Shaun of the Dead – Edgar Wright
Shaun of the Dead. 2004.Origine : Royaume-Uni, France, États-Unis
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Shaun et Liz se trouvent à un tournant de leur relation. Alors que monsieur se complaît dans une routine qui consiste à écluser des pintes au Winchester ou à jouer à la console avec son ami et colocataire Ed, madame souhaiterait du changement, que leur histoire évolue. Elle aspire à davantage de romantisme et d’inattendus. Et puis elle voudrait surtout passer au niveau supérieur, être présentée à la maman de Shaun et, qui sait ?, vivre avec lui et fonder une famille. Mais chaque chose en son temps. Shaun étant un peu lent, le romantisme sera la première étape. Et cela commence par un dîner dans un restaurant dont il doit assurer la réservation. Son oubli lui est fatal. Lassée, Liz décide d’aller de l’avant. Et cela se fera sans Shaun. Au 36e dessous, le jeune homme trouve refuge dans l’alcool et soutien auprès de Ed pour une nuit de biture carabinée. A leur réveil, ils ne perçoivent pas immédiatement les changements qui ont eu lieu pendant la nuit. Un virus s’est propagé dans toute la ville, transformant bon nombre d’habitants en zombies affamés. Shaun n’a dès lors plus qu’un but, récupérer sa mère et Liz afin de les mettre à l’abri.
Alors que producteurs et distributeurs ne se bousculent plus vraiment au chevet de George A. Romero, dont le dernier film – à l’époque – Bruiser a connu une exploitation en salles particulièrement frileuse quand ce n’est pas tardive dans une poignée de pays, son héritage continue d’irriguer tout un pan du cinéma fantastique. Dans la foulée de Resident Evil et surtout de 28 jours plus tard, la figure du zombie revient en force en ce début des années 2000. En 2004 sortent pas moins de deux films en lien avec l’œuvre du cinéaste de Pittsburgh, L’Armée des morts de Zack Snyder et Shaun of the Dead de Edgar Wright. Le premier s’inscrit dans la vague de remakes des classiques du cinéma d’horreur initiée par le Massacre à la tronçonneuse de Marcus Nispel, reprenant les grandes lignes de Zombie tout en en modifiant l’approche, notamment en ce qui concerne les morts-vivants eux-mêmes, beaucoup plus véloces et agressifs que dans la trilogie de George Romero. Autre nouveau venu dans le milieu du cinéma en dépit de A Fistful of Fingers, un western parodique passé totalement inaperçu à sa sortie en 1995, Edgar Wright a une approche plus déférente que son homologue américain. Son film, il le voit à la fois comme un hommage (le présentateur du journal télévisé suivi par Shaun et Ed reprend les paroles du reporter visible dans La Nuit des morts-vivants) et un prolongement des thèmes développés dans la série qui l’a fait connaître, Spaced (Les Allumés). C’est d’ailleurs sur le tournage de la série que s’ébauchent les prémices de Shaun of the Dead, notamment lorsque dans l’un des épisodes, le personnage joué par Simon Pegg se retrouve piégé dans le jeu Resident Evil 2. Une fois Spaced achevée au terme de deux courtes saisons de 7 épisodes chacune, et engendré un phénomène de culte outre-manche, Edgar Wright et Simon Pegg s’attèlent en toute liberté à l’écriture de leur film. Les zombies ne représentent finalement qu’un élément de l’intrigue, laquelle lorgne plus volontiers du côté de la comédie romantique que du côté de l’horreur nihiliste.
Comédie ne veut pas dire parodie. Les situations cocasses s’enchaînent sans pour autant que les morts-vivants soient tournés en ridicule. Ils viennent au contraire rappeler que le drame n’est jamais bien loin, toujours prêt à surgir pour sanctionner le moindre moment d’inattention. Edgar Wright prend bien soin de ne pas minimiser la menace représentée par les morts-vivants ni de rendre leur éradication trop aisée et décomplexée. Shaun, Liz et leurs amis sont de simples quidams guère belliqueux de nature et qui ne se découvrent pas des talents de tueurs au cœur de l’invasion. Leurs maladresses priment et lorsque cela est possible, ils préfèrent éviter l’affrontement plutôt que de tenter le diable. Leur parcours n’a rien d’héroïque et ne vise pas à l’être. Edgar Wright place ses personnages dans une situation d’urgence qui n’exclut jamais le quotidien. Pour se rassurer et donner l’impression de contrôler la situation, Shaun se réfugie derrière sa routine et ses petites habitudes, lesquelles se résument à s’entourer de sa garde-rapprochée (son – ex – petite amie Liz, son vieux pote Ed et sa maman) et les emmener au pub le Winchester, son fief. C’est justement dans cette irruption de l’horreur au sein du quotidien le plus calibré que le film excelle. Par petites touches successives, Edgar Wright illustre les changements qui s’opèrent insidieusement autour de Shaun, sans que celui-ci n’en prenne la pleine mesure. Il utilise pour cela plusieurs procédés, de la réplique anodine à la portée prophétique (le “Toi, t’es mort !” asséné par Shaun au gamin qui joue au foot dans sa rue et dont le ballon vient de le percuter), aux gros titres des journaux entraperçus avant que le gérant de la supérette ne pose sa main dessus en passant par un zapping télé dont l’enchaînement entre le journal télévisé, l’extrait d’un documentaire animalier ou un passage des Smiths sur scène donne un aperçu du péril à venir. Edgar Wright apporte un soin maniaque à la construction de son film qui prend des allures de jeu de piste pour le spectateur le plus averti. Les indices quant à la tournure des événements et à leur déroulé pullulent (le programme que Ed déroule à Shaun afin de lui remonter le moral annonce ce qui va suivre de manière imagée) et de nombreuses scènes avant l’invasion de zombies trouvent leur pendant après, avec en point d’orgue ces deux plans-séquence autour de Shaun se rendant à la supérette de son quartier. Dans sa première partie, Shaun of the Dead se construit sur l’ironie dramatique. Le spectateur sait de quoi il retourne alors que les personnages s’engluent dans le marasme du quotidien, insensibles à ce qui les environne. Shaun se rend bien compte que quelque chose ne tourne pas rond (beaucoup de gens tombent malades, les rues grouillent de véhicules de pompiers ou d’ambulances qui déboulent toutes sirènes hurlantes) au point que certains détails l’intriguent (le clochard du square au milieu de la nuée de pigeons) mais sans que cela ne provoque en lui un déclic. Trop préoccupé par sa romance qui périclite, il se focalise sur le meilleur moyen de sauver son couple, se renfermant un peu plus sur lui-même et ses petits tracas.
Inhérente au genre, la question de l’isolement infuse tous les films de morts-vivants. Face aux hordes de zombies déferlants de toutes parts, les vestiges de l’humanité se raréfient, ilots de résistance dérisoire contre une extinction qui semble pourtant inéluctable. Le sauve-qui-peut l’emporte souvent sur tout autre considération, et le chacun pour soi n’est jamais bien loin. C’est que bien souvent, la situation amène des gens d’horizons différents à se côtoyer alors qu’ils n’auraient jamais frayé ensemble en temps normal. Source de tensions, cette proximité forcée teintée de rapports de force inappropriés donne souvent une bien piètre image de la personne humaine, toujours capable de précipiter sa chute par excès d’individualisme alors que la situation invite à davantage de cohésion et de collaboration. Ces tensions existent au sein du groupe de Shaun mais visent davantage à entretenir l’aspect soap du film qu’à illustrer une quelconque fracture sociale. David, le colocataire secrètement amoureux de Liz, incarne l’élément perturbateur. Il sape en permanence les velléités organisationnelles de Shaun, traînant des pieds ou remettant en question chacune de ses directives. David n’existe pas autrement que dans l’opposition, sorte d’oiseau de mauvais augure dont les rares prises de décision entraînent de graves conséquences. Il n’a aucune estime pour Shaun qu’il considère comme un raté et ne comprend donc pas ce que Liz peut lui trouver. Sa relation avec Dianna n’est qu’un pis-aller, un passe-temps en attendant de pouvoir trouver l’ouverture avec Liz. C’est un personnage détestable que Dylan Moran (la série Black Books) rend pathétique dans sa manière de ne jamais reconnaître ses torts. Il partage néanmoins avec Shaun cette incapacité à aller de l’avant, préférant garder un pied dans le passé et refuser d’évoluer. Quoique Shaun veut changer. Ou du moins se résout à le faire puisque c’est la condition sine qua none pour qu’il ait encore une chance de reconquérir Liz. Le cœur du film tient donc à ce programme griffonné sur le frigo un soir de beuverie : “Chercher maman. Reconquérir Liz. Mieux gérer ma vie.”. Des injonctions qu’il fait sienne, telle une mission de la dernière chance qui revient in fine à faire le vide autour de lui. Pas de manière volontaire, bien évidemment, mais le résultat reste le même. Liz et Shaun roucoulent à nouveau une fois débarrassés de leurs parasites respectifs. Sous couvert d’une fin heureuse, le film distille un goût prononcé pour la misanthropie et l’entre-soi. Liz qui réclamait à corps et à cris du romantisme, des sorties culturelles et des voyages, semble désormais se contenter de moments de farniente lovée dans le canapé du salon. Elle a échappé au virus mortel pour succomber à un autre, celui de la flemme. Pour Shaun, “mieux gérer sa vie” revient à reléguer certains éléments constitutifs de sa jeunesse dans la remise du jardin, Ed inclus. Enfin, ce qu’il en reste. Personnification du glandeur par excellence, bon pote mais dont la lourdeur entraîne la gêne, Ed représente le boulet de Shaun. Mais un boulet consenti transformé dans ce dernier plan en un bibelot, relique d’un passé sanctifié dont on ne voudrait pour rien au monde se séparer. Voulu comme un gag, ce dernier plan engendre le malaise, réduisant le lien de l’amitié à une chaîne et au partage d’une partie de jeu vidéo. Pour Simon Pegg, l’interprète du rôle titre, la présence de Ed dans la remise vient plutôt confirmer l’impossibilité de Shaun à changer, ce qui vouerait sa relation avec Liz dans l’impasse. S’accrocher à ce point à son passé jusqu’à l’absurde sera également au cœur de Le dernier pub avant la fin du monde, dernier volet de la trilogie Cornetto. Une sorte de métaphore du cinéma actuel qui reprend sempiternellement les mêmes figures pour éviter d’avoir à se poser trop de questions.
Plutôt bien accueilli à l’époque, Shaun of the Dead a non seulement entériné le retour au premier plan de la figure du zombie, au point que George Romero lui-même sortira son Land of the Dead un an plus tard avec des caméos d’Edgar Wright et Simon Pegg, mais également lancé de manière durable la mode du film de zombies humoristique. Un humour qui oscille ici entre le potache et l’humour noir (“Parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne mangent pas de viande de nos jours.”, lance la mère de Shaun, s’inquiétant des goûts culinaires de Liz) sans que cela ne déclenche de francs moments d’hilarité. Pour un film sur le chaos qui s’empare du monde, Shaun of the Dead paraît trop construit et trop sage. L’œuvre appliqué d’un bon élève qui n’aimerait pas mettre les doigts dans la prise.
Qu’est ce que j’ai pas aimé ce film. Il y a eu une resucée des films de zombies et parmi L’Armée des morts et Land of the Dead, il y a eu Shaun of The Dead. On a dit qu’il avait redonné une fraicheur au film de zombies. Je l’ai pas vu ainsi. Pour moi, le film était lourd du fait de ses interprètes, dont l’aspect comique m’a laissé de glace. Une déception, quant à l’horreur, elle est amoindrie par le décalage avec les personnages, qui sont complétement à côté de la plaque, inconscients du danger et pinaillant sur les détails de leurs vies dont on se serait bien passé. Edgar Wright me prouvera par la suite qu’il n’est pas le génial réalisateur tant adulé, que ce soit avec sa trilogie cornetto ou ses autres films.