prend l’allure d’une razzia de voleurs de bétail
Ces trois films seront mis en cause en 1947 par la Commission McCarthy sur les activités antiaméricaines (voir dossier). Accusé d’avoir fait l’apologie du communisme, Jack Warner déclare que Mission to Moscow a été réalisé à la demande expresse du président Roosevelt. Mis sur la sellette pour Song of Russia et L’Étoile du Nord, Louis B. Mayer et Samuel Goldwyn affirment que ces productions entraient dans le cadre de l’effort de guerre national et que leur ton témoigne aucunement de convictions progressistes mais répondait uniquement aux exigences de la propagande militaire.
De fait, et pour conclure, on peut dire qu’Hollywood, durant ces années de guerre, a toujours suivi la ligne politique dominante et que sa description des nations belligérantes reflète assez fidèlement les états d’âme de l’opinion américaine.