CinémaWestern

L’Homme sans frontière – Peter Fonda

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The Hired hand.1971.

Origine : États-Unis
Genre : Western intimiste
Réalisation : Peter Fonda
Avec : Peter Fonda, Verna Bloom, Warren Oates, Robert Pratt…

Sept ans. Voilà maintenant sept années que Harry et Arch (Peter Fonda et Warren Oates) parcourent les États-Unis sans jamais poser trop longtemps leurs bagages au même endroit. Ils mènent une vie de nomades qui leur va bien, du moins en apparence. Harry ressent une profonde lassitude, et veut partir retrouver la femme qu’il a quittée pour cette vie de errance. Comme à son habitude, Arch l’accompagne pour ce qui sonne comme leur dernier voyage ensemble.

Première réalisation de Peter Fonda, L’Homme sans frontière s’inscrit dans la vague des films indépendants née du succès surprise de Easy Rider. A cette époque, chaque gros studio ouvrait une unité de production consacrée à des œuvres au ton plus libre en leur allouant un budget minimal. Ainsi, pour une faible mise de départ, ça leur permettait de contenter un nouveau public, dont les goûts désarçonnaient les exécutifs, et de parfois toucher le gros lot. Une façon comme une autre de récupérer un mouvement qu’ils n’avaient pas vu venir. Au moins, cela a permis à bon nombre de réalisateurs en devenir de voir subitement s’ouvrir des portes qui, jusqu’alors, restaient désespérément closes. Le cas de Peter Fonda est différent. Déjà, il bénéficie d’un nom mondialement connu, auquel l’année 1966 adjoint un prénom, suite au succès du film de Roger Corman Les Anges sauvages, qui le propulse au rang de star. A cela s’ajoute l’incroyable engouement que Easy Rider a suscité à sa sortie. De ce fait, financer son premier film ne représente pas de risque, et Peter Fonda peut, en toute quiétude, réaliser le film qu’il souhaite.

Très attaché à l’imagerie du western (les prénoms des deux protagonistes de Easy Rider renvoient d’ailleurs à Wyatt Earp et Billy The Kid, deux figures mythiques de l’ouest), il décide de sauter le pas et d’en réaliser un à sa manière. Pas ou peu de grands espaces dans L’Homme sans frontière, mais une approche plus intimiste d’un genre alors en perte de vitesse. Les grands espaces, Harry et Arch les ont arpentés en long et en large pendant sept années. Flanqués d’un jeune homme depuis quelques temps, ils ont comme pris un petit coup de vieux en sa compagnie. Si leur jeune compagnon a les yeux de Chimène pour une vie pleine de libertés qu’il découvre encore, ses deux aînés n’en sont plus là, la lassitude gagnant du terrain. Néanmoins, Arch cultive un dernier rêve, voir la mer, tandis que Harry souhaite se poser définitivement. La seule conquête qui le motive encore est celle de son foyer. Un foyer qu’il a fui car trop immature pour assumer à son jeune âge la vie maritale et son rôle de père. Aujourd’hui, après moult aventures de toutes sortes, il se sent enfin prêt à retenter le coup. Le récit prend alors l’allure d’un réapprentissage, aussi bien pour Harry que pour Hannah, l’épouse délaissée.

Nous sommes à des lieues de chaleureuses retrouvailles entre le mari et sa femme. Au fond de lui, Harry culpabilise, il se sent mal à l’aise mais également soulagé de la retrouver seule avec pour unique compagnie, leur fille qu’il n’a pas vraiment connue. Il garde le silence, laissant à Arch le soin de faire la conversation. Ce dernier, qui devait s’attendre à tenir la chandelle, joue les interprètes. Ce rôle inattendu lui offre l’occasion de mieux appréhender Hannah, et de mieux comprendre ses réactions. Suite à la fuite de Harry, elle a d’abord patienté dans l’espoir de le voir revenir. Puis elle s’est fait une raison et s’est endurcie. Elle s’interdit tout sentiment, mais pas quelques ébats. Seulement, elle ne veut plus être esclave de l’amour, et elle se débrouille fort bien toute seule. Quelque part, la présence de Harry la fragilise. Elle nourrit toujours des sentiments très forts pour lui. Les laisser la submerger à nouveau signifierait s’exposer une fois de plus à la souffrance d’une éventuelle séparation, ce qu’elle ne souhaite pas. Le courant passe bien entre Hannah et Arch, car se sont les deux seules personnes à avoir partagé la vie de Harry pendant plusieurs années, les deux seules personnes qu’il estime. Peter Fonda orchestre un ménage à trois très chaste et totalement déconnecté du monde extérieur. Les rares incursions dans la ville voisine ne font qu’accroître cette envie de repli sur soi. Harry s’y rend une dernière fois pour que tout le monde sache qu’il est revenu à demeure. Une façon comme une autre de se réapproprier son statut de mâle dominant.
L’Homme sans frontière est un western de l’intime, auscultant les sentiments de trois cœurs solitaires qui ne veulent plus l’être. Au début du film, Peter Fonda accumule les fondus enchaînés, les plans se superposant parfois pendant plusieurs secondes, ce qui accroît le côté routinier des errances des trois hommes, tout en conférant un aspect psychédélique à ses scènes. Une fois Harry et Arch arrivés à la ferme de Hannah, il filme ce quasi huis clos très sobrement, s’appuyant sur la photographie aux couleurs chaudes de Vilmos Zsigmond, prompte à raviver les braises d’une passion qui ne demande qu’une étincelle pour s’embraser à nouveau.

Au sein de la carrière de son réalisateur, L’Homme sans frontière occupe une place à part. Ce film marque une certaine forme de renoncement de sa part, et entérine la chute du mouvement hippie. Harry, son personnage, c’est un peu le Wyatt de Easy Rider s’il avait survécu. De longues années passées à arpenter les États-Unis sans autre but que d’être constamment en mouvement, jusqu’au jour où l’on s’aperçoit qu’on n’a brassé que de l’air. C’est comme si Peter Fonda se remettait en question sous nos yeux, qu’il décidait de se responsabiliser. La réintégration du foyer familial devient alors la plus périlleuse des aventures. Peter Fonda n’exhale pas pour autant les vertus de la sacro sainte famille, il se désintéresse complètement de la petite fille, par exemple. Il se présente plutôt en incunable romantique, plaçant l’amour comme le principal pilier de la vie d’un homme. L’Homme sans frontière est une belle curiosité, à laquelle s’ajoute l’étonnante prestation de Warren Oates, acteur généralement cantonné dans des rôles plus excessifs, et qui ici épate par la sérénité et la douceur qui émanent de son jeu. Un très bon acteur, trop peu reconnu à mon goût.

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