Tootsie – Sydney Pollack
Tootsie. 1982Origine : Etats-Unis
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Michael Dorsey (Dustin Hoffman) a beau être un acteur doué, personne ne l’engage, et même son agent pense que personne ne le fera. La raison est simple : Michael a une trop grande gueule, et les réalisateurs ou metteurs en scène refusent de travailler avec lui. Pour prouver qu’il peut obtenir un rôle, Michael décide dans le plus grand secret de se présenter à une audition pour un rôle de femme revêche dans un soap opera hospitalier qui se trouve être dirigé par un affreux sexiste. Toujours grande gueule, il décroche le rôle non seulement grâce à son talent, mais aussi par ses brillantes improvisations pro-féministes, qui ravissent la productrice. Désormais devenu Dorothy Michaels, alias Tootsie, il tombe amoureux de Julie (Jessica Lange), une collègue travaillant sur le même feuilleton qui le prend aussitôt pour une amie et confidente. Il se retrouve donc dans une situation difficile…
Hasard d’Hollywood, Tootsie sort à peine un an après le Victor Victoria de Blake Edwards, autre film de travestissement qui cela dit inversait le sujet et masculinisait Julie Andrews. Son réalisateur est un autre grand ancien, Sydney Pollack, atterri là après quelques atermoiements qui laissèrent entre autres sur la touche Barry Levinson. Il est vrai que Tootsie est une œuvre assez rétro, non pas par son esthétique mais par le genre d’humour qu’il véhicule, plus proche des comédies sociales des années 50 ou 60 que de l’aspect non-sensique des films ZAZ ou de Mel Brooks. Le coup de l’homme qui se déguise en femme n’a certes rien de bien révolutionnaire, mais Pollack après un départ plutôt longuet densifie les quiproquos jusqu’à arriver à une sorte de vaudeville dans lequel Tootsie / Michael se retrouve dans une situation ingérable, où chaque contact est source de problèmes. Ne pouvant compter sur personne, ni sur son agent (Pollack lui-même, que Hoffman réussit à persuader de tenir le rôle en mettant en jeu sa propre participation au film) ni son son colocataire et ami (Bill Murray qui improvisa toutes ses remarques cyniques), Michael doit avoir recours à de nombreuses pirouettes n’étant pas sans évoquer la situation vécue par Tony Curtis et Jack Lemmon dans Certains l’aiment chaud (le film référence du travestissement). Évidemment, les gags ne sont pas des plus originaux et restent prévisibles du début à la fin (les hommes qui tombent amoureux de Dorothy, Michael qui se retrouve dans une loge avec une fille en petite tenue, puis qui tombe amoureux de Julie, les malentendus homosexuels…), mais Pollack les traite avec suffisamment de légèreté pour éviter qu’ils ne sabordent l’attachement du public vis-à-vis des personnages. En réalisateur consciencieux, il épargne Michael du ridicule et se montre même aux petits soins pour que Tootsie reste réaliste, sans attributs féminins exagérés (compte tenu de sa personnalité, il eut été facile de lui donner un style de matrone matriarcale). Hoffman dût ainsi passer par de nombreuses heures de maquillage, et le chef opérateur se vit contraint de concevoir son travail en fonction des prises de vue. Le résultat est là : sans être à se tordre de rire, sans non plus s’élever au niveau d’un Billy Wilder, Tootsie est un film plaisant parvenant à trouver le juste dosage de son comique de situation.
Maintenant, comme toute bonne comédie à l’ancienne, le film transcende son aspect comique par un regard social se voulant ici assez militant. La place de la femme se retrouve au cœur du film et se voit abordée sous différents aspects. Il y a d’abord la place de la femme dans le monde professionnel, et plus précisément dans le milieu de l’audiovisuel, où la condition d’objet de désir est prédominante. Vue à l’écran comme une salope, Julie est en réalité une femme douce et peu sûre d’elle. Tout l’inverse de son réalisateur, avec lequel elle sort et qui est plutôt du genre profiteur. L’arrivée de Tootsie et de ses improvisations féministes vont non seulement pousser Julie à prendre confiance en elle, mais va aussi ravir le public, qui voit en elle un modèle à suivre de femme affirmée. Pollack ne fait fort heureusement que suggérer cette réaction du public, et se concentre plutôt sur les liens amicaux unissant Julie à Tootsie, préservant le côté intimiste de son film, celui qui se voit attribuer la part du lion. Dans la peau d’une femme en apparence sûre d’elle-même, Michael peut assister à ce qu’éprouve les membres du sexe faible face à des hommes parfois moins délicats. Elles peuvent être des proies faciles face aux avances pressantes à la limite du viol (l’humour empêchant au film de verser dans la violence) et sont avant tout exposées à des blessures sentimentales dues aux comportements suffisants de ces messieurs. Devant Tootsie, Julie ouvre son cœur et révèle à Michael ce que lui-même ne pouvait concevoir, c’est à dire le comportement blessant de certains hommes à l’encontre de ce qui n’est pour eux que “leur aventure d’un soir”. En toute honnêteté, car il reste malgré tout un homme, et sans semblé orienter par l’affection qu’il éprouve pour Julie, Michael prend sans surprise partie pour sa collègue. Le manque de surprise de ce propos est d’ailleurs la grosse faille du film de Pollack. Car le réalisateur a beau mettre en avant la sensibilité, il faut bien admettre que ce propos féministe prend l’allure caricaturale de la traditionnelle opposition des hommes salauds contre les femmes fragiles. Ainsi, le metteur en scène de Julie aurait gagné à être moins pourri, et Julie aurait gagné à ne pas être vue sous un jour si conventionnel (la femme au foyer esseulée avec son enfant en bas âge). La présence du père de Julie, sympathique vieux veuf tendrement épris de Tootsie est là pour éviter les généralisations et pour faire prendre conscience à Michael qu’il est dangereux de jouer avec les émotions d’autrui, comme lui le fait avec Sandy, une amie avec laquelle il a récemment couché. Sans en avoir l’air, Pollack enfonce des portes ouvertes et on peut également lui reprocher une certaine vision un peu trop niaise des relations humaines, visant à encourager les hommes à accepter la part féminine qui est en eux, et les femmes à oser monter au créneau tel que le fait Michael. De plus, présenter celui-ci comme l’aide providentielle et émancipatrice de la femme (et de Julie en particulier) revient à laisser croire que la femme, seule, est incapable de réagir d’elle-même. Il serait abusif de taxer le film d’hypocrite, mais l’adjectif “maladroit” n’est pas à exclure. Disons que pour un film du début des années 80 intervenant une dizaine d’années après la libéralisation des mœurs, Tootsie a un train de retard et les inégalités qui subsistent indéniablement ont pris d’autres formes. Le réalisateur n’a pas fait qu’opter pour une structure de comédie à l’ancienne : il a également conservé des schémas éculés.
En fin de compte, la qualité majeure du film réside dans la mise en abîme du métier d’acteur à laquelle se plie Dustin Hoffman. Il incarne en effet un acteur jouant une femme qui elle-même joue une femme dans un soap opera. Au-delà de l’exercice que cela représente pour Hoffman (qu’il réussit brillamment), cette introspection du métier est le défi rêvé pour un acteur. Changer de peau, changer de vie, changer de mentalité, tout ceci constitue un enjeu au moins aussi ardu que parvenir à s’extirper de l’umbroglio sentimental dans lequel s’est fourré Michael. Tootsie peut donc alors être vu comme une illustration des besoins du métier d’acteur, mais aussi comme une mise en garde sur le danger présenté par cette tendance à jouer la comédie dans la vraie vie (cf. les nombreuses personnes induites en erreur par Michael lorsque celui-ci est Tootsie). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dans l’attente de trouver un emploi, Michael s’occupe en donnant des cours d’arts dramatique. L’aventure dans laquelle il se plonge sur un coup de tête met à l’épreuve ses propres capacités d’acteur, mais en étant couronnée de succès elle en vient aussi à remettre en question sa vision de la vie. Avec la robe de Tootsie, il aura certes réussi à comprendre une femme, mais il aura surtout fait figure de voyeur et de manipulateur. Le bilan de son expérience pourrait donc être mitigé. Hélas, le côté romantique finira par prendre le dessus. Eut-il réalisé le film quelques années plus tôt, Pollack n’aurait peut-être pas cédé ainsi à la facilité. Tootsie aligne les bonnes idées mais ne parvient pas à les mener à autre chose qu’à une vision hollywoodienne de la morale, propre à satisfaire un public désireux de ne pas se remettre en question. C’est par exemple particulièrement évident en ce qui concerne la caractérisation outrancière des personnages secondaires, qui évite d’incriminer tous les hommes qui auraient pu se sentir visés par les attaques sur le machisme faite sur le dos du metteur en scène. C’est aussi le cas sur Julie, présentée foncièrement comme une femme parfaite sur laquelle on ne peut que s’apitoyer. Les sentiments du public ont tendance à être manipulés, et ce dans des directions honorables mais pas toujours très finaudes. La légèreté de l’humour fait passer la pilule, mais une certaine déception demeure néanmoins.