Starry Eyes – Kevin Kölsch et Dennis Widmyer
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Starry Eyes. 2014.Origine : États-Unis
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Sarah Walker se rêve actrice. Un rêve plutôt commun à Hollywood, qu’elle partage avec plein d’autres aspirantes comédiennes. Difficile dans ces conditions de sortir du lot. Pourtant, Sarah y croit dur comme fer et s’accroche. En attendant ce rôle qui changerait sa vie, elle travaille comme serveuse et prend quelques cours de comédie afin de mettre toutes les chances de son côté. Et ce rôle, elle pense l’avoir trouvé lorsqu’elle obtient un rendez-vous en vue d’auditionner pour un film d’horreur, The Silver Scream. Elle rate son premier passage mais réussit à en obtenir un second dans la foulée puis un troisième qui l’amène au saint Graal, rencontrer le producteur du film. Sauf que ce dernier se montrant un peu trop tactile à son goût, elle quitte précipitamment son bureau, la mort dans l’âme. La voici donc repartie dans son quotidien misérable, à espérer une nouvelle opportunité. A moins que la sensation d’avoir effleuré du doigt son but ultime finisse par l’emporter sur ses principes. Après tout, sa quête de réussite ne serait-elle pas à ce prix ?
Comme un pied-de-nez adressé à la figure du réalisateur démiurge, certains réalisateurs ou certaines réalisatrices préfèrent oeuvrer de concert, dans un partage des tâches qui convient à tout le monde. De Michael Powell et Emeric Pressburger (Le Narcisse noir, Les Chaussons rouges) aux frères Coen (Sang pour sang, Fargo) en passant par les frères puis soeurs Wachowski (Bound, Matrix), les frères Taviani en Italie (La Nuit de San Lorenzo, Good Morning, Babilonia), les Dardenne en Belgique (Rosetta, L’Enfant) ou les frères Pang à Hong Kong (Bangkok Dangerous, Les Messagers), les binômes ne sont pas rares dans le monde du cinéma. Et la France n’est pas en reste. Dans le sillage de quelques duos fondés sur les amitiés électives comme Caro et Jeunet (Delicatessen, La Cité des enfants perdus), Gustave Kervern et Benoît Delépine (Aaltra, Saint Amour) ou Julien Maury et Alexandre Bustillo (A l’intérieur, Livide), le cinéma français voit de plus en plus de fratries prendre les commandes de films avec Arnaud et Jean-Marie Larrieu (Peindre ou faire l’amour, Le Roman de Jim), Ludovic et Zoran Boukherma (Teddy, Leurs enfants après eux) ou encore Delphine et Muriel Coulin (Dix-sept filles, Jouer avec le feu). Une manière d’aborder le métier avec l’assurance d’avoir toujours un soutien, quelqu’un avec qui faire front face aux aléas et embûches d’un tournage. Et puis cela peut revêtir un côté rassurant, surtout au moment de se lancer dans la fosse aux lions. La collaboration entre Kevin Kölsch et Dennis Widmyer remonte au film Absence en 2009. Avant ça, ils avaient réalisé quelques court-métrages chacun de leur côté avant de lier leur destin, pour le meilleur et pour le pire. Avec Starry Eyes, ils proposent une plongée dans le quotidien d’une aspirante comédienne au sein d’un milieu très concurrentiel en opérant un basculement progressif dans l’horreur.
L’horreur est ici utilisé pour enrichir un sujet galvaudé qui trouve son pendant dans bon nombre de trajectoires de véritables comédiennes. A sa manière, le quotidien de Sarah Walker qui se partage entre diverses auditions et son travail alimentaire dans un restaurant ressemble en tous points à celui de l’actrice Mary Steenburgen durant les années 70, serveuse à ses heures dans un Magic Pan’, l’une de ces nombreuses chaînes de fast food qui fleurissent aux États-Unis. A ceci près qu’il manque à Sarah une rencontre décisive avec un acteur de la trempe de Jack Nicholson. Sarah ne côtoie que des gens comme elle, qui aspirent à être mais ne sont pas. De jeunes adultes aux airs adolescents qui pensent d’abord à prendre du bon temps, sans se mettre quelque forme de pression que ce soit. Au pire, si la célébrité ne vient pas à eux, ils iront la chercher, qui en écrivant et en réalisant son film, qui en en interprétant la principale héroïne… Sarah, elle, n’a pas le temps d’attendre. Il y a un sentiment d’urgence chez elle qui va de pair avec une profonde détestation de soi. Elle ne se sent pas assez à la hauteur, pas assez élégante, ni assez jolie. Et lorsque les événements ne vont pas dans son sens, elle s’empresse de se faire du mal dans de grandes crises de rage que de vils directeurs de casting n’hésitent pas à exploiter. D’emblée, Sarah s’impose comme une victime en puissance, sensible aux quolibets et toujours encline à se dénigrer. La proie idéale pour tous ces vautours qui gravitent autour et dans le milieu du cinéma. L’affaire Weinstein n’avait pas encore éclatée mais les méthodes de certains hommes influents tenaient du secret de polichinelle. Kevin Kölsch et Dennis Widmyer font leur beurre de tout ce “folklore” hollywoodien, plaçant leur héroïne face à un cas de conscience. En choisissant d’envoyer paître le vieux pervers, Sarah fait preuve d’une soudaine grande force de caractère. Il y a des limites dans ce qu’elle consent à faire et à accepter. L’oie blanche tombe de haut mais au moins elle n’aura pas flanché. Du moins c’est ce que les auteurs laissent croire de prime abord. Sauf qu’ils décident d’inverser le rapport de force. De victime, Sarah devient demandeuse et consentante. Elle agit désormais par intérêt, sûre de son choix et prête à être la confiture qu’on jette en pâture à tous ces cochons. En agissant ainsi, elle accepte de devenir le jouet du système, une denrée périssable qu’on délaisse après avoir trouvé mieux. Au fond, son rêve, elle ne le touchera jamais du doigt dans le cadre du récit. Tout repose sur une promesse, un contrat tacite passé entre le patron d’Astraeus Pictures et elle. Notons au passage la subtilité du nom de la boîte de production qui reprend la terminologie si chère à ce milieu. Au sein de cette constellation d’acteurs et d’actrices, il s’agit d’être l’étoile qui brille le plus fort et le plus durablement avant qu’elle ne finisse pour la postérité sur le Walk of Fame, vouée à être piétinée par de nombreux badauds qui au fil du temps ne sauront même plus à qui correspond le nom qui y est inscrit.
Royaume de l’illusion, Hollywood est aussi celui des illusions perdues. Un miroir aux alouettes où nombreux sont ceux qui veulent s’y perdre, parfois corps et âme. En cédant ainsi aux sirènes de la renommée, Sarah passe un pacte faustien. Une analogie qui n’a rien d’anodin dans le contexte du film puisque Hollywood et le satanisme ont souvent fait bon ménage. Anton Szandor LaVey, un original issu de la jet set de San Francisco et grand organisateur de fêtes somptueuses, est le créateur de l’église de Satan en 1966. Il a suscité la curiosité de tout le gratin mondain, des Beatles aux Rolling Stones en passant par Kenneth Anger et Jayne Mansfield. Il a même été consultant sur le tournage de La Pluie du diable de Robert Fuest où il a également fait de la figuration. L’un de ces nombreux films d’horreur qui dans la lignée du Rosemary’s Baby de Roman Polanski évoque les cultes sataniques. Il n’en fallait pas plus pour que la culture populaire s’en empare. Et encore aujourd’hui, des artistes très populaires du monde musical (Nicki Minaj, Justin Bieber, Katy Perry), particulièrement auprès des adolescents, relaient ces thèmes à travers performances sur scène et autres vidéoclips. Kevin Kölsch et Dennis Widmyer s’inscrivent donc dans l’air du temps sans non plus chercher à creuser plus avant cet aspect de leur film. Ils s’en tiennent à quelques signes distinctifs (robes de bure, pentagramme, sabbat) relèguant ça en toile de fond. Ils n’ont rien à dire sur le sujet et ne cherche même pas à inscrire le parcours individuel de Sarah dans un mouvement de plus grande ampleur. Une fois Sarah en pleine mutation, Starry Eyes se meut alors en slasher lambda. Sarah élimine tous ceux qui pourraient la ramener à sa vie d’avant, réglant au passage ses comptes avec Erin, la pimbêche qui prenait un malin plaisir à la rabaisser. Cela se veut la métaphore d’un arrivisme forcené – il faut écraser/éliminer les autres pour réussir – mais ça limite surtout le propos à un jeu de massacre éculé. Il se crée cela dit un parallèle évident entre la trajectoire du personnage Sarak Walker et celui de l’actrice qui l’incarne. Pour Alexandra Essoe, Starry Eyes et un peu son The Silver Scream à elle, un moyen de se faire une place au soleil et ainsi peut-être gagner en notoriété. Or pour cela, il faut que le film en question fasse parler de lui, suscite l’engouement, voire fasse l’objet d’un culte d’une poignée de fans énamourés. Et encore, rares sont les comédiennes à avoir pu exister au-delà du film d’horreur emblématique qui les a fait connaître. Jamie Lee Curtis demeure un cas rare dans le milieu. Plus proche de nous, Neve Campbell reste désespérément prisonnière de son rôle de Sidney Prescott en dépit de tentatives éparses. Elle reprend d’ailleurs du service pour Scream 7, sous la houlette du revenant Kevin Williamson. Un regard sur sa filmographie post-Starry Eyes tend à indiquer qu’Alexandra Essoe n’a pas fini de manger son pain noir. Le film de Kevin Kölsch et Dennis Widmyer n’a pas fait beaucoup de vagues, profitant surtout au duo qui s’est ensuite vu confier la réalisation de Simetierre. Pas de quoi non plus pavoiser.
Sur un sujet archi rebattu, Starry Eyes ne réussit pas à tirer son épingle du jeu. Les deux réalisateurs auraient même tendance à l’entraîner sur un terrain glissant, faisant de son héroïne le pur produit finalement consentant des injonctions hollywoodiennes à la sensualité et l’érotisation des corps. L’oie blanche se fait mante religieuse prête à toutes les extrémités. Dans ce Los Angeles aux teintes blafardes, Sarah Walker déambulait comme une âme en peine, rêvant de la lumière des projecteurs. Après son pacte avec le diable, elle irradie d’une lueur malsaine, figure désincarnée de l’actrice au service des puissants.