Au service secret de sa majesté – Ian Fleming
On Her Majesty’s Secret Service. 1963.Origine : Grande-Bretagne
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Alors que la sortie de Mourir peut attendre, qui devrait être cette fois-ci le réel baroud d’honneur de Daniel Craig dans le smoking de l’agent 007, a été repoussé au mois de novembre de cette année pour cause de pandémie (N.D.R – la situation n’ayant guère évolué, la sortie du film est repoussée sine die), l’idée a germé dans mon esprit de me pencher enfin sur l’œuvre littéraire dont a découlé la saga la plus longue et lucrative de l’histoire du cinéma. Et quoi de mieux pour se faire que de la découvrir à travers Au service secret de sa majesté, épisode particulier à plus d’un titre.
Après la réussite de l’Opération tonnerre, James Bond est chargé de rechercher et capturer Ernst Stavro Blofeld et, le cas échéant, de toute autre personne affiliée à l’organisation criminelle SPECTRE. 007 goûte peu cette mission qui relève selon lui de l’opération de police pure et simple. Par conséquent, il cherche à être relevé de celle-ci. C’est dans cet état d’esprit quelque peu maussade qu’il croise le chemin de la comtesse Tereza di Vicenzo dont il s’éprend. Il entre alors dans les bonnes grâces du père de celle-ci, un riche et puissant industriel du Midi de la France et également chef de l’Union corse, l’un des plus grand syndicats du crime européen, lequel ne tarde pas à lui obtenir des renseignements sur Blofeld. L’infâme individu se trouverait quelque part en Suisse et chercherait à obtenir le titre de comte de Bleuville. Pour incertaine que soit cette piste, James Bond décide de la suivre et se fait passer pour un éminent représentant du collège héraldique de Londres afin d’enter en contact avec sa cible.
Dixième aventures de James Bond, Au service secret de sa majesté marque une étape importante de l’histoire du personnage puisqu’il s’agit du premier roman à paraître après que l’une de ses aventures ait été adaptée au cinéma avec James Bond contre Dr. No. Ce qui nous vaut quelques clins d’œil. En guise d’adoubement de Sean Connery, Ian Fleming confère des origines écossaises – par son père – à son héros et cite nommément Ursula Andress au détour d’une page, l’actrice s’octroyant du bon temps au Piz Gloria, lieu où se déroule l’action. De manière générale, et en prévision du sacro-saint mariage annoncé, Ian Fleming prend le parti – inédit dans la série – d’approfondir son personnage. Un héros de papier à des lieues de celui qui vient d’apparaître de manière tonitruante sur grand écran. Bien qu’il mène grand train, le James Bond de Ian Fleming peine à oublier ses origines modestes, nourrissant notamment un complexe vis à vis des femmes bien nées, trop connues. Elles lui paraissent plus difficiles à avoir. Dans ce contexte, Tereza pourrait incarner la revanche du petit gars de Glencoe dans les Highlands sur cette forme de fatalité. Or James ne mange pas de ce pain là. Dans sa bouche, ce complexe sonne davantage comme un constat que comme une tare à laquelle il faudrait remédier. L’autre trait de caractère qui surprend tient à son honnêteté. Qu’il s’offre du bon temps dans les bras de l’une des nombreuses pensionnaires de la clinique dirigée par Blofeld relève de l’évidence. On peut même estimer qu’il la joue petit bras en se limitant à une seule compte tenu de l’environnement ultra féminisé. Mais qu’il joue carte sur table en prenant bien soin de l’affranchir sur sa situation amoureuse, ce qu’il fera en retour auprès de Tereza lorsqu’il la retrouvera, paraît improbable quant on a comme moi connu le personnage uniquement dans sa version cinématographique. Sauf que le héros de papier est ainsi, honnête, droit et soucieux de la vie d’autrui. Même au plus fort du danger, lorsque sa vie ne tient qu’à un fil et que ses options se résument à tuer ou être tué, l’agent trahit un fond de compassion pour sa victime. Il ne prend aucun plaisir à éliminer ses adversaires et ne le fait que par stricte nécessité. Un brave type au fond, bien qu’un peu fade.
Si l’intention de creuser davantage la psyché du personnage est louable, en pratique, cela se révèle particulièrement contre-productif. Ian Fleming n’est pas un grand écrivain et cela se ressent. Loin de conférer une nouvelle dimension à James Bond, ses atermoiements et sa relation avec Tereza, plus proche de l’amourette que du grand amour, le cantonnent au statut d’adolescent mal dégrossi. En outre, l’intrigue sous forme de huis-clos en altitude ne lui offre pas vraiment de possibilités de se mettre en valeur. Et lorsque le récit verse dans le spectaculaire, lors d’une course-poursuite nocturne à skis puis motorisée et lors de l’emballage final, cela se fait au mépris de toute tension. La faute à un style froid et peu immersif et, lors du final, au choix de coller au plus près de James Bond, lequel évite sciemment le combat pour ne se focaliser que sur son ennemi juré. Au service secret de sa majesté ne tient jamais en haleine, Ian Fleming échouant autant lors des moments de suspense (les confrontations à fleurets mouchetés entre Bond et Blofeld) que lors des passages où l’action prévaut. Quant au nœud de l’intrigue, il ne révèle qu’à la toute fin ses tenants et aboutissants dans l’indifférence la plus totale. On pourrait arguer que cela tient au fait que Ian Fleming se soit concentré sur d’autres aspects de son intrigue (le duel entre Blofeld et James Bond, l’histoire d’amour) alors qu’en réalité, tous ses éléments sont traités sur un pied d’égalité en étant pareillement survolés. L’histoire d’amour s’écrit en pointillé et repose entièrement sur le coup de foudre liminaire des protagonistes lorsque l’opposition entre l’agent de sa majesté et le bandit international s’essouffle en d’inconséquents dialogues. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que la scène finale tombe à ce point à plat.
Finalement, et en dépit de films d’une qualité inégale selon les sensibilités, le cinéma sied bien à James Bond. A défaut de grands romans, Ian Fleming a su créer un archétype propice à toutes les interprétations, ce dont les scénaristes ne se seront pas privés en fonction de la personnalité de ses divers interprètes. Maintenant, si le roman Au service secret de sa majesté apparaît aussi à part dans le cadre de la série littéraire que ne l’est sa version cinématographique, il n’est pas improbable que je puisse éprouver du plaisir à la lecture d’une autre aventure du plus célèbre des agents secrets. Après tout, on ne vit que deux fois.