Les Yeux du dragon – Stephen King
The Eyes of the Dragon. 1987Origine : Etats-Unis
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Pourquoi faut-il toujours que les récits de fantasy pour enfants soient si manichéens ? Même Stephen King, jusqu’alors connu avant tout pour ses récits d’horreur dans lesquels on retrouve des personnages ambigus sinon schizophrènes (Carrie, Jack Torrance, Charlie, John Smith…), s’y plie. Et pas qu’un peu : Les Yeux du Dragon est un véritable défilé de clichés bipolaires. D’un côté les gentils, beaux, courageux, honnêtes, compétents en tous domaines. De l’autre, les méchants, laids, menteurs, perfides et incapables de réussir leurs basses œuvres.
Car le bien triomphe toujours. Prenant sa plus belle plume de conteur, King adopte une tonalité médiévale et se fait lui-même intervenir en temps que narrateur dans le récit à grand renfort d’expressions comme “Il était une fois“, “Je vous laisse juger de vous même” ou “c’est une histoire que peut-être un jour je vous conterai“. Ce style se plie fort bien à l’exercice, mais à vrai dire il s’y plie tellement bien que le roman en devient lambda, sans âme ni originalité. Le comble pour un récit de fantasy, genre reposant sur l’imagination de son auteur. Si King est indiscutablement très inspiré pour ce qui concerne l’horreur (surtout dans les années 80), il l’est en revanche beaucoup moins ici, et nous avons donc affaire à un sombre complot ourdi par l’infâme magicien Flagg (figure du mal récurrente de l’auteur, qu’on retrouve dans Le Fléau et dans La Tour sombre) pour se débarrasser de Peter, futur roi de Delain, au profit de son plus malléable frère, Thomas. Flagg s’arrange donc pour faire croire au meurtre du Roi Roland par l’empoisonnement de son vin par Peter, condamné à être emprisonné à vie en haut d’une tour de cent mètres. Avec l’accession au trône de Thomas et la mise en place de sévères réformes fiscales sur le bon peuple, le magicien espère bien provoquer une révolte populaire destinée à faire imploser le royaume et la monarchie. Mais dans sa geôle, Peter n’a pas abandonné l’idée de venir venger son père et de venger l’infamie… Voilà.
C’est donc bourré de gentils petits gars tous plus braves les uns que les autres, qui vont aider Peter dans son entreprise. Je me demande encore pourquoi, car après tout, quel mal y a-t-il à se débarrasser de la monarchie, hein, franchement? Elle n’est même pas constitutionnelle, en plus ! C’est pas des choses à promouvoir auprès des gosses, ça ! Après, dans 50 ans, ils seraient foutu de donner tous les pouvoirs à un seul homme ! A vrai dire seul Thomas, dans le rôle d’un pantin manipulé par Flagg, aurait pû permettre d’introduire une once d’intérêt dans ce qui n’est qu’une lutte assez plate entre le bien et le mal. Mais King ne s’en soucie pas trop, et préfère se concentrer sur l’autre gros con, là haut dans sa tour, qui construit une corde avec des serviettes et une maison de poupée miniature… Pourtant, parfois King semble vouloir se rapprocher de son style plus traditionnel. Dès la page 2, en réalité, dans laquelle il nous narre la ridicule tentative du roi pour procréer celui qui deviendra son premier héritier. Ou encore en attribuant à Flagg certaines références à Lovecraft (la présence du livre en peau humaine rédigé par l’arabe dément Abdul Alhazred). Mais ce ne sont que quelques anecdotes éparses dans un livre au final assez fade, marginal dans l’œuvre de Stephen King (dont Le Talisman des territoires, rédigé conjointement avec Peter Straub, est du même tonneau). Encore un qui s’est paumé en voulant exercer son art pour son propre enfant…
Par contre, je tiens malgré tout à signaler la jolie édition française parue chez Albin Michel, et illustrée avec de jolies images par Christian Heinrich.