Opération Condor – Jackie Chan
Fei ying gai wak. 1991Origine : Hong-Kong
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Jackie, alias le Condor, est un aventurier intrépide dont les périples ne sont pas toujours couronnés de succès. Au retour de l’un d’entre eux, le baron, une vieille connaissance, le met sur les traces d’un trésor nazi caché dans une base secrète quelque part sous le désert du Sahara. 240 tonnes d’or, fruit des rapines du IIIe Reich, que l’ONU aimerait bien récupérer en vue de le redistribuer aux pays spoliés. Pour accomplir sa mission, Jackie se voit adjoindre Ada, une fonctionnaire zélée dont il est dit que sa connaissance pointue du désert pourrait lui être d’un grand secours. En outre, il accepte la venue d’Elsa, petite-fille de l’aide de camp nazi qui contribua à cacher l’or, laquelle aimerait réhabiliter son grand-père. Et tout ce beau monde de partir au Maroc avec sur les talons un duo de brigands à la petite semaine et une troupe de mercenaires aguerris, eux aussi alléchés par tout cet or, trop longtemps inaccessible.
Devenu une superstar, Jackie Chan peut désormais tout se permettre, même dépasser allègrement le temps de tournage qui lui était dévolu au départ. La faute à un perfectionnisme exacerbé et à un tournage éclaté entre plusieurs pays propice à quelques impondérables ubuesques (l’acteur-réalisateur eut notamment maille à partir avec un producteur espagnol véreux qui réclama une rançon contre les rushs du film qu’il détenait). Mais il en faudrait davantage pour désarçonner Jackie Chan, lequel maintient contre vents et marées le cap de l’objectif qu’il se fixe à chacun de ses films, en mettre plein la vue aux spectateurs.
Opération Condor permet à Jackie Chan de renouer avec son personnage d’aventurier introduit dans Mister Dynamite. En soi, et le patronyme du Condor dans le civil en atteste, ledit personnage ne tranche guère avec ceux que l’acteur a l’habitude d’incarner. On retrouve ce bon gars facétieux et quelque peu naïf qui traverse les épreuves avec un formidable et égal optimisme. Jackie n’est pas homme à se décourager. Il prend toujours les choses du bon côté, quand bien même ses missions tourneraient à l’échec. Sur ce point, il semble d’ailleurs fonctionner au cas par cas, alternant mission pour son propre compte – la quête des pierres précieuses – et mission commandée. Il n’a rien d’un archéologue, ses connaissances historiques étant pour le moins sommaires, ce qui n’empêche pas l’inévitable clin d’œil au plus fameux d’entre eux, Indiana Jones. Un clin d’œil qui se décline d’une manière malicieusement détournée lors d’un prologue qui voit Jackie pénétrer dans une caverne pour dérober les joyaux d’une tribu cavernicole et lui échapper à l’aide d’une grande boule gonflable. Le personnage convoque également la figure tutélaire de James Bond, mais un James Bond asexué puisque comme à son habitude, Jackie Chan ne s’autorise aucun ébat avec ses partenaires féminines, ici pourtant au nombre de trois. Toutefois, il se permet – chose plutôt inédite – de dévoiler le physique de deux d’entre elles, tout en accentuant les allusions grivoises déjà perceptibles lors de certains de ses précédents films. Ainsi, la scène où Jackie désaltère ses compagnes d’infortune à l’aide d’une outre cachée dans sa veste alors qu’ils sont perdus en plein désert se transforme en orgie sexuelle du point de vue des deux bandits arabes qui les tiennent sous le joug de leurs armes, lesquels associent la fougue libératrice de ces demoiselles à des gesticulations de plaisir. La manière dont cet humour est amené, corrélé à l’attitude des personnages, confère au film un côté immature parfaitement assumé par Jackie Chan. Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à ridiculiser ses personnages, notamment les méchants, de vrais clowns, à commencer par cet improbable duo de bandits arabes, incarné par des comédiens visiblement échaudés à l’idée de jouer sobrement. Opération Condor prend donc souvent des allures de farce aux confins du cartoon. Les personnages peuvent tomber de haut, s’en prendre plein la figure, et se relever quand même prêts à repartir au combat, comme si tout cela n’avait au fond guère d’importance. L’essentiel de la violence est gommée au profit de cascades aussi spectaculaires qu’inoffensives, et qui pour les poursuites motorisées, ont été orchestrées par nul autre que Rémy Julienne.
Outre la violence, la trame initiale se retrouve elle aussi sacrifiée sur l’autel du spectaculaire. Cette quête de l’or perdu ne sert que de prétexte à diverses péripéties, pour certaines plus proches de la digression (les marchands d’esclaves qui tentent de vendre Ada et Elsa), lesquelles nous amènent à un climax qu’on pourrait qualifier de bondien. Cette base secrète enfouie dans les profondeurs du désert saharien n’est pas sans évoquer le travail de feu Ken Adams, décorateur de bon nombre de James Bond. Jackie Chan l’arpente de fond en comble et orchestre 10 bonnes minutes de burlesque dans la salle de la soufflerie, où le Condor et deux mercenaires se retrouvent à la merci des facéties des trois femmes qui l’accompagnent. Des personnages féminins qui, à mesure que le récit avance, prennent de faux airs des Trois Stooges. Elles n’ont d’autre utilité que celle d’apporter un contrepoint comique aux embûches traversées. De fait, les connaissances d’Ada sont constamment tournées en dérision (le plan de fin) quand la tentative de réhabilitation du grand-père d’Elsa se retrouve expédiée en l’espace d’une réplique. Adolf, le vétéran rescapé et employeur de la bande de mercenaires qui pourchassent nos amis, bénéficie d’un peu plus de considération dans le sens où le personnage, incarné par Aldo Sambrell, vieille ganache du cinéma italien, obtient in fine sa rédemption. Un privilège qu’il doit autant à son handicap qu’au bon fond de Jackie Chan qui s’en voudrait de taper sur quelqu’un de diminué.
Grosse comédie d’action, Opération Condor contentera assurément les fans de Jackie Chan, lesquels retrouveront tous les ingrédients qui ont fait sa gloire. Dans le cas contraire, le spectacle risque d’être un peu lourd à digérer. La frénésie du spectacle ne fait pas oublier que le récit tourne régulièrement à vide avec des scènes le plus souvent étirées au-delà du raisonnable (l’interminable passage dans l’hôtel marocain). Bien que généreux dans l’effort, Jackie Chan gagnerait parfois à plus de retenue. Et ce n’est pas ses producteurs qui me contrediront.