Un jour sans fin – Harold Ramis
Groundhog day. 1993
Origine : Etats-Unis
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Phil Connors (Bill Murray), présentateur météo sur une chaîne régionale, est envoyé à Punxsutawney, Pennsylvanie, pour couvrir le Groundhog day, un jour de fête lors duquel une marmotte nommée Phil est censée annoncer si oui ou non l’hiver est terminé. Une corvée qui deviendra un cauchemar : Phil se retrouvera coincé dans ce jour sans fin, condamné à le revivre encore et encore…
Sans crier gare, comme ça, d’un coup, alors que sa maigre carrière de réalisateur se limitait essentiellement à la mise en scène de rescapés du Saturday Night Live, Harold Ramis livre en 1993 un film qui allait côtoyer les meilleures œuvres de Frank Capra ! Une comédie vieille école, mettant l’emphase sur son orientation d’étude de mœurs au point de faire totalement oublier l’aspect science-fictionnel du scénario. Savoir comment Phil Connors se retrouve à revivre éternellement la même journée n’est pas le sujet d’ Un Jour sans fin. Ramis et son scénariste Danny Rubin eurent bien un temps l’idée d’expliquer le phénomène, mais ils eurent tôt fait d’abandonner cette plombante idée. De même, le concept original, démarrer le film en son milieu en omettant totalement l’introduction, aurait constitué le tort inverse, à savoir limiter le film à son propos, évacuant une forte de part de comédie. Suivre le point de vue du personnage de Bill Murray depuis son départ à Punxsutawney possède ceci d’avantageux que le spectateur est amené d’emblée à comprendre la mentalité du personnage. Un cynique, un égoïste, dépité de travailler pour une chaîne confidentielle et plus encore d’avoir à couvrir pour une troisième année consécutive le Groundhog day, cette fête qui, il est vrai, prise au second degré, peut devenir un moment de bêtise des plus fameux (et qui est une véritable tradition américaine).
Les sarcasmes de Phil Connors font mouche : Phil la marmotte n’est qu’un rat vénéré par une assemblée de péquenots attendant de savoir si oui ou non le temps va être meilleur. Le sujet du temps est certainement le sujet de conversation le plus plat du monde, et l’amabilité accueillante toute caricaturale des habitants de Punxsutawney (déjà un nom ridicule en soit) n’est pas pour détacher le présentateur météo de son aigreur. Le spectateur s’amuse volontiers de ses sarcasmes, de sa méchanceté résignée. Il s’en amusera d’autant plus lorsque Phil (le présentateur, pas la marmotte) devra revivre éternellement cette même journée, avec ses mêmes calvaire : les banalités des présentateurs radio, les questions d’usage de l’hôtelière, l’ancien copain de lycée puéril, les fameuses prédiction de Phil la marmotte… Ces répétitions feront passer Phil d’un état à un autre, de la stupeur à la colère, de l’abattement au plaisir de ne pas savoir se succéder des conséquences à des actes. Le jeu d’acteur de Bill Murray est remarquable et constitue un véritable exercice d’école : savoir adopter tout un éventail d’émotion dans une situation à chaque fois identique. On ne peut que saluer là l’un des meilleurs acteurs comiques américains, choisi pour sa capacité à paraître sympathique tout en incarnant un salaud. Murray, aidé par un scénario intelligent, parvient notamment à éviter le piège de la répétitivité. Un travers qui s’offrait tout grand à un film comme Un Jour sans fin.
Si le film parvient également à éviter cet écueil, il le doit aussi à l’évolution que connait son personnage. Ses différents états d’esprit, outre leur nature comique, témoignent d’une évolution logique de son caractère. Placé quotidiennement face à divers évènements classiques, il réagira en fonction de ce qu’il aura appris. La colère, l’inconscience puis la dépression s’inscrivent dans un premier temps comme le cheminement logique d’un homme à la base aigri. Connors ira de plus en plus loin dans la cruauté : il n’hésitera pas se montrer ouvertement ignoble avec ses semblables, ne cherchera même plus à dissimuler sa rancœur pour des raisons d’ordre professionnelles ou légales. Apprenant à connaître chaque détail de la vie des gens, il en profitera pour attirer une fille dans son lit et pour courtiser Rita (Andie MacDowell), sa productrice, qu’il cherchera aussi à faire passer à la casserole avant que n’interviennent les fameuses 6H00, heure à laquelle le Groundhog day redémarre. Harold Ramis joue parfaitement ce jeu en ayant recours à un montage mettant l’accent sur les mises en scène pratiquées par Phil. Chaque erreur dans ses réparties calculatrices seront immédiatement suivies de la même situation, le lendemain, corrigée par le nouveau savoir de Phil. La relation de celui-ci avec Rita sera ainsi purement faussée, et Phil n’obtiendra jamais les faveurs de la jeune femme. Ce qui le conduira à s’en prendre finalement à lui-même. Ces actes, autant de preuves d’une vision toujours pessimiste de la vie ne le mènera à rien. Même la mort ne le sortira pas du jour sans fin !
Le désespoir s’affichera donc chez Phil Connors, qui perdra alors tous ses masques cyniques et qui ira donc rechercher de l’aide auprès de Rita. En s’ouvrant à elle, c’est tout un nouveau monde qu’il découvrira : celui de l’optimisme, de l’honnêteté et de l’altruisme. Des éléments qui lui indiqueront que le jour sans fin n’est pas forcément une malédiction, que tout ne dépend que de lui-même et de sa volonté. Ce sera alors à une véritable rééducation morale que nous aurons affaire. Rita, ne connaissant Phil que depuis la veille, n’aura pas d’a priori le concernant, et Phil devra se faire aimer sans machination préalable telle que son premier essai, visant d’ailleurs certainement plus à la mettre dans ses draps. Le film perd évidement à cette occasion une petite touche d’humour, mais Phil ne devient pas pour autant une autre personne. Jamais l’impression n’est donnée que l’homme a changé du jour au… jour. Sa reconstruction est au contraire dictée par les circonstances, par ce qu’il est amené à comprendre et à apprendre, et non par une quelconque volonté. Le changement se fait progressivement et non radicalement. Au cours de ce jour sans fin, Phil aura appris, d’abord en détruisant (jusqu’à ses suicides), puis en repartant de zéro. Là où un mauvais film aurait stagné et serait devenu lassant, Un Jour sans fin est au contraire un récit évolutif sur un homme apprenant à se reconstruire pour dépasser ses visions pessimistes. C’est en cela que l’argument science-fictionnel se transforme en exercice de style : le film de Ramis est une comédie portant sur la psychologie d’un homme, rééduqué en apprenant à faire face à une même situation jusqu’à ce qu’il se montre capable d’avancer dans la vie, cessant enfin ce jour sans fin.
Il y a une certaine forme de morale dans le film de Ramis. Un prosélytisme de l’optimisme condamnant un homme à se fondre dans le moule. Pourtant, la légèreté et l’intelligence avec laquelle ce propos est traité (sans parler bien entendu des talents humoristiques de Bill Murray) en font une œuvre remarquable. Reconnu à juste titre par l’Amérique, Un Jour sans fin est désormais entré dans la culture de l’Oncle Sam, l’expression “Groundhog day” étant désormais employé pour désigner une situation difficile amenée à se répéter. Très prisée dans l’armée.