Suspiria – Dario Argento
Suspiria. 1977Origine : Italie
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Suzy Bannion, frêle Américaine, débarque en Allemagne pour intégrer une académie de danse réputée. Son arrivée ne s’effectue pas dans la simplicité, loin de là. Elle se fait éconduire lors de sa première visite à l’académie, et apprend l’assassinat de l’une des pensionnaires durant la seconde. Ce ne sont là que les prémisses d’un apprentissage délicat au cours duquel elle passera par tous les états, et découvrira le sombre secret que l’académie abrite en son sein.
Sixième film de Dario Argento, hors œuvres télévisuelles, Suspiria marque une étape importante dans sa carrière. Lors de son précédent film, Les Frissons de l’angoisse, il avait insufflé un soupçon de fantastique à une intrigue purement “giallesque” via la parapsychologie. Dans Suspiria, le fantastique se taille la part du lion et offre l’occasion à Dario Argento de repousser encore plus loin ses limites. Cela se matérialise par des meurtres encore plus graphiques, l’utilisation de couleurs saturées et de décors monumentaux (le hall de l’immeuble, lieu du premier meurtre, entre autres), et par dessus tout, l’abondante utilisation de la musique composée par Les Goblins. Leur musique ne se contente pas de simplement accompagner les images, elle fait véritablement corps avec le récit, figurant les émanations maléfiques qui proviennent des tréfonds de l’académie. Tous ces éléments conjugués donnent une coloration inédite à Suspiria, qui se pose en parangon d’un cinéma de l’excès.
Toutefois, Dario Argento ne se dépare pas de quelques constantes de son œuvre passée. Son intrigue, linéaire, épouse comme pour ses précédents films la forme du récit policier. Des choses étranges se déroulent au sein de l’académie, ce qui intrigue fortement Sara, pensionnaire tout comme Suzy, et qui était très amie avec la première victime. C’est elle qui prend Suzy sous son aile, et encore elle qui amène Suzy à s’intéresser de plus près aux agissements des professeurs de l’académie. Pour la première fois chez Dario Argento, le personnage principal est une femme. Et pour la première fois également, ledit personnage fait preuve d’une confondante passivité pendant les trois-quarts du film. C’est que Suzy, dès son arrivée à l’aéroport, semble le jouet d’une force étrange qui prend la forme d’un orage qui éclate subitement. Elle se retrouve rapidement comme vampirisée par la directrice de l’académie, qui la maintient sous sa coupe, sous prétexte d’un traitement à suivre, après qu’elle se soit évanouie en pleine séance de travail. Sara représente en quelque sorte son garde-fou, la seule personne qui la mette en garde contre l’étrangeté des comportements des membres de l’encadrement de l’académie. Cependant, Sara se retrouve dans l’incapacité de briguer autre chose qu’un rôle secondaire, dans la mesure où elle ne possède pas la clé de l’intrigue. Dommage pour son interprète, la ravissante Stefania Casini, qui bénéficiera tout de même de la plus belle mise à mort du film, la plus éprouvante aussi.
Comme lors des précédents films de Dario Argento, Suspiria dispose d’une scène matricielle à laquelle le personnage principal doit se référer à la fin du récit pour en dénouer tous les nœuds. Argento constitue de véritables puzzles mentaux à l’intention de ses personnages, qui possèdent dès le départ, et sans le savoir, toutes les solutions à l’insoluble problème qui leur est exposé. A la différence qu’ici, Suzy n’est pas confrontée qu’à un simple émissaire du mal, mais carrément à l’une de ses génitrices. Plus encore que sur ses précédents films, Dario Argento nous entraîne dans un univers à part. La civilisation n’a que peu de présence à l’écran, et les forces de l’ordre sont réduites à un rôle ornemental. Qu’un des protagonistes vienne à mourir en ville ne change en rien les partis pris narratifs du réalisateur. La pauvre victime trouvera la mort, perdue dans l’immensité d’une place désespérément déserte. Argento concentre toute son attention sur l’académie de danse, monumentale bâtisse aux murs d’un rouge vif, sise à l’écart de la ville au beau milieu d’une forêt impénétrable aux arbres immenses. Rempart bien illusoire contre des forces maléfiques aux formes multiples et qui traquent sans relâche la cible désignée.
Excessif, gore, virtuose, Suspiria représente la quintessence de l’œuvre de Dario Argento. Ce film contient à la fois les promesses d’une orientation nouvelle (apparition du fantastique, féminisation de ses personnages), et les signes avant-coureurs d’une carrière à venir chaotique. Par la suite, rongé par la toxicomanie et le manque d’inspiration, il va réaliser des films à la médiocrité croissante, que de trop rares fulgurances ne parviendront pas à sauver. En indécrottable optimiste, je me prends à rêver d’un retour en grâce à l’occasion de la sortie à venir de La Terza Madre, tardif troisième volet de sa trilogie sur les mères maléfiques. En Italie le succès et d’ores et déjà au rendez-vous. Reste à savoir si la qualité sera également de la fête. En attendant, armons-nous de patience et redécouvrons Suspiria dans une magnifique version remasterisée à l’occasion de ses trente printemps.