Probabilité zéro – Maurizio Lucidi
Probabilità zero. 1969Origine : Italie
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Pendant la Seconde Guerre mondiale, un avion américain est abattu au large des côtes norvégiennes. Le pilote, gravement blessé, ainsi que la carcasse du coucou sont récupérés par les allemands qui y découvrent un radar révolutionnaire, qu’ils comptent bien analyser dés que possible avec l’aide du pilote. Mais l’État-major américano-britannique ne l’entend pas de cette oreille. Il dépêche sur place l’américain Duke (Henry Silva), chargé avec l’aide d’un couple de résistants (Riccardo Salvino et Katia Christine) de faire exploser les débris de l’avion pendant son transfert dans un laboratoire. Bernés par l’ennemi, qui avait pris soin de dissimuler l’épave de l’avion dans un véhicule anodin, ils échouent. Duke n’a pas dit son dernier mot et offre ses services pour libérer le pilote blessé et aller faire exploser l’avion dans le laboratoire où les allemands l’analysent, c’est à dire dans un bunker construit à l’intérieur même d’un fjord. Ses supérieurs estiment à zéro la probabilité de la réussite de cette mission. Ils laissent tout de même Duke recruter quatre hommes pour mener à bien sa folie.
Dans la mouvance des Douze salopards, l’Italie se prend subitement de tourner des films de guerre à base de commandos suicides, genre aujourd’hui relativement méconnu, loin de la notoriété des westerns spaghettis de l’époque. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : Probabilité zéro fut écrit par Dario Argento, qui avant de passer maître dans l’art du giallo se distingua dans l’art du western en participant à l’écriture d’Il était une fois dans l’ouest. Et qui donc eut la bonne idée de demander à Argento de participer à ce modeste film de guerre ? Et bien Salvatore Argento, le père, qui pour marquer le coup reprit sans vergogne la musique composée par Ennio Morricone pour le film de Sergio Leone -le thème principal, pas le thème de l’homme à l’harmonica-, complétée par une partition originale adoptant la même tonalité mélancolique (mais avec des instrument différents, comme de l’orgue) illustrant la voie sans issue dans laquelle se sont avancés les personnages. Pour parachever le tout, il fait tourner son film, censé se situer en Norvège, dans les vallées utilisées pour les westerns, à l’exception près d’une falaise de bord de mer qui jouera le rôle du fjord. Et plutôt bien, d’ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître. Par le biais de bidouillages sur la lumière et d’accessoires appropriés, le film se dote d’un look automnal assez froid qui le rend plutôt joli et qui surtout parvient à faire prendre les côtes méditerranéennes pour les côtes norvégiennes. Quant à la mer en elle-même, et bien à moins de réclamer le cliché de la banquise avec icebergs tous les dix mètres, auquel cas on serait déçus, il s’agit d’une étendue d’eau semblable à toutes les autres. Malgré tout, Lucidi en fait parfois trop, abusant de splendides levers ou de couchers de soleil très certainement piqués à un quelconque reportage touristique. Mais ce défaut est davantage à rattacher à sa volonté de faire un film mélancolique qu’à un quelconque raté de sa reconstitution du littoral norvégien.
Décidément, entre la musique volée à Morricone et ses couchers de soleil (ne parlons pas de la scène finale), Probabilité zéro force un peu le trait sur le côté désespéré de cette mission suicide. Le principal inconvénient de cette démarche retombe sur les personnages, qui pour le coup en viennent à afficher des mines de déterrés et perdent toutes traces des personnalités que Lucidi s’était évertué à construire en début de film. Il y avait le marin norvégien enrôlé en échange du silence sur ses activités de trafiquant, il y avait la tête brulée américaine sortie d’une cours martiale, il y avait l’alpiniste anglais de génie à la réputation plombée par un acte de lâcheté qui provoqua la mort de plusieurs membres d’une de ses expéditions, et il y avait enfin le prisonnier italien facétieux. Si ce n’est un peu lors de la traversée maritime jusqu’au fjord, dans laquelle certaines tensions se font jour (avec le marin norvégien), toutes ces personnalités sont vite oubliées, y compris celle de l’italien, qui cesse bien vite de faire le malin. On se retrouve finalement avec des hommes semblables les uns aux autres, interchangeables. Le fait que ces hommes aient en cours de route l’occasion de racheter leurs erreurs passées passe inaperçu, faute d’avoir entretenu le caractère propre à chacun. C’est aussi le cas pour Duke, dont la sévérité initiale (il tue un de ses hommes en cours de route !) laisse progressivement la place à l’absence de tout sentiment. Les membres du commandos ne forment donc finalement qu’un groupe d’action monolithique sans profondeur. On le pardonnera au réalisateur et à Dario Argento, puisque ceux-ci se rattrapent en justifiant la morosité de leurs protagonistes par le sacrifice de ces personnages, qui effectivement risquent bien leur peau et, la peur aidant, doivent abandonner leurs fanfaronnades pour adopter des attitudes plus professionnelles. Ce ne sont pas des paroles en l’air : le groupe de départ sera décimé, et de façon fort peu romanesque malgré ce que laissait suggérer tous les artifices préalables du réalisateur.
Sacrifice oui, mélancolie oui, mais mélodrame non. Cette pudeur donne un aspect limpide au déroulement de la mission, dont tout l’intérêt principal -outre la récupération du pilote blessé, vite et bien bouclée- réside dans la périlleuse prise du fjord divisée en trois étapes : d’abord l’infiltration de Krista, cette charmante résistante qui paye de sa personne auprès d’un officier nazi pour ouvrir la voie du laboratoire au commando. Puis l’intrusion de ce même commando via la bouche d’aération en plein milieu de la falaise. Et enfin la diversion effectuée par Hans, le petit ami de Krista qui avec ses troupes est chargé d’occuper l’armée allemande pendant que ses camarades se hissent jusqu’au cœur du territoire ennemi. Toutes ces parties, bien découpées, assurent un spectacle fort honorable. En tant que film de commando, Probabilité zéro répond à tout ce qu’on est en droit d’exiger : un objectif à haut risque, un déroulement clair sans être simpliste et une tension progressive. On pourra regretter à la rigueur que Lucidi appuie inutilement sur la difficulté de la mission (ainsi les hommes de Duke veulent faire sauter le labo en y faisant entrer une torpille encombrante… y’avait plus de simples bombes ?), et qu’il traite le camp allemand avec les poncifs habituel (l’officier prévoyant et humaniste contre le SS sadique et incompétent), mais cela n’empêche pas ce petit film de guerre d’être globalement plaisant.