Running Man – Richard Bachman
The Running Man. 1982Origine : Etats-Unis
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Citoyen des quartiers pauvres, Ben Richards n’a d’autre choix pour faire vivre sa famille que de postuler auprès du Réseau pour participer à l’un des jeux télévisés constituant le quotidien du peuple. Ayant réussi avec succès les différents tests, il est programmé pour La Grande Traque, l’émission phare de la chaîne qui n’est autre qu’une chasse à l’homme durant laquelle le candidat doit survivre 30 jours à une meute de chasseurs… et à une foule hystérique.
Qui dit dystopie dit 1984 et George Orwell. La comparaison est inévitable, et avec Running Man Stephen King (sous le pseudonyme à l’époque encore utile de Richard Bachman) ne cherche pas à l’éviter. On retrouve notamment l’idée de la “minute de la haine”, de l’importance des écrans (appelés “libertels” ici), et plus généralement de la propagande comme point cardinal de la société incriminée. A cette influence -ou plutôt cette base pour toute dystopie- s’ajoute celle des œuvres d’anticipation remettant en question le pouvoir des médias, dont la plus connue est sans conteste Rollerball, une nouvelle de William Harrison scénarisée par lui-même au cinéma. Le Prix du danger, nouvelle de Robert Sheckley parue en 1958, est également à signaler en raison de son sujet, dont King a fait plus que de s’inspirer (c’est peu ou prou le même). Le choix de ces deux mamelles pour Running Man n’est pas un parangon d’originalité, et bien entendu le sujet du livre de Bachman ne l’est pas plus. On est loin de Marche ou crève, autre court roman publié sous le nom de Bachman, qui pour le coup se faisait bien plus novateur car bien moins frappé du sceau de la science-fiction. De même, si Running Man est un livre très politique, et si quiconque se réclamant du progressisme ne peut qu’approuver les constatations de King, il n’y a rien de bien nouveau à y puiser et les thèmes abordés ont tendance à enfoncer des portes ouvertes, surtout à notre époque où les médias les plus puissants sont de plus en plus remis en question pour leur accointance avec le pouvoir et le rôle sociologique dont ils disposent. Enfin, en guise de piqûre de rappel, Running Man mérite largement d’être lu.
Au sein d’une société divisée en deux classes antagonistes, les jeux du Réseau ont plusieurs fonctions vitales pour le pouvoir en place. Ils servent déjà à meubler les journées de tout un peuple, riches comme pauvres. Pour le prolétariat (mot que King n’emploie jamais… dommage !), massivement touché par le chômage ou par des emplois dangereux et sans protection d’aucune sorte, ces jeux sont un opium dans lequel les gens s’abandonnent, contribuant ainsi à maintenir leur propre classe dans la passivité tout en participant au succès du Réseau. Via les rémunérations que tant de monde cherche à obtenir en postulant, c’est aussi un moyen d’offrir du rêve, de désigner quelques élus qui donneront toujours l’impression aux masses d’avoir une chance de gagner le gros lot, quitte à en payer le prix (il n’y a pas que La Grande Traque, la plupart des jeux sont dégradants mais pas obligatoirement mortels). Tant qu’il reste un espoir, même si celui ci est un écran de fumée, les pauvres s’y accrocheront et ne deviendront pas dangereux. Quelques uns ont cependant ouvert les yeux, et ce sont eux qui vont conduire Richards à utiliser sa situation présente pour se transformer en avatar du Snake Plissken de New York 1997.
Du côté de la bourgeoisie, les jeux du Réseau servent à se flatter de leurs propres conditions d’existence, tout en méprisant les participants, qui pour ceux de La Grande Traque représentent ce dont ils ont peur : tout perdre. Le Réseau apprend à cette bourgeoisie à avoir peur des gens comme Ben Richards, présentés comme des sauvages (les deux cassettes qu’il doit transmettre quotidiennement au Réseau sont bien entendu manipulées lors de leur diffusion), et par conséquent à défendre l’ordre actuel. Pour eux, les pauvres se complaisent dans la misère, la délinquance est innée et l’inégalité va de soi. Ils vivent dans un monde fantasmé, impression préservée par une présence policière ne servant qu’à protéger leurs intérêts, leur monde. Une seule bourgeoise parviendra à ouvrir les yeux, après que Richards lui eut mis la tête dans les faits, presque de force.
Pour faire comprendre quel est le bon côté de la barrière, King a recours à quelques facilités (découlant peut-être du fait que le livre ait été écrit en trois jours) qu’on peut lui reprocher : envoyer Richards au casse-pipe parce que son bébé est malade et que sa femme est obligée de se prostituer pour le soigner, recourir à des dialogues ne pouvant que provoquer la colère de Richards (et du lecteur) et accentuer les mensonges du Réseau sur le compte de Richards. Il a aussi recours à un argument écologiste sur la nocivité de l’air, moyen trouvé par le Réseau pour faire crever le prolétariat, argument parachuté dans le roman un peu trop artificiellement pour être honnête.
Bref, le fond est bon, mais pas franchement des plus innovants. Peut-être l’était-il davantage en 1982, après l’arrivée des polémiques sur la télé réalité véritablement apparue dans les années 70.
En fin de compte, ce qui fait de Running Man un très bon bouquin est encore son aspect ludique. Rythmé par des chapitres en forme de compte à rebours partant de 100, restant continuellement en mouvement comme doit l’être Ben Richards pour survivre, le livre est extrêmement prenant. Le suspense est omniprésent via cette chasse à l’homme qui n’a pas de limite terrestre, et qui est complexifiée par la haine générée par les diffusions télévisées du Réseau. Les ennemis de Richards sont partout, d’autant plus que ceux qui donneront des indications avérées sur sa localisation toucheront des primes. Il règne donc un climat d’incertitude, quasi paranoïaque. Richards sera-t-il reconnu ? Et si oui sera-t-il dénoncé ? Où peut-il se cacher, comment remarquera-t-il qu’il a été repéré, toutes ces questions se posent durant une bonne partie, haletante. King accentue encore la pression sur son personnage principal en le faisant par la suite jouer au bluff avec les chasseurs. Avec la liberté de mouvements et d’action dont bénéfice Richards (qui est de toute façon déjà un homme à abattre), dont les seules limites sont celles qu’il se fixe lui-même pour mettre en lumière l’ignominie du Réseau, King se construit lui-même un boulevard pour écrire un livre plein de surprises, dont on ne peut prévoir le contenu moins de cinq pages à l’avance. La classification “polar” dans lequel Running Man était classifié par J’ai lu, ancien éditeur de King en France, n’est finalement pas si usurpée que ça. Seule la fin, sur un mode très New York 1997, fait céder l’expectative permanente aux sirènes du spectaculaire voire du gore. On est toutefois loin de l’adaptation cinématographique de Paul Michael Glaser, qui n’a fait que reprendre l’idée de départ du roman pour partir dans une toute autre direction, celle du véhicule pour acteur à gros bras (en l’occurrence Arnold Schwarzenegger). Ce que King a bien entendu totalement rejeté.