Texas Chainsaw 3D – John Luessenhop
Texas Chainsaw 3D. 2013Origine : Texas
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Le temps n’aura guère été clément avec le pauvre Leatherface. La qualité des trois premières séquelles du film original alla en déclinant, jusqu’à atteindre ce qui est encore à ce jour le nadir de la saga (Massacre à la tronçonneuse, la nouvelle génération). Mais jusque là, il ne s’agissait que d’enquiller les suites comme le faisaient les Jason, les Freddy, les Michael Myers et autres tueurs emblématiques à peu près à la même période… Leatherface aurait pu s’arrêter là, d’autant que ses séquelles n’ont pas particulièrement fait d’étincelles dans la critique ou auprès du public, et que ses rivaux entrèrent en sommeil. Mais le pire pour notre artiste de la découpe restait à venir : sous la houlette de Michael Bay et de Marcus Nispel, c’est sa résurrection qui donna le coup d’envoi de la mode du remake. Ce n’est pas que ce Massacre à la tronçonneuse sauce 2003 soit particulièrement honteux, mais c’est bien à partir de lui que le cinéma d’horreur “mainstream” entra dans sa grande frénésie de n’importe quoi. Sur ce créneau, Leatherface fut pionnier, puisque suite au remake il eut droit à la préquelle de son remake. Puis, via un changement de détenteur des droits, au reboot ! On repart à zéro avec Texas Chainsaw 3D, qui se veut une suite directe du film de 1974, faisant ainsi l’impasse sur le Massacre à la tronçonneuse 2 de Tobe Hooper (pourtant pas déméritant). Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il y eut ensuite la préquelle du film de 1974, qui par conséquent est également celle de Texas Chainsaw 3D. Et enfin, toujours suite à un changement de propriétaire, nouveau reboot avec le Massacre à la tronçonneuse de David Blue Garcia, qui lui aussi se veut une suite directe au film de 1974… mais sans forcément passer au dessus de tous ceux qui l’ont précédé. Fede Alvarez, le producteur de ce film sorti sur Netflix, s’en explique ainsi : “Quand des films font cela, ça semble parfois un peu irrespectueux vis-à-vis de tous les autres films. Certaines personnes adorent Massacre à la tronçonneuse 2. Moi-même il y a beaucoup de choses que j’apprécie dans ce film… Son côté farfelu et ancré dans son époque. Mais pour le reste, du point de vue de la continuité, c’est un beau foutoir. Je pense que c’est à vous de voir quand et comment les évenements des autres films se sont déroulés”. Alvarez a au moins le mérite de la sincérité : ses propos laissent clairement transparaître que la seule chose qui lui importe, c’est de faire joujou avec l’héritage du film de Hooper, et peu importe la logique globale. Il est vrai que le film originel n’expliquait absolument rien sur le passif de sa famille de cannibales. Envoyer les protagonistes dans la gueule du loup sans autre forme de procès, sans rime ni raison, faisait justement parti de son impact et de son côté malsain. Avec la vague de remakes / reboots / préquelles, cette force disparaît au profit des explications et des délires tous azimuts au sujet de cette famille Sawyer dont le nom n’est apparu que dans le Massacre à la tronçonneuse 2 de 1986. Dans le lot, Texas Chainsaw 3D est peut-être ce qui s’est fait de plus ubuesque, se payant le luxe d’intégrer ce gadget en vogue qu’était alors la 3D. Notons au passage qu’au nombre de ses scénaristes figure Adam Marcus, qui vingt ans plus tôt avait déjà fait n’importe quoi dans Jason va en enfer…
Non sans mal, Sally Hardesty est parvenue à échapper aux griffes des dégénérés qui ont décimé son frère et ses amis. Recueillie par un automobiliste, elle a pu regagner la civilisation et alerter les autorités de sa mésaventure. En conséquence, le shérif du patelin dont dépend la ferme des Sawyer, car tel est le nom du clan de cinglés, se rend sur place pour intimer l’ordre au chef de famille de lui livrer Jed, le fameux porteur de tronçonneuse. Les choses ont l’air de bien se passer, jusqu’à ce que des autochtones enragés ne débarquent et entament une fusillade qui se termine par l’incendie de la maison Sawyer, avec tous ses membres à l’intérieur… Tous ? Non ! Car un bébé est recueilli en toute discretion par l’un des rednecks… Des années plus tard, une certaine Heather apprend que sa véritable grand mère est décédée à Newt, Texas. Elle apprend alors qu’elle fut adoptée, et, repoussant les conseils de ses parents, se rend avec quelques amis (et un autostoppeur) dans la vieille demeure de famille. Ayant trouvé le moyen de rester seul, l’autostoppeur malintentionné se livre alors à un cambriolage en règle… Jusqu’à ce que qu’un rude gaillard claquemuré à la cave ne débarque et commence le massacre…
Attention, attention ! John Luessenhop, le réalisateur, est en train de réaliser la séquelle directe du film de 1974, qu’il sait idôlatré. Qui plus est, il entame son film en embrayant directement sur le dénouement du film de Hooper. Est-ce parce qu’il sait que son entreprise pourrait heurter les fans ou parce que lui-même en est un qu’il prend tant de pincettes pour mettre en scène l’introduction de Texas Chainsaw 3D ? Peu importe : cette entame oscille bizarrement entre un “fan service” racoleur et une incohérence folle. D’une part, nous y voyons les caméos de Gunnar Hansen (le premier interprète de Leatherface), de John Dugan (qui reprend son rôle du grand-père à demi momifié de 1974) et de Bill Moseley (qui jouait le remarqué Chop Top dans Massacre à la tronçonneuse 2), mais d’autre part nous voyons aussi qu’au moment de se barricader, la famille Sawyer est bien plus nombreuse que ce qu’elle ne fut au moment de pousser Sally Hardesty au bord de la folie. C’est même parmi ce surnombre que Hansen vient s’afficher, tandis que Moseley reprend le rôle tenu naguère par feu Jim Siedow. Pourquoi avoir recours à de nouveaux personnages, en détournant ainsi les évenements du premier film ? Et bien parce que Luessenhop et ses scénaristes sont déjà en train de préparer la suite de leur film, qui fera de l’esprit de famille un élement central. Au moment de leur introduction, les nouveaux personnages sont donc là pour montrer la solidarité censée régner dans le clan Sawyer. Ce faisant, ils apportent avec eux une touche de raison dont étaient tout-à-fait dépourvus les sauvages de 1974. C’est aussi le moyen d’introduire le personnage du bébé, qui deviendra ensuite (cela ne fait pas un pli) le personnage principal dans le reste du film, à l’époque contemporaine. En germe, toute la médiocrité de Texas Chainsaw 3D est déjà affichée : introduire des liens familiaux forts apparaît d’ores et déjà comme le meilleur moyen d’atténuer la rudesse de ce que l’on peut attendre d’un Massacre à la tronçonneuse. Le gore n’y changera rien : à partir du moment où la famille Sawyer agit pour se protéger plutôt que pour afficher leur mépris de la vie humaine (tout ce qui vit est du bétail en puissance), la rupture est définitive avec le film de Hooper. Recourir aux services des acteurs d’antan n’y change rien et apparaît même comme une façon de jeter de la poudre au yeux. Sourtout qu’au-delà de ces caméos de l’introduction, nous pourrons également par la suite apercevoir Marilyn Burns (la Sally Hardesty de 1974) ainsi qu’une tripotée de références visuelles tout droit issues du film de Hooper. C’est le cas par exemple de l’emphase mise sur le réduit dans lequel vit Leatherface, barré par une solide porte de fer qu’il aime rabattre violemment. C’est aussi le cas pour ces victimes qui convulsent après un coup de marteau sur la gueule. De même pour cette nana enfermée dans un réfrigérateur, ou encore pour le rôle décisif joué par un autostoppeur. Et ne parlons pas de ce grand classique qu’est l’accrochage à un crochet de boucher… Aligner ce genre de références, sans nuire au visionnage pour les nouvelles générations, ne fait que revendiquer haut et fort le “respect du matériau originel”, comme ci celui-ci ne pouvait se résumer qu’à quelques scènes ou artifices marquants. La réalité est que quand il n’est pas en train d’imiter son modèle, Luessenhop fait dans le grand n’importe quoi. En cela, il illustre bien l’absurdité du concept du “reboot préquelle”.
Tous les membres de la famille Sawyer décédent donc dans l’introduction, à l’exception de Heather (alors un bébé) et bien entendu de Leatherface. Caché du reste du monde au fin fond de la cave d’un manoir huppé, ce dernier est devenu le secret d’une tata Verna sortie du chapeau (Marilyn Burns dans son caméo) pendant que dans le même temps la jeune femme vit sa vie de crypto-punk en conflit avec sa famille qu’elle ne sait pas adoptive… Pour le moins bancal (d’un coup, nous apprenons que les Sawyer, en plus d’avoir été nombreux, sont liés aux très respectables Carson) et très prévisible, ce stratagème est une bien piètre excuse pour une préquelle incapable de prendre un parti et de s’y tenir. C’est à dire que Texas Chainsaw 3D, une fois passée sa séquence d’introduction embrayant sur les évenements de 1974, se divise scolairement en trois parties distinctes l’une de de l’autre. La première n’est rien d’autre qu’une vague introduction comme il en existe des mille et des cents dans le cinéma d’horreur. A savoir que nous apprenons à connaître les principaux protagonistes, qui n’auraient guère mérités d’être connus… Une démarche digne de n’importe quel slasher avec la conclusion qui s’impose : Heather est le seul personnage vaguement important. Tous les autres ne sont là que pour remplir le quota de victimes d’un film qui se voudrait généreusement gore, ou éventuellement pour intervenir à des fins de rebondissements narratifs. Ce n’est donc pas une surprise si la seconde partie n’est qu’un slasher en bonne et due forme, certes un peu plus violent que la moyenne puisque Luessenhop joue beaucoup sur la sauvagerie intrinsèque de l’arme du crime et qu’il reprend à son compte la crasse et la décrépitude de l’antre de Leatherface. Un peu débile, bizarrement accoutré, doté d’un masque comptant parmi les plus laids de la saga, celui-ci évoque plus le Jason du second chapitre des Vendredi 13 que n’importe quel autre de ses avatars précédents. Dans cette seconde partie, le film se résume grosso modo à un jeu de massacre convenu (il faut du temps avant qu’Heather se rende compte que quelque chose cloche) se payant le luxe de transiter par une fête foraine dans laquelle Leatherface sera peu à son avantage, tout obnubilé qu’il est par la poursuite de Heather. Discrétion assurée pour celui qui vivait depuis 30 ans dans une cave apparement sans broncher. Mais il est vrai que tata Verna veillait sur lui, et qu’elle n’est plus là. Il demeure le seul être vivant de sa famille, ou du moins le croit-il… La troisième partie se consacre donc à ce gloubi-boulga familial exposé grossièrement lorsque Heather consulte opportunément le dossier de police du massacre de la famille Saywer. De là, le film qui n’était déjà guère relevé plonge corps et bien en jouant la carte de la solidarité familiale, tandis que la vilénie retombe sur les épaules des rednecks vengeurs d’antan, qui n’ont depuis guère évolué dans leur raisonnement mais occupent désormais des postes clés (du Trump avant l’heure). En clair, Leatherface se transforme en anti-héros pendant que Luessenhop s’égare dans un sous texte social sur les véritables dégénérés, en apparence bien plus présentables que Leatherface mais dans le fond non moins sauvages que lui. Sauf qu’eux sont méchants en toute connaissance de cause, tandis que le tronçonneur n’a jamais fait autre chose que de suivre honnêtement des préceptes familiaux certes discutables. Dans le fond, lorsque sa colère finit par se tourner vers les véritables bourreaux des Sawyer, le simplet qu’il est finit par devenir attendrissant. C’est du moins ce qu’espère Luessenhop, qui n’a visiblement pas conscience de frôler le ridicule…
Pourquoi donc prétendre faire une séquelle directe à un film datant de plus de 40 ans pour au final opérer un si grand écart stylistique et scénaristique avec celui-ci ? Même pris isolément, ce Texas Chainsaw 3D n’a pratiquement rien pour lui. Sa construction est scolaire, sa mise en scène routinière, son propos grotesque (peut-on réellement prendre Leatherface en pitié alors qu’il a passé les deux tiers du film à découper tout le monde sans aucune justification ?) et son “twist” déjà éventé ne fait aucun sens (Heather accepte Leatherface sur la seule foi de leur lien familial, vraiment ? Et inversement aussi ?). Alors lorsque l’on songe que Luessenhop a en plus la prétention de se racrocher directement au premier film de la saga et que pour cela il multiplie les clins d’oeil, on en vient vite à se dire que si l’hystérique Massacre à la tronçonneuse, la nouvelle génération n’avait pas été si abyssal, nous aurions été là en présence du plus mauvais opus d’une saga qui ne sait définitivement plus sur quel pied danser. Entre leur volonté d’imaginer tout et n’importe quoi au sujet de Leatherface et des siens tout en continuant à multiplier les courbettes devant le film de Hooper, toutes ces séquelles, reboots et remakes continuent inlassablement à brasser du vent. Finalement, c’est peut-être Hooper lui-même qui a pris le meilleur parti en faisant de sa propre séquelle une sorte de parodie soulignant par l’absurde les composantes du film de 1974.