Rivière sans retour – Otto Preminger
River of no return. 1954.Origine : États-Unis
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Matt Calder vient tout juste de retrouver son fils Mark, avec lequel il aspire à un repos bien mérité dans leur humble demeure. Il en ira tout autrement suite à l’irruption de Kay et de son fiancé Harry Weston. Ce dernier, récent propriétaire d’un gisement aurifère à Kansas city, souhaitait gagner la ville en descendant la rivière à bord d’un radeau. Convaincu de la dangerosité de cette option, il s’empare par la force du fusil et du cheval de Matt pour s’assurer un voyage sans encombres. Sauf que Matt n’aura dès lors de cesse de le poursuivre, quitte à effectuer la poursuite en radeau.
Rivière sans retour témoigne de l’ardent désir de Otto Preminger de réaliser un western. En s’appropriant un genre purement américain, sans doute souhaitait-il prouver son attachement à son pays d’adoption, tout en faisant montre d’un réel éclectisme. Grands espaces, fièvre de l’or, indiens menaçants et héros dur à cuire, tous les ingrédients du bon western des familles répondent à l’appel. A Otto Preminger d’accommoder tout ça à sa convenance, dans le cadre d’un scénario des plus fonctionnels. A croire que le scénariste n’a été embauché que pour orchestrer la réunion des deux têtes d’affiche à bord du radeau, laissant par la suite son imagination suivre paresseusement le fil du courant. Otto Preminger s’en contente, et se montre tout aussi paresseux que son scénariste. Sa mise en scène est sans éclat, ce que les scènes de bagarre rendent flagrants, la caméra devenant aussi figée que la passive Kay. Quant au coeur du film, les scènes à bord du radeau, il alterne plans larges, qui rendent grâce aux paysages, et plans serrés sur les protagonistes, qui luttent autant contre les remous de la rivière que contre les transparences hasardeuses. En soi, la rivière représente déjà un péril de taille. Ce n’est pas pour rien que les indiens l’ont baptisée “la rivière sans retour”. Pourtant, Otto Preminger croit bon d’ajouter un assaut des indiens contre nos hardis marins, dans le but de gonfler le nombre des péripéties. Non content que cela défie toute logique –pourquoi les indiens s’embêteraient-ils à les traquer alors qu’ils sont convaincus de la dangerosité de ce cours d’eau ?-, cela conforte par là même l’image d’éternel méchant que les indiens se coltinent au cinéma depuis des lustres. Sur le strict plan du spectaculaire, nous ne sommes pas gâtés. Et c’est encore plus vrai lorsqu’on découvre, comme moi, ce film à la télévision. Bénéficiant des splendides paysages canadiens, Otto Preminger a judicieusement tourné son film en cinémascope, format qui, à l’époque, était encore frappé du sceau de la nouveauté. Le téléviseur ne rend pas du tout justice à ce procédé, ce qui occasionne quelques désagréments. Il n’est ainsi pas rare que deux protagonistes se parlent, chacun à un bout de l’écran, sans que nous puissions distinguer l’un ou l’autre distinctement. Cela apporte un soupçon d’étrangeté à un film qui en était dépourvu.
Peu à l’aise avec l’action, Otto Preminger peut toujours donner le change avec son trio de personnages. J’occulte volontairement celui de Harry Weston, dont l’unique fonction est de lancer l’action par sa soif d’or et d’une vie meilleure. Le réalisateur oppose donc Matt, un rustre solitaire, à Kay, une plantureuse chanteuse de saloon qui n’a pas la langue dans sa poche. Mark, le fiston, joue un rôle d’arbitre, voire de tampon, puisqu’il constitue le seul point sur lequel les deux personnages s’entendent. Matt est un homme d’une grande droiture, mais il doit composer avec le meurtre d’un homme dont il s’est rendu coupable pour sauver la vie d’un ami. Cela lui a valu un séjour en prison durant lequel sa femme est décédée, ce qui a conduit leur fils à se débrouiller tant bien que mal. Maintenant qu’il l’a retrouvé, il veut être un bon père et compenser ses années d’absence. Seuls le bien-être et la sécurité de son fils comptent désormais à ses yeux. Quant à Kay, elle ne souhaite qu’une chose, arrêter de chanter pour des soûlards et vivre heureuse avec Harry. Bien que ce dernier ait mal agi, elle le défend en permanence et n’hésite pas à se mettre en danger pour empêcher Matt de le retrouver et de lui régler son compte. Le voyage est ainsi jalonné de prises de bec entre Kay et Matt, d’où affleure un certain respect mutuel. Cependant, Matt n’en reste pas moins homme, et Kay, une femme fort désirable. Le côté bestial prenant le dessus, Matt est à deux doigts de la violer pour assouvir ses besoins les plus refoulés. Curieusement, celle-ci s’en remet facilement, n’hésitant pas à poursuivre sa route avec lui, et en lui témoignant beaucoup de sollicitude. Dans la carrière de Marilyn Monroe, Rivière sans retour s’inscrit dans une volonté de diversifier ses rôles pour montrer toute l’étendue de son talent de comédienne. Dans le rôle de Kay, elle s’en sort honorablement, néanmoins, il ne la change guère de son ordinaire, lui permettant de faire à nouveau étalage de ses talents de chanteuse sans dévoiler une facette inédite de sa personnalité. Face à elle, Robert Mitchum demeure impassible, se cantonnant à l’aspect bourru de son personnage.
A trop vouloir réaliser son western, Otto Preminger en a oublié d’injecter son regard d’européen à un genre qu’il traite avec trop de déférence. Pour ne pas heurter les bonnes moeurs suite au baiser entre Kay et Matt, il s’empresse de lever le voile sur le statut de fiancée de la jeune femme qu’elle s’était inventée. Pis, toutes les péripéties auxquelles nous assistons tendent vers la reconstitution d’une famille autour du gentil Mark. Kay oublie bien vite tout l’amour qu’elle portait à Harry, et Mark sait désormais qu’on est parfois obligé de tuer un homme pour sauver un être cher. Le parallèle grossier qu’Otto Preminger effectue avec l’acte répréhensible du père achève de rendre Rivière sans retour parfaitement imbuvable.