CinémaWestern

Pour une poignée de dollars – Sergio Leone

pourunepoigneededollars

Per un pugno di dollari. 1964

Origine : Italie / Espagne / R.F.A. 
Genre : Western 
Réalisation : Sergio Leone 
Avec : Clint Eastwood, Gian Maria Volontè, Marianne Koch, Wolfgang Lukschy…

L’origine commune de l’explosion de Clint Eastwood, de Sergio Leone et du western italien est celle d’un heureux concours de circonstances. Réalisateur relativement novice, auteur jusqu’ici d’un unique péplum (Le Colosse de Rhodes) et fort de quelques remplacements au pied levé, Sergio Leone se lance dans le western, genre dont la production est alors assez négligeable en Italie. Étant un inconnu, et se collant à un genre 100% américain, Leone se voit contraint d’avoir recours aux subterfuges commerciaux en vigueur dans le cinéma italien à petit budget, c’est à dire la prise d’un pseudonyme à consonance américaine (Bob Robertson) et à l’embauche d’un acteur américain. Après avoir essuyé le refus de plusieurs acteurs assez renommés, voilà Leone dans l’obligation de recruter un quasi inconnu. Dans le même temps, aux États-Unis, le système hollywoodien est en crise. Les jeunes acteurs peinent à prendre leur envol, et certains stagnent sur les plateaux de séries télévisées. C’est le cas de Clint Eastwood, qui attend son heure sur Rawhide lorsqu’il reçoit une proposition venue d’Italie. Conseillé par Richard Harrison, un pionnier pour ce qui est des acteurs ayant traversé l’Atlantique, il répond favorablement à l’offre de Sergio Leone, ce dernier ayant également été conseillé par Harrison. Une fois le tournage de Pour une poignée de dollars effectué, Eastwood rentre aux États-Unis, oubliant rapidement son excursion en Europe. Ce n’est que plus tard qu’il apprendra le carton du film de Leone, et qu’il retournera en Italie pour asseoir sa gloire naissante et celle du réalisateur auquel il reste encore à ce jour associé.

A priori, rien ne laissait supposer que Pour une poignée de dollars allait jouer ce rôle décisif. Remake officieux du Yojimbo d’Akira Kurosawa (auquel la production fut condamnée à verser des compensations) empreint également d’influences aussi hétéroclites que les westerns américains (normal), le roman noir (selon Leone, qui cite La Moisson rouge de Dashiell Hammett) ou le théâtre italien du XVIIIème siècle (Arlequin serviteur de deux maîtres, par Carlo Goldoni), tout ceci ayant également inspiré Kurosawa (ce fut le principal axe de défense de la production au procès), Pour une poignée de dollars n’avait pas de grands noms, était une co-production européenne à petit budget, son style n’avait en principe rien pour être bien accueilli du côté américain (où le code Hayes restait en vigueur), et son scénario n’essayait pas de se faire aussi profond qu’un film de John Ford.

Un homme inconnu, un américain, (Clint Eastwood) arrive sans crier gare dans la ville frontalière mexicaine de San Miguel, où deux clans sont en permanente compétition pour le contrôle de la ville. D’un côté il y a les Rojo, dirigés par Ramón (Gian Maria Volontè). De l’autre il y a les Baxter, des américains. N’écoutant pas les avertissements de l’aubergiste de ce patelin sinistre, l’homme sans nom propose ses services à la famille Rojo, non sans avoir tué quatre Baxter comme preuve de son habileté et de sa bonne foi. Il va en fait utiliser les rivalités entre les deux clans pour… pour quoi, au juste ?

Et c’est là que réside le principal apport de Pour une poignée de dollars au western : la création de l’homme sans nom. Tout recopié qu’il est sur Yojimbo, le film ne vaut que par son personnage principal, duquel tout découle. Que ce soit l’histoire des clans ou les réactions des autres personnages, tout repose sur la personnalité et les actes du personnage de Clint Eastwood. Les nombreuses reprises officieuses dont il sera l’objet au sein du western italien ou même du western américain tel qu’il sera conçu plus tard par Clint Eastwood ne s’expliquent pas uniquement par le besoin commercial de reprendre un concept qui s’est avéré porteur. C’est aussi la preuve de la créativité de Sergio Leone, tout à fait assimilée par Clint Eastwood, ce dernier ayant apporté à son personnage plusieurs de ses caractéristiques physiques (notamment le regard, avec les yeux mi-clos inexpressifs) en plus des accessoires comme le pancho ou le cigarillo, aujourd’hui indissociables des westerns de Leone. Se jugeant libéré des exigences de la télévision américaine, et se retrouvant en total accord de point de vue avec son réalisateur quant à son personnage, Clint pu donc forger un nouveau style de pistolero qu’il n’aurait pas pu imposer ailleurs. Dépourvu de nom, de passé, ou d’avenir, son personnage est simplement de passage à San Miguel, et un tel être dépourvu de liens humains est appelé à perdurer. C’est une sorte de fantôme goguenard qui au long du film ne dévoilera jamais rien de personnel. Ses motivations sont ambigües, parfois contradictoires : commençant par afficher la volonté de s’enrichir, il ne se montre pourtant pas plus intéressé que ça par le magot de l’armée que convoitent les Rojo, et il finit le film par des actions qui pourraient relever vaguement de la morale (l’aide apportée à Marisol, celle à l’aubergiste, la sanction contre les Rojo). Mais il reste toujours très détaché de ce à quoi il semble aspirer. Tant et si bien qu’on finit par ne plus le considérer que comme un grain de sable venu de nulle part dans l’unique but de perturber une machine bien huilée, celle des Rojo, et dans une moindre mesure celle des Baxter. Insolent et manipulateur, il ne se laisse pas impressionner et reste toujours certain de son triomphe. Ses répliques autant que ses actes ridiculisent ses interlocuteurs sans en avoir l’air, et il est clairement au dessus de tous les autres (si ce n’est pour Ramón, tous les membres du clan Rojo semblent perdre leurs moyens devant l’effronterie que peut afficher le nouveau venu). Ainsi, tout en versant dans un humour profondément cynique, il se pose en figure icônique, sorte de “poor lonesome cowboy” revu à la sauce des années 60, époque qui en Italie comme ailleurs est propice aux remises en cause de l’ordre établi.

L’homme sans nom n’a pourtant aucune répercussion politique (ce genre de personnage engagé n’apparaîtra que plus tard dans le western spaghetti) et n’agit qu’en son nom… c’est dire si ses ambitions sont floues. En l’absence de franche motivation, et compte tenu de l’humour ambiant, Pour une poignée de dollars s’apparente d’abord à un film léger, à un exercice pour son réalisateur et son acteur principal. Bien que les deux démontrent déjà leur talent, nous sommes loin d’Il était une fois dans l’ouest ou même de Le Bon, la brute et le truand, ce dernier enrichissant son humour cynique d’un scénario en forme de fresque. Pour davantage de substance, il faut attendre jusqu’à une scène inévitable, celle où l’homme sans nom se fait prendre. Un peu comme si le violent Ramón (notons aussi la très bonne performance de Volontè, le futur Chuncho) décidait de se venger de toutes ces minutes où lui et les siens ont été bernés, voire pris pour des cons. Le film devient alors extrêmement violent pour les normes de l’époque, et préfigure en quelque sorte les westerns crépusculaires de type Keoma qui achèveront la mode du western spaghetti une dizaine d’années plus tard. L’humour s’est éteint en même temps que l’homme sans nom se faisait tabasser (quasiment torturer), et dès lors la vengeance qui se profile s’annonce à la hauteur de la personnalité du personnage de Clint. Ce n’est pas un scoop de dire que les duels conçus par Leone sont des références en la matière, atteignant des intensités rarement vues par ailleurs (y compris dans les films des maîtres américains, Ford, Hawks ou Mann…). La figure fantômatique de l’homme sans nom y trouve son apogée : apparaissant au loin, dans la poussière, continuant à avancer malgré les balles, nous trouvons là l’origine des westerns plus ouvertement fantastiques que signera Eastwood par la suite (L’Homme des hautes plaines et Pale Rider). Quitte à enfoncer des portes ouvertes, rappelons que la musique de Morricone accompagne à la perfection ces instants purement leoniens, s’adaptant aussi bien à l’angoisse des duels qu’à l’ironie mystérieuse du personnage principal. Bien sur, tout cela est extrêmement théâtral, voire quelque peu tiré par les cheveux, mais la mise en forme est telle qu’il est impossible de ne pas s’immerger dans le spectacle.

Cette révolution du western, car on peut bien l’appeler révolution, n’est pourtant pas sans préserver quelques traces des westerns “historiques”. Pour une poignée de dollars en retient plusieurs éléments, mais systématiquement utilisés dans l’optique “leonienne”. Le réalisateur a bien compris que le paysage désertique joue un rôle majeur. Il use ainsi de panoramiques, mais essentiellement dans le but d’illustrer le grand vide auquel appartient l’homme sans nom. De même, il utilise les gros plans comme des expressions en soit : un plan sur le visage de Clint Eastwood (ou d’un de ses ennemis) vaut bien un dialogue, ce qui correspond à la nature taciturne du personnage. L’outrance qui caractérise parfois sa mise en scène est elle-même à mettre sur le compte de son ironie. En un film, et pourtant certainement pas le plus abouti des westerns qu’il ait pu réaliser, Leone parvient à dépoussiérer avec vigueur un genre déclinant, à inspirer pratiquement tous les styles du western spaghetti naissant (le western comique, le western crépusculaire, le western ultra-violent, le western politique…), à s’imposer comme l’un des plus prometteur réalisateur italien, à faire de Clint Eastwood une star en devenir et à mettre en avant les spécificités de la musique d’Ennio Morricone. Pour une poignée de dollars n’est pas loin d’être le plus important des films bis italiens, même en sortant du cadre du western (car oui, son succès ne doit pas le faire passer pour autre chose). Il suffit de le comparer avec les films de la mode précédente, celle du film historique (péplum ou films en costumes), comparativement très sages.

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