Tintin et le mystère de la toison d’or – Jean-Jacques Vierne
A l’heure où se tourne Le Secret de la licorne en motion capture sous la houlette de Steven Spielberg, il est amusant de se replonger dans les premières adaptations du héros de Hergé, et plus particulièrement dans sa première adaptation avec des acteurs en chair et en os. Personnage connu dans le monde entier et qui a permis au neuvième art de gagner en respectabilité, Tintin a longtemps suscité des envies de transposition sur grand écran. Toutefois, entre le dire et le faire, il y a un pas qui fut long à effectuer. D’abord adapté sous la forme de film fixe (autrement dit une succession de diapositives) puis avec des poupées filmées image par image (Le Crabe aux pinces d’or de Claude Misonne – 1947), l’univers de Hergé perd de sa superbe. Le manque de moyens allié à des méthodes plus que rudimentaires rendent ces tentatives vaines et finalement bien peu enthousiasmantes pour tous les amateurs du reporter du Petit Vingtième. Malgré tout, des cinéastes commencent à s’intéresser à Tintin à la fin des années 50. Et c’est finalement à Jean-Jacques Vierne -un obscur réalisateur au curriculum vitae famélique (trois films en tant qu’assistant réalisateur et seulement un en tant que réalisateur, au moment des faits)- qu’incombe la délicate tâche de mettre en images les aventures du jeune reporter.
Par une belle journée ensoleillée, le capitaine Haddock est perturbé dans sa sieste par le pétaradant solex du facteur. Ledit employé des postes justifie son empressement par une missive de toute première importance. Son contenu apprend au capitaine le décès du commandant Paparanik, une vieille connaissance qui lui lègue son bien le plus cher, son navire marchand. Flatté et intrigué, le capitaine Haddock emmène Tintin et son fidèle Milou à Istanbul, ville où mouille le fameux navire. Sur place, le dépit succède à l’excitation devant un bateau tellement décrépi qu’il semble bien incapable de reprendre la mer. Près à le vendre au plus offrant, Haddock fait machine arrière après que Tintin et lui aient failli périr dans un guet-apens. Les deux hommes sont désormais bien décidés à comprendre pourquoi ce bateau attire tant les convoitises.
Sans doute pour des raisons de droit, cette première aventure de Tintin sur grand écran ne se réclame d’aucun album paru. Et, contrairement à ce que son titre pourrait le laisser croire, elle n’évoque pas plus la mythologie grecque. La Toison d’or du titre n’est que le nom du bateau, nœud d’une intrigue qui amène Tintin et le capitaine Haddock à remonter le cours de l’existence du commandant Paparanik. Très vite, il apparaît que le vieux loup de mer a caché un trésor. La quête qui s’ensuit, et plus particulièrement dans la dernière partie du film, n’est pas sans rappeler celle qui nous tenait en haleine dans Le Trésor de Rackham le Rouge. D’ailleurs, tout au long du film, on retrouve de nombreuses réminiscences de l’œuvre phare de Hergé, comme autant de clins d’oeil. Pour n’en évoquer que quelques-uns, citons le crocodile rouge, logo de l’entreprise Karexport, qui renvoie au signe du pharaon Kih-Oskh ; ou encore Haddock et Tintin coincés au sommet d’une tour qui, pour se débarrasser de leurs poursuivants, laissent dévaler des boulets de canon dans les escaliers, comme le fit avec des pierres le Tintin de papier pour se préserver du gorille, gardien de l’île noire. De ce point de vue là, Tintin et le mystère de la toison d’or se dote d’un aspect ludique assez plaisant, d’autant que lesdits clins d’œil s’intègrent harmonieusement au récit. Pour le reste, le film ressemble davantage à un aimable séjour touristique (visite des principaux monuments d’Istanbul, détour par la Grèce et son folklore) qu’à un trépidant film d’aventure. Pourtant, entre autres péripéties, le réalisateur nous gratifie d’une poursuite motorisée, de quelques scènes de bagarre (lors desquelles Tintin montre des aptitudes au judo) et d’une fusillade finale. Mais tout cela manque singulièrement d’énergie et d’une mise en scène suffisamment dynamique pour que l’on se sente soudainement happés par l’action. Ainsi, tout le film se déroule sur un faux rythme qui donne l’impression qu’il n’a jamais vraiment démarré. Quant aux méchants aux visages patibulaires, ils se succèdent sans que leur menace n’infléchisse le cours du récit. C’est du cinéma un brin désuet, pas vraiment mal fait mais sans génie voire sans vie. Et c’est essentiellement là que se situe l’échec du film, incapable de restituer le petit grain de folie qui émane des albums de Hergé.
Cela nous amène à nous intéresser à la personnification des principales figures de l’univers de Tintin. Passons sur le rôle titre, dont le caractère héroïque et sans aspérités est le plus aisé à retranscrire, pour nous intéresser aux personnages hauts en couleur que sont le capitaine Haddock, le professeur Tournesol et les Dupondt. A eux quatre, ils concentrent l’essentiel de l’humour de l’œuvre de Hergé et apportent un salvateur contrepoint à la perfection incarnée par Tintin. Dans le film, cela est beaucoup moins évident, du fait principalement d’une interprétation et d’une personnification qui se bornent au simple copié – collé. Déjà, les postiches dont s’affublent Georges Wilson (Haddock) et Georges Loriot (Tournesol) n’aident pas. Dés leur apparition, on ne peut s’empêcher de voir les acteurs derrière les personnages, leurs gesticulations n’arrangeant rien. Il ne suffit pas de crier « Bachi-bouzouks » ou « Mille millions de mille sabords » à tout bout de champ pour faire oublier l’acteur sous la casquette de marinier. De même pour la surdité de Tournesol, dont la retranscription paraît aussi surjouée que dans une mauvaise pièce de théâtre. Quant aux Dupondt, ils n’occupent pas une grande place dans le récit, leur présence ne se justifiant que par leur statut d’incontournables dans le monde de Tintin. A contrario des deux Georges, les deux comédiens (anonymes) qui les interprètent sonnent juste. Malheureusement, ce sont les scènes où ils interviennent qui s’intègrent mal au récit, le plus souvent en aparté de l’action principale. Un procédé dont usait déjà Hergé mais qui fonctionne beaucoup mieux sur papier que sur grand écran. Ici, ces apartés humoristiques ne font que perturber un rythme déjà bien défaillant.
A l’époque même de sa sortie, Tintin et le mystère de la toison d’or avait déjà rebuté les puristes. Sans en être un, et même en prenant cette adaptation pour un simple film d’aventure, il faut bien reconnaître l’échec de l’entreprise. Cependant, je dois admettre aussi avoir trouvé à l’ensemble un charme indéfinissable, peut-être lié à l’humilité qui s’en dégage. Nous ne sommes pas dans du cinéma clinquant qui cherche à épater la galerie. Il émane de ce film comme un plaisir simple de rendre hommage à un héros de notre enfance. Alors oui, c’est maladroit et dans l’ensemble plutôt raté, mais aussi foncièrement attachant. Du cinéma bon enfant comme on en fait plus.