Survival of the Dead – George A. Romero
Survival of the Dead. 2009Origine : États-Unis / Canada
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Cela fait maintenant un mois que les morts se sont mis à marcher. Un mois durant lequel le Sergent Crockett de la Garde Nationale a vu bon nombre de ses hommes mourir. Lassé de cette routine macabre, il aspire à trouver un endroit tranquille pour lui et ses hommes afin d’y couler des jours heureux. Dans cette optique, il consent à ramener Patrick O’Flynn, croisé en chemin, sur Plum, une île du Delaware dont ce dernier vante les vertus. Sauf qu’en guise du paradis tant espéré, Crockett et ses hommes tombent dans un enfer cultivé par deux patriarches –dont O’Flynn– qui se disputent chacun le contrôle total de l’île.
Inlassablement, George A. Romero continue de creuser plus avant le sillon de sa saga zombiesque, faisant fi de retours de moins en moins élogieux. Difficile de savoir ce qui le fait encore avancer : l’argent, le plaisir de filmer, jeter un regard sur le monde de manière allégorique, ou tout ça à la fois ? Toujours est-il que Survival of the Dead s’inscrit dans la continuité de Diary of the Dead, reprenant plus ou moins là où son prédécesseur s’était arrêté. Toutefois, on parlera plutôt ici d’une suite indirecte dans la mesure où le seul personnage commun aux deux films –le Sergent de la Garde nationale Crockett– n’était qu’une silhouette parmi d’autres sur le parcours de Jason Creed et ses amis. De fait, Survival of the Dead se fend d’une brève présentation des événements par ses soins, suivie de la scène durant laquelle il était apparu dans le film précédent en guise de rappel, avant d’introduire la situation conflictuelle qui alimentera l’intrigue.
Bénéficiant de toujours moins de budget, George Romero en profite pour radicaliser son propos. Autrefois symbole d’un renouveau possible (la fin du Jour des morts-vivants), l’île prend ici les allures d’un enfer créé de toutes pièces par l’homme, plus que jamais outil de sa propre destruction. Ce qui se joue à Plum n’est pas sans évoquer une Guerre de Sécession à petite échelle dont l’enjeu n’est autre que l’avenir des morts-vivants. Dans ce cadre, Patrick O’Flynn et ses affiliés campent de parfaits nordistes, désireux de libérer les morts-vivants de leur condition en les tuant une bonne fois pour toute. Quant à Seamus Muldoon et ses hommes, ils incarnent le pendant sudiste, privant les morts-vivants de toute liberté en les entravant par de lourdes chaînes qui les muent en de pathétiques automates, condamnés à effectuer les mêmes gestes ad vitam aeternam. Ils se livrent une guerre sans merci dont les véritables enjeux laissent peu de place au doute : imposer sa vision des choses et diriger l’île. Au froid pragmatisme de Patrick O’Flynn (il faut éradiquer les morts-vivants pour préserver les vivants) s’oppose la foi aveugle de Seamus Muldoon (dans l’espoir d’un remède futur, il s’échine à parquer les morts-vivants). Cependant, en dépit de leurs différends, les deux hommes se ressemblent bien plus qu’ils ne voudraient se l’avouer, à commencer par leur autoritarisme que les dramatiques événements ont contribué à amplifier. Et si l’on note néanmoins une préférence très nette de Romero pour O’Flynn –le paria–, les deux meneurs d’hommes rivalisent en antipathie par leur esprit étriqué et buté. Chacun prêche pour sa paroisse, réfractaire aux arguments de l’autre, convaincu du bien-fondé de leur action. Romero observe tout ça d’un œil détaché, pointant du doigt les contradictions des deux hommes jusqu’à l’absurde. Dans sa croisade anti morts-vivants, O’Flynn et ses hommes peuvent ainsi abattre une mère éplorée sans sourciller puis hésiter à tirer sur ses deux enfants zombifiés. Quant à Seamus Muldoon, il peut ordonner l’exécution d’un mort-vivant pour calmer une contrariété. Si ces entorses à leurs propres principes participent en un sens au chaos ambiant –quoique le monde continue à tourner, comme en atteste la persistance d’émissions télévisées au sein desquelles les morts-vivants sont moqués–, la direction pour le moins floue que George Romero confère à son récit frise le bordel généralisé.
D’ordinaire plutôt adepte des histoires simples qui vont droit à l’essentiel, le cinéaste se plaît ici à multiplier les personnages en dépit du bon sens, quitte à ce que certains soient totalement laissés de côté au fil de l’intrigue (l’adolescent gouailleur, voire le Sergent lui-même durant la dernière partie), et à abreuver le récit de sous-intrigues totalement inintéressantes et contre-productives (la sœur jumelle, le conflit familial). Quant à la menace censément incarnée par les morts-vivants, elle apparaît inconsistante, juste bonne à relancer le récit de manière aussi mécanique que peu inspirée. Des scènes ou idées prometteuses sur le papier (la traversée à la nage d’une portion de mer peuplée de morts-vivants, la cavalière zombie) sont mal ou pas du tout exploitées par un George Romero incapable de retrouver un semblant de hargne. De fait, il règne un mélange de gêne et de consternation devant ce spectacle affligeant de banalité et totalement inoffensif. Romero apparaît bien en peine d’apporter une dimension nouvelle à la figure qu’il a façonnée. Tout au plus laisse t-il entendre que le mort-vivant peut acquérir un régime alimentaire sensiblement égal au nôtre (autrement dit, manger de la viande animale), à condition de “l’éduquer” en ce sens. En somme, il va dans le sens d’une cohabitation possible entre les deux espèces. Une idée intéressante non seulement trop vite évacuée en guise de fin ouverte, mais qui en outre va dans le sens des élucubrations religieuses de Seamus Muldoon, ce qui nous laisse sur une impression bizarre. Certes, on pourrait attribuer la paternité de la figure des morts-vivants aux écrits bibliques faisant état de Lazare, revenu à la vie trois jours après sa mort. Néanmoins, il est surprenant de voir George Romero donner raison à un horrible bigot, quand bien même confère t-il une dimension dérisoire au dernier plan du film.
Il est toujours triste de voir un cinéaste que l’on apprécie ne plus pouvoir tourner autant qu’il le désire. Cela le devient davantage encore lorsque ce même cinéaste enchaîne les films indignes de son talent. Moins prolifique que son compère transalpin Dario Argento, George Romero suit néanmoins le même chemin, s’enfonçant toujours un peu plus dans la médiocrité, l’imagination tarie et l’envie en berne. Alors que le cinéma fantastique sombre dans le conformisme, il est regrettable de voir ses plus fiers représentants suivre le même chemin.