Police frontiere – Tony Richardson
The Border. 1982.Origine : Etats-Unis
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Policier à Los Angeles, Charlie Smith (Jack Nicholson) quitte la cité des anges pour El Paso sous l’impulsion de son épouse (Valerie Perrine) qui souhaite retrouver sa région natale ainsi que sa meilleure amie, Savannah (Shannon Wilcox). Le mari de celle-ci, Cat (Harvey Keitel), travaille dans la police frontalière, service que Charlie intègre tout naturellement. Son rôle consiste à surveiller l’immigration clandestine qui pullule dans la région. Il constate très vite que la police locale se sucre sur le dos des immigrants. Dans un premier temps, il tente de fermer les yeux tout en faisant son travail du mieux possible. Puis il se prend d’affection pour une jeune mère immigrante dont l’enfant vient d’être kidnappé, ce qui change considérablement son point de vue sur la question.
Police frontière aborde un sujet à l’actualité toujours brûlante : l’immigration clandestine en provenance du Mexique. Lorsque le film de Tony Richardson arrive sur les écrans, deux autres films récents –Un flic de choc de Christopher Leitch (1978) et Chicanos, chasseur de têtes de Jerrold Freeman (1980)- avaient déjà traité de ce thème en suivant à chaque fois le point de vue des forces de police. A ce titre, Tony Richardson n’innove guère. Lui aussi se borne à raconter son histoire en n’utilisant comme référent que le seul Charlie Smith. Les clandestins mexicains sont ravalés au rang de simple marchandise, dont l’importance n’excède pas celle d’autres produits de contrebande dans n’importe quel film policier lambda. Le réalisateur ne s’intéresse pas aux raisons qui les poussent à s’enfermer par dizaines dans des camions brinquebalants, et à jouer leur vie à chacune de leurs tentatives. Du Mexique, nous ne verrons que quelques cabanes à l’aspect fragile et situées non loin de la frontière. C’est comme si l’autorité de Red, le chef des gardes frontières qui défend à ses hommes de traîner leurs guêtres au Mexique, avait franchi les barrières de la fiction pour s’imposer au réalisateur lui-même. Il en résulte un film plutôt frileux à trop vouloir se concentrer sur les états d’âme du personnage principal au détriment de l’immigration clandestine et de toutes les magouilles qui en découlent. Toutefois, le sujet étant ce qu’il est, tout ne peut être entièrement passé sous silence. Au détour d’une scène, on se prend en pleine figure l’inhumanité totale des gardes frontières marrons qui, pour mieux protéger leur petit trafic, n’hésitent pas à sacrifier la vie de clandestins. Ils savent exercer une activité à risque, donc mieux vaut que ce soit des clandestins qui meurent -dont tout le monde se fiche éperdument hormis leurs familles restées au pays- plutôt que leurs rêves de richesse. Et puis au-delà de l’appât du gain, tous ces gardes frontières se caractérisent par un racisme prononcé. Nous ne sommes pas au Texas pour rien. Ils traitent les mexicains comme du bétail, juste bon à être parqué en pleine chaleur ou entassé à l’arrière de camions sans aération. En tant que clandestins, les mexicains se voient privés de tous leurs droits et de toutes considérations par des individus qui abusent de leur statut en profitant de la détresse de ces hommes et ces femmes qui ne souhaitent franchir le Rio Grande que pour mieux croire au rêve américain. En lieu et place de ce rêve quelque peu surestimé, ils plongent en plein cauchemar, un cauchemar malheureusement ancestral qui voit des hommes de pouvoir exploiter la misère des gens en toute impunité.
Certes, Tony Richardson nous montre tout ça mais dans une optique davantage décorative que politique. Ce contexte lui permet avant tout d’installer ses personnages de part et autre d’une ligne bien précise : ceux qui s’adonnent à ce trafic et ceux qui l’ignorent, faisant leur travail normalement. Les seconds se limitent à des silhouettes lorsque les premiers tiennent le devant de la scène en prenant la posture des grands méchants de l’histoire. Quant à Charlie Smith, il incarne l’élément hésitant, celui qui oscille d’un côté comme de l’autre au gré de ses besoins. Les immigrants, il les connaît pour en avoir déjà arrêté lorsqu’il officiait à Los Angeles (c’est ce que nous montre le prologue). Sauf qu’à El Paso, il se retrouve aux premières loges alors qu’à Los Angeles il avait à faire à des immigrants déjà installés. Charlie n’est pas un homme violent, ni même quelqu’un d’imbu de son autorité. Il ne sort quasiment jamais son revolver, et ne prend pas un malin plaisir à brutaliser les clandestins. Il souhaite faire son travail du mieux possible, sans faire de vagues et, si possible, dans le respect de la loi et de la personne humaine. Au fond, c’est un gars bien sous tous rapports, si on excepte sa trop grande passivité voire sa lâcheté face aux événements. La relation qu’il entretient avec son épouse est symptomatique de son attitude. Celle-ci, femme au foyer, dilapide leur argent en futilités sous prétexte de lui offrir la maison de ses rêves. Lui préfère laisser couler, comme il avait finalement accepté de quitter Los Angeles pour El Paso alors que cette destination ne lui disait rien. Tant qu’il peut éviter les conflits, il n’hésite pas une seconde, et tant pis si cela s’effectue à ses dépens. Alors plutôt que de tenter de remettre en cause un trafic révoltant ainsi que les hommes qui en vivent (mexicains comme américains) via un film percutant et méthodique, Tony Richardson privilégie le parcours somme toute quelconque de son personnage principal.
Charlie Smith ne cherche jamais à dénoncer les magouilles de ses supérieurs, il aime trop sa tranquillité pour ça. Par contre, il aimerait tout de même se racheter une conduite, agir de manière à être fier de lui au moins une fois dans sa vie. Alors il se passionne pour une jeune mère de famille mexicaine dont l’enfant a été kidnappé, autre versant du trafic auquel s’adonnent les autorités. Elle, il ne veut pas qu’on la touche, il se pose comme son protecteur. Il prend tellement son rôle à cœur, qu’il n’hésite soudain plus à sortir son revolver, à sortir de sa torpeur. Sa trajectoire n’est finalement pas si éloignée de celle du shérif Heflin incarné par Sylvester Stallone dans Copland. Après avoir trop avalé de couleuvres, ils décident tous deux de prendre enfin le taureau par les cornes en s’opposant aux manigances de policiers marrons. Sauf que dans le cas de Charlie Smith, cela se fait un peu à la va-vite et finalement sans réelle immersion de la part du spectateur. Tout d’un coup, les hauts gradés véreux décident de l’éliminer, alors que ce sont eux qui l’avaient mêlé à tout ça sans avoir au préalable essayé de tâter le terrain. Ils paient en quelque sorte les pots cassés pour un scénario mal écrit qui tente de jouer dans sa dernière demi-heure la carte du polar pur et dur. En vain, puisque ni Cat ni Red, n’acquérront une quelconque épaisseur, et le guet-apens qu’ils tendent à Charlie se limitera à quelques coups de feu noyés dans la poussière du désert.
Au regard du sujet et des acteurs à l’affiche – et dont la responsabilité n’est pas engagée tant ils mettent du coeur à l’ouvrage et de la conviction – nous pouvions légitimement nous attendre à mieux que ce polar passe-partout. Tony Richardson réalise là un film aussi superficiel que l’épouse de Charlie, et finalement plus frustrant qu’intéressant.