Superman – Richard Donner
Superman. 1978Origine : États-Unis
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Alors que la planète Krypton court à sa perte, le scientifique Jor-El décide de sauver son enfant -Kal El- en affrétant un module qui doit le conduire sur la planète Terre. Agé de trois ans à son arrivée, il est recueilli par les Kent qui l’élèvent comme leur fils et qu’ils prénomment Clark, n’ignorant rien de ses incroyables pouvoirs. A la mort de son père adoptif, Clark quitte Smallville pour affronter le grand monde. Engagé en tant que reporter au Daily Planet, grand quotidien de Metropolis, il tombe rapidement amoureux de sa collègue Loïs Lane, qui elle n’a d’yeux que pour Superman. Ce singulier ménage à trois n’aura guère le temps de se développer, la faute à Lex Luthor, brillant cerveau du crime, qui projette le détournement de missiles nucléaires afin de faire disparaître la côte ouest des Etats-Unis. Du travail en perspective pour Superman.
A une époque où les adaptations des aventures de super-héros sont devenues monnaie courante –quasiment un film tous les ans depuis 1996–, il est intéressant de revenir sur le Superman de Richard Donner, pionnier du genre à plus d’un titre. Pionnier, le rescapé de la planète Krypton l’a toujours été. Premier super-héros recensé, Superman a de part son succès engendré une pléthorique descendance, et par conséquent, toujours bénéficié d’un traitement à part. Il a ainsi été adapté à toutes les sauces (feuilleton radiophonique, dessin animé, sérial, et enfin sous la forme d’une série télé à succès), en dépit de caractéristiques extraordinaires qui rendent ardues leurs retranscriptions. A tel point que la fameuse série avec George Reeves a longtemps penché du côté du polar plutôt que du fantastique. La série stoppée, le personnage entre ensuite en hibernation, laissant le champ libre à Batman dont la pétillante série égaie les petits écrans de par le monde durant les années 60. Soudain dépassé en termes de renommée et de liberté de ton, Superman ne peut en rester là, et se doit de retrouver de sa superbe en frappant un grand coup. Pour cela, il lui faut (re)conquérir le grand écran.
L’idée germe dans l’esprit d’Ilya Salkind, fils du producteur Alexandre Salkind, avec lequel il produit les deux volets des Trois Mousquetaires de Richard Lester en 1974. Ce succès lui donne l’idée d’orchestrer également le retour de Superman sous la forme d’un diptyque, dont les deux volets seraient tournés dans la continuité. Néanmoins, la préproduction est particulièrement laborieuse, usant de nombreux scénaristes dont Mario Puzo (Le Parrain), et ayant raison de la motivation du premier réalisateur envisagé : Guy Hamilton. Le poste échoit alors à Richard Donner, heureux réalisateur de La Malédiction, et qui se lance dans l’aventure sans trop savoir vers quoi tendrait une intrigue pas encore finalisée à l’heure du premier tour de manivelle. Une seule certitude, le film se doit de faire sensation. Le budget alloué se veut conséquent, et permet à Superman de rallier à sa cause des acteurs de renom tels Marlon Brando, Glenn Ford et Gene Hackman. Des rôles minimes, voire insignifiants à l’échelle du film, mais primordiaux du strict point de vue mythologique. Le film souffre ainsi d’une fastidieuse mise en route qui doit poser dans un même élan les origines de Superman, son enfance assortie de son apprentissage de la vie terrestre, son arrivée à Metropolis, et pour finir la présence de sa Némésis, le démiurge Lex Luthor. Un mal propre à la majorité des films du genre, qui répond néanmoins à un choix mûrement réfléchi. De la même manière que le super-héros de papier n’a pas glané sa popularité en l’espace d’une seule et unique aventure, les producteurs de ces adaptations estiment qu’un film seul ne suffirait pas à embrasser un univers aussi riche en possibilités. Ilya Salkind se pose donc en précurseur d’une tendance qui se généralisera à Hollywood une vingtaine d’années plus tard. De fait, non content de poser les jalons de son propre récit, Superman prépare déjà activement le film à venir. Ainsi, les trois dissidents kryptoniens sur lesquels s’ouvre l’histoire, et que condamne Jor El lors d’une scène a priori sans importance, camperont les antagonistes de l’inévitable séquelle. En courant deux lièvres à la fois, cette première aventure ne peut qu’en pâtir. Il en résulte un rythme poussif (il faut patienter une heure avant de voir Lex Luthor et Superman passer à l’action), alternant scènes d’exposition, ébauche de romance, et morceaux de bravoure sur un mode égal. Comme écrasé par le gigantisme de l’entreprise, Richard Donner ne transcende jamais sa réalisation, d’une platitude confondante. Héroïques sur le papier, les actes de Superman relèvent à l’écran de la banale péripétie, lorgnant du reste avec insistance du côté du film catastrophe. En outre, le clou du spectacle –Superman inverse la rotation de la Terre pour lui permettre d’intervenir à temps et sauver Loïs d’une mort atroce- a l’inconvénient de rendre encore plus improbable la moindre ébauche de tension dramatique. Le principal problème du personnage réside dans sa perfection. Doté d’une force inouïe, capable de voler, de voir à travers toute chose (sauf le plomb), il est en outre d’une droiture irréprochable. Bref, d’un sombre ennui. Dans la logique interne du récit, cette scène tente de pallier à ce point délicat en humanisant quelque peu le personnage. Agissant sous le coup de l’émotion (son amour pour Loïs lui rend insupportable sa disparition), il désobéit dans le même geste à son père, lequel lui avait formellement défendu de changer le cours des événements. En un sens, cette spectaculaire preuve d’amour se double d’un défi à l’autorité du paternel défunt. La preuve que le super mec possède un cœur, et qu’il peut le laisser prendre le dessus sur la raison. L’intention est louable, son exécution quelque peu maladroite, d’autant que celle-ci n’écorne en rien l’image de perfection du personnage puisque son acte, bien que teinté d’égoïsme, ne revêt aucune conséquence fâcheuse à l’échelle de la planète. En somme, ce léger coup de sang n’est que broutille eu égard à l’excellence du bonhomme, et se clôt sur un ton badin, ce qui en dit long de son importance.
Ce penchant à la constante distanciation pose question. A quoi bon investir des sommes colossales dans un tel sujet si c’est pour constamment le tourner en dérision ? Loin de remettre en cause le caractère bien-pensant d’un personnage si parfait, symbole d’une Amérique qui se veut surpuissante et dominant le monde, le film se borne à dépeindre un univers sans grandes aspérités, dans lequel l’autoproclamé “plus grand génie criminel de tous les temps” s’acoquine avec un imbécile heureux et une jolie plante réfractaire à son génie malveillant. La candeur avec laquelle Christopher Reeve s’est approprié le personnage de Clark Kent semble avoir été adoptée par tous les participants, Superman ressemblant à un amalgame entre l’époque qui a vu naître le personnage (la fin des années 30) et l’époque à laquelle il a été tourné. Il en découle un spectacle éminemment gentillet, clinquant (faste des décors, kitsch pour la planète Krypton, impressionnant pour le pied-à-terre de Lex Luthor), et finalement assez cynique dans sa volonté de ratisser large. Superman est un pur blockbuster, à la campagne promotionnelle idoine, qui tente par tous les moyens de créer l’événement, certainement motivé par le phénomène Star Wars. Cependant, que cela soit sur le plan technique (les effets visuels, lauréats d’un Oscar à l’époque, ont bien vieilli) ou narratif (difficile de se passionner pour les actes d’un surhomme confronté à des fantoches), il ne lui arrive jamais à la cheville. A la naïveté du premier répond le cynisme à tout crin des producteurs du second, plus soucieux des rentrées d’argent que de la qualité intrinsèque du film. Il n’y a qu’à voir le traitement infligé à Richard Donner, proprement débarqué en plein tournage de la séquelle, sans une once de considération pour les services rendus. Il en nourrira une amertume bien légitime, sans que l’on sache pendant longtemps ce que Richard Lester, son successeur, a conservé de son travail. Mais cela est une autre histoire.
Aujourd’hui encore, le Superman de Richard Donner jouit d’une belle cote d’amour auprès d’un public prompt à l’intégrer dans la liste des bonnes adaptations de super-héros. Une bienveillance peu compréhensible, compte tenu de la désinvolture de l’ensemble. Le film n’aborde aucun thème précis, se contentant de survoler les principales caractéristiques du personnage sans apporter un regard neuf, ni même les prémisses d’une intrigue au long court qui donnerait envie d’en voir davantage. Cet aspect catalogue devient rapidement rédhibitoire, et seules les prestations de Christopher Reeve –plutôt à son affaire dans le costume de Superman, et qui campe un Clark Kent savoureux de gaucherie– et de Gene Hackman, d’une riante suffisance, sauvent le film de l’échec artistique total.