Treize femmes pour Casanova – Franz Antel
Casanova & Co.. 1977Origine : Italie / France / Autriche
|
Au milieu du XVIIIème siècle, la République de Venise cherche à tout pris à obtenir une précieuse huile de rose que seul peut lui fournir le Calife de Shiraz. Ce dernier étant actuellement en visite dans la Cité des Doges, il ne reste plus qu’à signer le contrat. Hélas, les affaires de Shiraz ne sont pas réglées par le Calife, mais par sa Califa (Marisa Berenson), qui pose une condition bien particulière : une nuit d’amour avec Giacomo Casanova (Tony Curtis, perruque blanche). Le légendaire étalon venant de s’échapper de la prison où il croupissait, il est bien difficile de répondre aux exigences. De plus, personne ne le sait, mais le chéri de ces dames traverse une sale période, incapable de justifier sa réputation. Et pourtant, nombre de femmes le disent : Casanova est toujours actif. C’est que profitant de la confusion qui régnait au moment de l’évasion, un petit escroc du nom de Giacomino (Tony Curtis, perruque noire), s’est aussi fait la belle. Exact sosie du vrai Casanova et lui aussi doué en amour, tout le monde se méprend sur sa véritable identité. Seule une personne est au courant : la duchesse de Cornaro (Marisa Mell), à l’origine de l’évasion.
Dans la lignée des comédies érotiques en costumes, Treize femmes pour Casanova dispose de solides arguments. Déjà, une cascade d’actrices loin d’être vilaines : la toujours distinguée Marisa Mell, l’intacte quadragénaire Sylvia Koscina, l’ex Madame Sellers Britt Ekland, la poumoneuse Andréa Ferréol, l’égérie de blaxploitation Jeannie Bell et, cerise sur le gâteau, Marisa Berenson en personne, tout droit sortie du prestigieux Barry Lyndon de Kubrick, le top du film en costumes autrement plus sérieux que cette farce bis. Côté masculin, Tony Curtis écrase la concurrence dans son double rôle et confirme son goût pour l’auto-dérision, lui qui connut la gloire de Billy Wilder (Certains l’aiment chaud) et -encore !- de Kubrick (Spartacus). Il faut dire que sa concurrence est mince. Citons le rôle du Préfet, attribué à Victor Spinetti, un habitué des petits rôles (notamment dans les films des Beatles), et ceux des agents chargés d’arrêter Casanova, confiés à la doublette franchouillarde Jean Léfèbvre / Gérard Jugnot. Un casting surprenant reflétant la nature co-productive du film, composé de bisseux divers et d’acteurs sur lesquels Hollywood ne cracherait pas forcément. Tinto Brass aurait certainement fait quelque chose de prodigieux avec tout ce beau monde et avec le sujet de Casanova. Mais il ne s’agit pas d’un film de Tinto Brass : le réalisateur se nomme Franz Antel (alias François Legrand), un autrichien au passif long comme le bras dans le milieu de la comédie sexy. On ne peut pas dire que pour l’occasion, il ait vu très ambitieux : son film n’a rien d’une fresque érotique, et il ne se propose pas non plus de faire sensation. Il se propose tout bêtement, comme beaucoup de ces congénères européens, de se montrer irrévérencieux, sexy et échevelé, ce qui est déjà beaucoup. Pour se faire, Antel dispose d’un point de départ adapté : toutes les femmes de Venise tombent en pâmoison à la simple évocation du nom “Casanova”. Tous les maris sont donc susceptibles d’être cocufiés, indifféremment des classes sociales. Que ce soit le boulanger époux d’Andréa Ferréol ou le Préfet marié à Sylvia Koscina, ils sont tous menacés. Tous les hommes du film, à l’exception de Giacomino et dans une moindre mesure du vrai Casanova sont tournés en ridicules. Ils braillent, ils s’agitent dans tous les sens, ils cherchent à montrer leur autorité, mais ils sont surtout d’une stupidité sans bornes, à l’image de Léfèbvre et Jugnot, pieds cassés manipulés à la moindre occasion par les deux Casanova ainsi et surtout que par “le sexe faible”. Toutes ces entourloupes incessantes construisent l’humour et le rythme du film, fait de cachettes improbables, de mensonges énormes et de travestissements (les dialoguistes parvenant à faire dire “Certains l’aiment chaud” à Tony Curtis). Treize femmes pour Casanova est une ode aux femmes libérées, niant totalement l’aspect romantique du célèbre séducteur (qui sous-entendait que les femmes, stupides, ne pouvaient que tomber dans le panneau d’un Don Juan) pour se concentrer sur le simple plaisir du sexe, dont les femmes ont cette fois l’initiative. C’est un peu une version inversée de la Justine de Sade : Giacomino est l’objet de toutes ces donzelles lubriques, qui comme la Califa de Shiraz l’a fait avant elles tendent à renverser l’ordre patriarcal établi. Même les nonnes en devenir en abandonnent leur vocation. Toutefois, le double du vrai Casanova n’est pas comme Justine : il ne rechigne pas à être considéré comme un objet. D’ailleurs ces dames ne font pas dans la subtilité pour l’induire en erreur et profiter de sa naïveté qui n’existe pas : lui proposer une partie de “strip-dés” alors qu’elles savent très bien qu’elles vont perdre et devront encore payer un surplus de dettes n’est pas un stratagème très finaud. La boulangère qui s’offre à lui avec ses miches l’est encore moins. L’ancienne figure du Casanova, c’est à dire le vrai Giacomo, incarne pour sa part l’ancien ordre, celui dans lequel les femmes restaient soumises et raffinées. Son impuissance témoigne du changement de moeurs. Le voir se faire prendre en pitié par trois nonnes et engueuler par la duchesse de Cornaro, son amante à forte personnalité, est l’humiliation suprême pour le célèbre mangeur de femmes. Se faire “doubler” par un petit escroc improvisé tombeur doit le contraindre à faire une croix sur sa propre vanité et à s’adapter au nouveau monde.
Il est évident que Treize femmes pour Casanova est un film de son époque, redéfinissant les relations hommes-femmes en faveur de ces dernières (les quelques touches d’humour anachroniques sont ainsi là pour rappeler l’actualité du sujet). On peut même y trouver une métaphore des manifestations féministes, lorsque toutes les conquérantes de Giacomino (on ne peut plus parler de “conquêtes” !) se rassemblent dans le bureau du Préfét pour manifester contre l’emprisonnement du nouveau Casanova. Dans la dernière partie du film, ce sont même elles qui viennent indirectement diriger les affaires de l’État pour remédier aux problèmes de Giacomino, finalement chargé de se faire passer pour le vrai Casanova auprès de la Califa. Agir sous contrainte masculine, avec menace de castration, l’a lui aussi refroidi. Et donc toutes les femmes se réunissent une nouvelle fois pour défiler nues sous ses yeux, au grand dam des maris indignés. Elles n’ont donc même plus à se cacher et sortent triomphantes de cette affaire. Leur audace coïncide avec les scènes les plus travaillées du film, celles qui ont droit au plus beaux décors architecturaux. Au niveau purement érotique, on retiendra donc toutes les scènes de “groupes”, tel ce défilé dans les salons sculptés ainsi que la fameuse partie du “strip dés”, où une demie douzaine d’aristocrates nues se promènent dans un palais et dans le jardin, entourant un Tony Curtis facétieux et détournant l’attention du tandem Lefèbvre / Jugnot. Toutes les actrices s’amusent de toute évidence beaucoup à régler leurs comptes à tous ces hommes. Quand à Tony Curtis, il jubile littéralement d’avoir à tenir ses deux rôles, celui du chouchouté et celui du passéiste (avec doublage de Michel Roux, bien entendu). Profitons en pour lui rendre hommage, tant les acteurs de son standing à savoir faire des choix de carrière aussi osés sont rares. Franz Antel a réalisé un film non pas parfait, mais en tout cas un très beau spécimen de comédie sexy dynamique et provocante, reposant pour une fois sur un scénario pas si stupide que ça (et qui est dû à Joshua Sinclair, un des acteurs fétiches d’Enzo Castellari).