Quinze jours ailleurs – Vincente Minnelli
Two weeks in another town. 1962Origine : Etats-Unis
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Jack Andrus est une star has-been, qui a plongé dans la dépression à cause de sa femme Carlotta, volage, dont il a fini par divorcer. Sa carrière est au plus bas, il n’est plus courtisé par l’industrie du cinéma. Jusqu’à ce qu’il reçoive une offre de Maurice Kruger, le réalisateur avec lequel il a livré ses films les plus reconnus, qui lui propose de venir le rejoindre à Rome, pour un tournage. Mais les complexités de la production seront multiples, et Jack va vite se retrouver au simple rang de superviseur du doublage… Jusqu’à ce que Kruger tombe gravement malade… Jack va alors décider de le remplacer au pied levé en temps que réalisateur. Il a deux semaines pour boucler le tournage et le doublage…
Film extrêmement riche que ce Quinze jours ailleurs. A première vue, Minelli s’attache tout d’abord à une description minutieuse du milieu du cinéma. Un sujet sensible, qui sera par la suite l’un des thèmes les plus interessant du cinéma américain. Ici, tout le mode de fonctionnement d’une production est évoqué. Du producteur qui ne s’interesse qu’à l’argent (il est de son propre aveux un “vendeur de soupe international”) aux soucis quotidiens du tournage (le mauvais doublage, les stars capricieuses), la réalisation d’un film fait la part belle à l’anarchie. Au centre de tout cela, le réalisateur s’efforce de tout concilier et de livrer une oeuvre personnelle (“un film Kruger”). Pas évident. Surtout pour les américains oeuvrant en Italie, avec un staff ne parlant pas forcément anglais. Ainsi, le réalisateur se doit d’être un homme à poigne, et il se doit de ruser. A l’instar d’un Stanley Kubrick par exemple, Kruger séquestre volontairement son acteur principal pour en tirer le plus d’émotions possible. Chose que répetera Jack Andrus lorsqu’il succedera à son mentor, n’hésitant pas à foutre un coup de pied au cul à sa diva qui souhaite être doublée pour une scène où elle a juste à travailler avec ses mains. Mais Jack va aussi faire preuve d’un vrai talent créateur, et laisser les considérations artistiques de son staff s’exprimer (principalement son directeur photo). Homme à poigne certes, mais pourtant pas dictateur. Son talent naissant va même lui valoir l’interêt de la presse, de producteurs extérieurs et de l’acteur principal, qui finira par exiger de tourner son prochain film avec lui. D’un autre côté, son remplacement brillant sera mal vu d’une part par le producteur (qui aurait bien aimé finir le film lui-même) et par la secrétaire de Kruger, qui le méprise plus que tout. Et, coup de tonnerre, son talent va aussi attirer la jalousie de Kruger, allité, qui se remet lentement. Jaloux de son ami, et poussé par sa peste de femme, il va juger que Jack dénature complétement son film et va exiger son renvoi immédiat. Alors que ses méthodes sont sensiblement les mêmes, et qu’il oeuvre véritablement en pensant à son ami… Ceci dépasse de loin le cadre du cinéma. On touche là au domaine des réactions humaines.
Car tous ces gens du milieu du cinéma, si ils doivent travailler à un rythme stakhanoviste, ne sont pourtant que des humains, comme tout le monde. Avec leurs faiblesses et leurs forces. Ainsi, si Jack a plongé, c’est à cause d’une femme, sa femme. Infidèle et même volontiers salope. Et ce qui va le remotiver est une autre femme, Veronica (Daliah Lavi, vu dans le génial Le Corps et le Fouet, de Mario Bava). Marchant essentiellement au sentiment, Jack va être à même de surmonter la décéption qui l’atteindra quand il apprendra qu’il ne peut finalement pas jouer dans le film. Pourtant, Veronica est aussi la petite amie de l’acteur principal du film, Davie Drew (George Hamilton). La relation qu’entretient Jack et la fille va donc plonger Davie dans une débauche inappropriée à son statut de star montante… L’histoire qu’à vécue Jack va donc se repéter avec Davie. Jack en est conscient, et il fera tout pour aider son acteur à remonter la pente. Sans pour autant le faire devenir dépendant de quiconque. Car, et c’est la principale leçon qu’a tiré Jack de ses ennuis : personne n’est dépendant de personne… Professionnellement, Jack n’aurait jamais du se croire dépendant de Kruger, comme Davie ne doit pas se croire dépendant de Jack. Et sur un plan privé, Jack n’aurait jamais dût être dépendant de Carlotta, comme Davie ne doit pas l’être de Veronica. Bref, la vie exige de la poigne, et du stoïcisme. Ce qui n’inclut pas l’absence de toute émotion. Celle-ci est nécessaire, à chaque fois. Mais il convient de ne pas tomber dans l’idéalisation d’un projet (un film) ou d’une personne (une femme). Ne jamais devenir dépendant de l’un ou de l’autre.
Bref, Minelli livre là une description du milieu du cinéma, doublée d’un discours sur la nature humaine d’un de ces hommes justement lié au milieu du cinéma. Les deux, parfaitement liés, aboutissent à un film particulièrement profond, et sans connaître l’oeuvre de Minelli, je serai prêt à parier que le film est largement autobiographique… A voir ne serait-ce que pour le grand Kirk Douglas, qui encore une fois remet en question son statut de star à travers un rôle où il apparaît a priori comme un perdant, avant d’apprendre à se reconstruire, en dépit des épreuves qui lui seront proposées, et qui auraient pu par deux fois le conduire au suicide…