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Pépé le Moko – Julien Duvivier

pepelemoko

Pépé le Moko. 1937

Origine : France 
Genre : Film noir 
Réalisation : Julien Duvivier 
Avec : Jean Gabin, Mireille Balin, Line Noro, Lucas Gridoux…

«Bonsoir, ce soir le Cinéma de minuit vous propose dans le cadre du cycle Julien Duvivier, Pépé le Moko»… Je plaisante bien entendu, et si j’ironise quelque peu ledit Cinéma de minuit et monsieur Patrick Brion, c’est certainement aussi parce que c’est le plus court chemin pour accéder à ce mémorable Pépé le Moko et aux autres œuvres de ce grand cinéaste sombre et pessimiste que fut donc Duvivier, dont les films ont « télévisuellement » parlant le plus souvent étés diffusés dans ce cadre là, et uniquement dans ce cadre jusqu’à presque les estampiller « Cinéma de minuit », malheureusement. C’est vrai qu’au bout de 20 cycles Duvivier en 30 ans, on a envie de sourire, et pourtant à recenser l’œuvre du cinéaste, et hormis le fait que les diffusions soient trop compartimentées, il est difficile de ne pas s’apercevoir de l’auteur incontournable que ce fut pourtant. Quand bien même il aurait été fustigé par la Nouvelle Vague, ce de manière complètement injuste, si ce n’est que pour tuer un père embarrassant (Rappelons que François Truffaut livra un 400 coups très classique et qui ressemblait au cinéma auquel il ne faisait pourtant aucun cadeau) et pour prendre sa place en même temps que le pouvoir au sein d’un cinéma dit d’auteur dans lequel pas mal d’auteurs furent écartés d’un simple revers de manche pour cause de pseudo classicisme, alors que le temps passant, il semble clair qu’il y eut là de grosses erreurs d’appréciation. Tout comme Henri Jeanson, son dialoguiste avec qui il collabora beaucoup, Julien Duvivier mérite d’être replacé en tête de liste des cinéastes français les plus personnels qui soit. Et des plus importants. Et si La Bandera, Panique, La Belle équipe, La Fin du jour, ou encore Voici le temps des assassins ne sont pas des films importants, c’est que je mesure moi-même 1m12…

Bref, dans Pépé le Moko on retrouve donc Pépé, chef d’une bande de malfaiteurs, réfugié dans la Casbah d’Alger avec les membres de sa bande, Pierrot, Carlos et Grand-Père, ainsi que sa maîtresse Inès. Au sein de la Casbah, Pépé reste imprenable, tant et si bien que la police cherchera à l’attirer par tous les moyens hors de ladite Casbah qui lui sert de refuge. Même l’inspecteur Slimane (excellent Lucas Gridoux), pourtant proche du Moko, cherche à faire sortir Pépé de sa “Tour d’Ivoire”, qui ressemblera petit à petit à une prison infernale. Pépé est un tendre, et la passion l’attendra au coin de la rue en la personne de Gaby, touriste proche de s’en retourner chez elle et qui servira de piège et d’appât…

C’est simple, Pépé le Moko pourrait facilement être le pendant français du Scarface de Howard Hawks avec son personnage principal jusqu’au-boutiste et seul contre tous, voué d’entrée de film à une fin tragique. Pépé s’est soit-même construit un royaume au sein de la Casbah d’Alger, mais à long terme, celui-ci s’est transformé peu à peu en prison dorée sans même qu’il s’en aperçoive. « Amour, amour, je t’aime tant ! » aurait chanté Jacques Demy ; ici c’est la version funèbre du chant auquel nous invite Duvivier et son roman initial dont il est issu et qu’il convient de rendre à son auteur, Henri La Barthe puisqu’il aura donné quelques lettres de noblesse à ce cinéma français que l’on qualifia de « réalisme noir », et pour cause, il est l’auteur d’un autre film très très sombre dotée d’une fin extraordinairement violente et sans concession, l’excellente Dédée d’Anvers de Yves Allégret, autre réalisateur assez proche dans ses préoccupations de Julien Duvivier. Pour résumer, on dira qu’il s’agit d’un autre explorateur en profondeur de l’âme noire humaine. Autant Duvivier que Allégret sont des pessimistes chroniques, et il n’y a pas la complaisance qu’on a pu trouver dans leur carrière respective, inégale certes, mais avec chacun des deux, pas mal de pépites noires. Duvivier est un « tourmenté » qui n’a cessé de clamer sa non foi en l’âme humaine, et d’ailleurs Pépé n’est pas exempt de défauts. Egoïste, autoritaire, vaguement machiste, c’est juste un sens poussé de la fraternité qui le porte au dessus. Dès lors que Pépé (formidable Jean Gabin) tombera amoureux, c’est à sa disposition qu’il faudra se mettre, et il sera prêt à laisser de côté toutes les valeurs qu’il a pourtant fondées, et ce à long terme dans l’illégalité et dans la douleur. C’est un anarchiste qui ne croit pas au système, aimant même au passage le fronder dès qu’il le peut, empreint alors même d’une certaine vanité. Dès qu’il rencontrera Gaby (Mireille Balin), il prendra conscience seulement de sa vanité à se croire protégé au sein de cette Casbah trop lumineuse, pourtant son caractère l’emportera et la passion qui le dévorera tant et si bien alors servira à la police à l’en faire sortir pour l’arrêter enfin. Pépé en tombant amoureux perd alors toute la lucidité qui faisait sa force. A cet égard Duvivier semble même se plaire à le démystifier, et jamais du reste, et contrairement aux films noirs américains de la même époque auxquels on peut associer le film comme l’un des meilleurs pendants hexagonal, jamais l’amour ne sera synonyme de rachat. Il sera synonyme de perte, voilà tout. Perte de lucidité, perte de confiance, perte d’amitié, perte de la vie.

Pépé le Moko est un film noir ultra pessimiste. Aussi pessimiste que les œuvres citées ci-avant, comme le grand Panique avec Michel Simon (et vidé de sa substance et de son contexte social par Patrice Leconte avec Monsieur Hire) ou ces acteurs de théâtres pathétiquement « sur-égotiques » de La Fin du jour, réflexion amère sur la vanité et la vieillesse.
Ici, la Casbah d’Alger, quand bien même elle n’est que reconstituée, la façon dont le metteur en scène l’explore, nous la faisant visiter dans son intégralité, avec tous ses méandres labyrinthiques, est totalement virtuose. On comprend bien que le Moko soit abrité dans ses étroites ruelles et que le soleil qui frappe les murs les fait toutes se ressembler. La façon dont elle est recréé en studio est un formidable tour de force. Il fut reproché à Duvivier de ne pas tourner en extérieurs… et pourquoi donc si ça le fait et du moment qu’on ne décrètera pas au préalable que de par ce choix, ça sentira le formol ? Les images de Jules Kruger et Marc Frossard sont d’un splendide « surexposé » contribuant au réalisme poétique dont est également emprunt le film. Les partitions (avec une pathétique apparition de Frehel) de Vincent Scotto et Mohamed Yguerbouchen apportent également de façon magistrale leur contribution à cet espèce d’équilibre entre un réalisme poétique donc, mais aussi un expressionnisme lyrique dont les photographes et musiciens se font ici les talentueux garants.
D’ailleurs à bien y regarder, la Casbah perdra de sa luminosité dès lors que l’âme de Pépé le Moko s’assombrira.

Pour finir, je vais tout de même rendre hommage à la galerie d’acteurs qui parsèment ce grand film classique (ou devenu classique) ainsi qu’à son dialoguiste trop souvent décrié aussi.
C’est simple, certains ont souvent reproché le côté trop écrit du film (Truffaut en premier) qui soi-disant ne laissait pas respirer les films. Faux, il faut entendre le génie avec lequel cela est écrit et comment des acteurs aussi géniaux de leurs réparties aussi finaudes que remplies de riches réflexions (je dirais plutôt allusions même) sur la façon d’aborder la vie. A ce titre le rapport très ambigu entre Slimane, ami de pépé, mais policier de métier qui lui prédit la date de son arrestation, patientant le temps qu’il faudra, sûr de son fait, et presque triste de ce qu’il adviendra comme ce qu’il considère comme une fatalité, est absolument remarquable en plus d’apporter à un film déjà très riche une dimension quasi-mystique.

Si Mireille Balin ne m’a jamais convaincu par son côté trop lambda (et un peu surjoué je l’admet), ailleurs on se régale 90 minutes durant des prestations hautes en couleur du grandissime Marcel Dalio dans le rôle de Larbi (le mouchard) à qui Pépé et ses hommes de main ne feront pas de cadeau, loi du milieu oblige, la prestation de Fernand Charpin en indic et faux ami de pépé nous méne proche de la jubilation totale. Cet homme là avec une tête d’hypocrite (« t’as tellement une gueule d’hypocrite qu’on te croirait sincère » ! – encore un joyaux de dialogue -) marque le film d’une présence définitive et totale, faisant regretter au passage un temps ou l’acteur de second plan avait ses titres de noblesse au sein de la cinématographie hexagonale. Si je rajoute qu’on trouve une pléiade d’acteurs ici au top comme Gabriel Gabriello (homme de main de Pépé et brute accessoire), de Line Noro en prostituée réhabilitée par son amour pour ledit Moko et qui perdra tout dans sa volonté de rédemption par l’amour, à cela on ajoute encore Saturnin Fabre, Gaston Modot, Frehel et tous les gens fidèles ou à double face qui entourent Pépé, autant cerné par l’amitié trahie que l’amour dévastateur, on obtient un film qui reste à ce jour un chef-d’œuvre, en plus de l’un des plus beaux héros tragiques que l’on ait pu voir au cinéma…

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