Trog – Freddie Francis
Trog. 1970Origine : Royaume-Uni
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Trois spéléologues découvrent une caverne encore inexplorée par l’homme. Du moins l’homme moderne. Car ils y trouvent le célèbre “chainon manquant” de l’évolution, lequel réagit vivement en tuant l’un des trois intrus et en laissant un autre en état de choc. Quant au dernier, Malcolm, resté en retrait, il n’a pas vu l’homme bête et amène son ami traumatisé à l’hôpital du Dr. Brockton (Joan Crawford), qui se trouve être une anthropologiste de renom. Captivée par le récit de Malcolm, Brockton redescend avec lui à la caverne et réussit à prendre une photo du troglodyte. Les autorités décident de le capturer, et une fois cela fait avec bien du mal, de le confier à Brockton qui le baptise sobrement Trog (Joe Cornelius). Fermement décidée à l’étudier en compagnie de son assistante de fille et de Malcolm, elle procède avec délicatesse, comme si Trog était un enfant attardé. Les résultats sont là, mais cela n’empêche pas le maire Sam Murdock (Michael Gough) d’être furibard. Il ne supporte pas la présence du troglodyte qu’il prend pour un assassin, et il est bien décidé à tout faire pour qu’il meurt. Vous allez voir qu’il va faire une bêtise…
Il est généralement de bon ton de tomber à bras raccourcis sur Trog. Nanar, série Z, “so bad it’s good” et tutti quanti. Et pour ne rien arranger, il s’agit du dernier film de l’oscarisée Joan Crawford, véritable légende hollywoodienne dont la carrière démarra à l’époque du muet. Très certainement, elle s’est retrouvée là à l’invitation de son ami le producteur Herman Coen, pour lequel elle avait déjà tourné Le Cercle de sang trois ans plus tôt. Je serai bien plus charitable que ça envers Trog, mais il faut bien convenir que Freddie Francis -qui nous avait habitués à plus de sérieux- a vraiment tendu la perche pour se faire battre. Même en tenant compte de son budget pour le moins étriqué, Trog s’enferre tout seul dans le ridicule. Il y a déjà le plus évident, remarquable au premier coup d’œil : la rusticité du costume de Trog, qui proviendrait pourtant d’un rebut des singes de 2001, l’odyssée de l’espace. Il a toujours été très difficile pour les créateurs d’effets spéciaux de reproduire un costume simiesque. Il en va de même ici, avec un masque bien trop apparent, ce qui est en définitive classique, mais aussi et surtout avec la pilosité de la bête. Pour faire simple, disons que Trog est revêtu d’une sorte de pancho poilu (censé être sa pilosité naturelle… je crois), d’un slip qui ne l’est pas moins et de godillots en fourrure. Le tout mis en mouvement par un acteur qui pour avoir un nom de rescapé de La Planète des singes, Joe Cornelius, n’en n’agit pas moins comme s’il était un morveux à Mardi Gras. Florilège de simagrées, de salamalecs, de cabrioles et d’éructations, son jeu ne démontre aucunement que l’acteur a honte de son costume. Et face à lui, la pauvre Joan Crawford et ses robes colorées, fait comme si de rien n’était, en grande professionnelle. Mais ce faisant, elle accentue encore le décalage.
Aussi gratiné soit-il, Trog n’est pourtant pas la seule source de moqueries. Il y a aussi tout le côté scientifique du scénario, peut-être encore plus grave. Évidemment, personne n’est en droit d’exiger d’un film de science-fiction qu’il soit vérifiable de A à Z. Même ceux qui essayent d’être le plus crédibles possible ne visent au mieux qu’à jouer sur les connaissances lacunaires du grand public (par exemple Jurassic Park, que des scientifiques durent commenter pour démontrer l’impossibilité de son postulat). Mais bardé qu’il est d’idées grotesques, Trog ne trompera que des enfants de moins de 8 ans. Ainsi, la scientifique jouée par Joan Crawford (qui fait décidément figure de dindon de la farce… heureusement, elle a pris ça à la rigolade à la sortie du film) évoque sans sourciller son objectif : faire de cet homme singe un homme du vingtième siècle… Et pour ce faire, elle lui donne une poupée, le fait jouer au ballon et lui passe de la musique de chambre sur laquelle il apprend à danser. Des visions consternantes. Mais ce n’est pas tout, car Trog a également beaucoup de choses à nous apprendre. Opéré pour lui attribuer la capacité de parler, il sera censé révéler ce qu’il a vu au cours des siècles. Car oui, ce troglodyte a vécu des millénaires entiers, moyennant un peu de sommeil dans la glace façon Hibernatus. Au mépris de tout ce que la science nous a appris, on découvre même au détour d’une plongée dans ses souvenirs (comment et pourquoi, mystère) qu’il a été en contact avec les dinosaures et qu’il a vu leur disparition. L’occasion pour Freddie Francis de diffuser des images tirées du Monde des animaux (Irwin Allen, 1956) animées par Ray Harryhausen. Les seuls effets spéciaux valables de Trog…
Avec tout ça, il n’est pas étonnant que le film dispose d’une réputation aussi infamante. Mais malgré tout, aussi difficile soit-il d’en faire abstraction, il ne faudrait pas se montrer aveuglé au point de passer au-delà de certaines qualités, il est vrai incapables de compenser les gouffres creusés par les défauts. Trog repose en réalité sur une trame bien connue, celle du monstre incompris à la Frankenstein. La fin du film s’y rattache complètement, puisque les meurtres commis par un Trog en liberté (dont un au crochet de boucher, repris quasiment à l’identique par Tobe Hooper dans Massacre à la tronçonneuse -oui oui !-) ne sont motivés que par la peur et l’hostilité qu’il provoque. Avec, sous-jacente, la critique de l’attachement aux apparences et du refus de ce qui est différent. Malgré son accoutrement à faire peur, Trog est un grand enfant dépourvu de toute connaissance qui ne demandait que l’éducation et l’amitié. On lui a refusé la première, ou tout du moins l’ignoble maire joué par le regretté Michael Gough s’est arrangé pour ruiner les efforts de Brockton, pour une raison qui n’est franchement pas évidente (je ne vois pas quelle raison il y aurait de refusé d’être associé à la découverte et à l’étude du “chainon manquant”). Quant à la recherche de l’amitié, on retrouve la délicatesse maladroite du monstre face à une gamine. Tout cela manque bien sûr de la sensibilité du film de James Whale, tare incarnée par le personnage de Gough, dont la haine n’a aucune justification, mais dans le fond, l’aspect profondément ridicule de Trog ne fait que déplacer un peu la pitié à un autre niveau. C’est pas bien de se moquer d’un film attardé mais qui a incontestablement un bon fond et qui ne demandait que la compassion.