Reservoir Dogs – Quentin Tarantino
Reservoir dogs. 1992Origine : Etats-Unis
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Suite à un casse qui a tourné au carnage, le réglo Mr. White (Harvey Keitel) conduit un Mr. Orange blessé par balle (Tim Roth) au garage abandonné qui sert de repère au gang formé par les cerveaux de l’affaire, Joe Cabot et son fils Eddie. Ils y attendent les autres membres du gang, si du moins ils ont survécu. Le paniqué Mr. Pink (Steve Buscemi) est le premier à s’amener, suivi quelques instants plus tard par le calme et sadique Mr. Blonde (Michael Madsen). En attendant des nouvelles de Joe et Eddie, ils tournent tous comme des lions en cages en se demandant lequel d’entre eux les a donné aux flics…
La première digestion cinématographique de Quentin Tarantino est le fruit d’un heureux hasard : l’apprenti réalisateur, qui travaillait encore dans un video club, eut un jour la belle surprise d’être contacté par un Harvey Keitel alors en perte de vitesse qui proposa non seulement de jouer dans le film mais aussi de s’y investir au niveau de la production. De 30 000 dollars, le budget gonfla à un million et demi et Monte Hellman, un autre grand nom sur le retour, rejoignit la production. D’ambitieux acteurs tentèrent alors vainement de rallier le projet (Samuel L. Jackson, George Clooney, David Duchovny) tandis que d’autres, plus confirmés, le refusèrent (Christopher Walken, James Woods). Une fois les rôles principaux attribués (ou même avant, qui sait ?), le casting se boucla finalement avec Quentin Tarantino lui-même et avec Eddie Bunker, ex bandit devenu écrivain. Deux petits rôles qui on toutefois une valeur symbolique d’un réalisateur qui à travers ses films aime à faire part à qui veut l’entendre de ses propres goûts. On ne saurait lui reprocher ceci. Reservoir dogs s’inspire principalement de deux films : L’Ultime Razzia de Stanley Kubrick et City on Fire de Ringo Lam. A ces deux-là on peut y ajouter Les Pirates du métro de Joseph Sargent, La Grande évasion, Dillinger l’ennemi public N°1, Le Syndicat du crime 2 et toute une tripotée d’autres, venant d’horizons divers et produits à différentes époques. En dresser une liste complète avec références à l’appui ne serait pas chose aisée. Tarantino dispose d’une énorme culture cinématographique, qu’il met au service de son film avec un réel talent de brodeur. Tous ces emprunts s’entremêlent fort logiquement, sans jurer, à tel point qu’il n’est pas aisé de se rendre compte sur l’instant des références utilisées… et qu’il faut déjà connaître. Là commence l’éternel débat tarantinien : sa méthode relève-t-elle de l’hommage ou est-elle un monument d’hypocrisie cynique visant à se faire mousser sur le travail des autres, inconnus du grand public ? Difficile d’imaginer la seconde alternative, tant Tarantino sait pertinemment que les critiques ne manqueront pas de relever les références. Et pourtant, il n’est pas tout à fait exclu d’y voir une forme de cynisme encore plus prononcée : après tout, une bonne partie du public, jeune de préférence, se contrefiche pas mal des films d’origines, qu’il ne verra jamais. Généralement péteux, ce public a tendance à brûler les influences pour affirmer sans sourciller que son chouchou est le meilleur. Une façon comme une autre de dénigrer l’époque à papa et de glorifier sa propre culture. Mais là encore, difficile de voir Tarantino comme l’étendard de cette suffisance. En revanche, son intention de remettre ses propres standards au goût du jour est indéniable, et c’est certainement là que son cinéma pêche le plus.
Car les dépoussiérages selon Tarantino deviennent des prétextes à une “cool attitude” extrêmement prononcée, qui a systématiquement tendance (ou presque) à réduire à néant toute les trames narratives de ses films pour les transformer en simple supports à idées. Pour faire simple, disons que ses films sont de véritables baudruches : énormes en façade (et jusqu’à Kill Bill inclus plus le temps passera plus cela sera vrai), complètement creux à l’intérieur. Étant le premier film du réalisateur, Reservoir dogs reste encore le plus fréquentable, même si ce syndrome tarantinien nous saute déjà à la gueule dès l’ouverture, lorsque les différents membres du gangs sont réunis et dissèquent le sens profond de la chanson “Like a virgin” de Madonna avant de livrer leur petite philosophie de comptoir sur la justification des pourboires. Les dialogues sont mémorables et dressent les caractères des différents personnages, mais dans le fond, l’inutilité de la scène est totale. Elle est même revendiquée comme telle, puisque les sujets abordés sont d’une futilité hors normes. Bien plus que de nous présenter ses personnages, cette introduction n’est en fait que le moyen de placer ses dialogues humoristiques, qui selon les goûts pourront soit faire rire soit lasser. Quant aux véritables présentations des personnages, elles interviendront dans des flash backs qui n’apporteront strictement rien non plus au récit, si ce n’est mettre en lumière des passés qui n’ont aucune incidence et dévoiler l’identité de la balance, dont on se doutait déjà. Après tout, les personnages nous sont déjà familiers à partir du moment où ils se confrontent les uns aux autres dans le garage… D’autre flash backs retracent la fuite de White et de Orange, de même que la façon dont celui-ci fut blessé. En revanche, rien ne nous sera montré sur le casse en lui-même. Toutes ces scènes, dispersées un peu au hasard, ne laissent aucun doute sur la dimension tape-à-l’oeil du film de Tarantino. Là aussi il ne s’agit que de placer quelques dialogues bien sentis ou un peu d’action à moindre frais. La narration éclatée du récit n’est qu’une preuve supplémentaire du total je m’en foutisme avec lequel Tarantino traite son scénario. Le réalisateur est bien trop occupé à fabriquer son propre style pour se contenter d’aller du point A au point Z. Mais là encore, rien n’est perdu : il ne serait pas le premier à réussir un film sans pour autant disposer d’un scénario digne de ce nom.
Le principal hic venant une fois encore de cette frime comique, cette “cool attitude” qui pousse le film à se frayer coûte que coûte une place au rayon des films cultes. L’omniprésence de chansons groovy datant des années 70 (qui forment toute la bande originale du film) s’accompagne des fameux dialogues, qui eux-même regorgent de références pop. Reservoir dogs est un vrai film de flambeur. Ainsi la fameuse scène de torture pratiquée par le tordu Mr. Blonde sur un flic qu’il a pris en otage cherche ostensiblement à choquer son spectateur par la calme complaisance dont fait preuve le personnage de Michael Madsen. Restée dans les mémoires, auréolée d’une réputation sulfureuse (le réalisateur Wes Craven et le maquilleur Rick Baker seraient sortis de la salle pendant la projection du film !), la scène ne va pourtant pas chercher bien loin. Son point culminant, le découpage d’oreille, n’est même pas montré. Toute sa réputation, elle la doit en fin de compte au style Tarantinien, qui en fait des caisses pour donner du relief à quelque chose de relativement sage (les films dont s’inspire Tarantino sont bien plus méchants que ça). Avec cette frime, avec cet humour, le réalisme et la spontanéité sont totalement absents. Reservoir dogs est tout entier conscient de n’être qu’un film, et l’exagération dont il fait preuve à tous les niveaux trahit son aspect artificiel. Après tout, le personnage de Mr. Orange, flic infiltré, se prépare comme un acteur en récitant une histoire de la même façon que peut le faire un acteur en préparant son rôle. Hollywood avait ses propres tics (sentimentalisme, héroïsme, bonne morale) et avec Tarantino, le cinéma indépendant se créé les siens. Or la codification va souvent de paire avec un encroûtement dans des poncifs de plus en plus mécaniques et finissant par sentir le réchauffé voir la paresse du réalisateur qui n’a qu’à s’étendre dans ses propres conventions pour recevoir l’admiration béate d’un public gagné d’avance. Reservoir dogs a de la chance d’être le premier film de son auteur, ce qui lui procure une certaine fraîcheur et une certaine humilité que l’on ne retrouvera plus dans la mégalomanie de la fresque Kill Bill. Les meilleures scènes du film, à piocher entre chaque bravades de Tarantino, sont encore celle qui ne s’éloignent pas du sujet : l’arrivée de White et Orange, celle de Pink (Steve Buscemi est d’ailleurs l’acteur le plus sobre du lot), le dénouement. Mais dans l’ensemble le statut d’icône du film relève en réalité du fantasme et de la manipulation induite par la méthode Tarantino. Ce qui ne veut pas dire que le film est désagréable à regarder : il y a du bon et du moins bon, mais en tout cas Tarantino a beau tenter de forcer la main du spectateur, il est difficile de voir en cette poudre aux yeux un film “culte”.