New Rose Hotel – Abel Ferrara
New Rose Hotel. 1998.Origine : États-Unis
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Dans un futur proche, Fox (Christopher Walken) et Mr X (Willem Dafoe) gagnent leur vie en tant qu’espions industriels. La société étant rongée par le capitalisme à tout crin, les deux hommes monnaient leurs services aux plus offrants. Leur mission du moment (une mission à 100 millions de dollars !) consiste à piéger un informaticien japonais réputé. Pour ce faire, ils embauchent Sandii (Asia Argento), une prostituée, pour qu’elle le séduise au point qu’il renonce à tout pour l’épouser. Alors que tout semblait marcher comme sur des roulettes, la jeune femme disparaît…
Jusqu’alors, et à l’exception notable de Nos funérailles, Abel Ferrara nous a habitué à des films qui s’ancrent pleinement dans notre époque. De ce fait, le voir adapter à l’écran une nouvelle de William Gibson, le père du cyberpunk, à de quoi intriguer. Né en 1985 via le livre Neuromancien, le cyberpunk constitue en quelque sorte un sous-genre de la littérature de science-fiction. Pour le décrire en quelques mots, il s’agit d’un univers qui se situe dans un futur proche et qui mêle étroitement un capitalisme omniprésent et le tout technologique. Le cyberpunk évoque un monde dans lequel l’informatique tient un rôle à ce point prépondérant qu’il conduit à la déshumanisation de la société, pouvant aller jusqu’à se substituer aux plaisir de la chair eux-mêmes. Cet univers est très éloigné des préoccupations habituelles de Abel Ferrara qui, d’ailleurs, semble s’être noyé dans ses méandres froids et policés.
Pour nous narrer son histoire, Abel Ferrara se focalise uniquement sur trois personnages. Tous les autres restent à sa périphérie, ne jouant qu’un rôle accessoire. Fox est en quelque sorte le cerveau du duo qu’il compose avec Mr X. C’est lui qui élabore le plan visant à piéger Hiroshi, le célèbre informaticien. Il impulse le mouvement et motive un acolyte plutôt réticent à l’idée d’aller au terme du contrat. Leurs rapports sont difficiles à cerner. Sont-ils de simples associés ou existe t-il un lien fraternel qui les unit ? Le film se garde bien de répondre à la question. Quoiqu’il en soit, ils apparaissent assez différents. Fox adore son métier et ce sentiment d’excitation, bien que bref, qu’il lui procure, tandis que Mr X se comporte de manière plus détachée. Si son métier l’a un jour autant excité que son compère, ce n’est désormais plus le cas. Aujourd’hui, il est prêt à raccrocher pour mener une vie plus tranquille. Lui, le grand collectionneur de femmes d’un soir, ne jure plus que par Sandii. Le voilà qu’il s’attache à une femme dont la mission consiste à se faire aimer d’un autre, avec tout ce que cela présuppose. Une mission pour laquelle il a donné son accord et contre laquelle il ne tentera rien. Il y a trop d’argent en jeu et il en a besoin pour prendre un nouveau départ en compagnie de Sandii. Mr X se pose clairement en personnage principal de l’intrigue, et d’ailleurs, le film s’ouvre et se clôt sur lui. Il sert de lien entre les deux autres personnages principaux lors de la seule scène où ils apparaissent tous les trois ensemble. Fox et Sandii comptent tous les deux beaucoup pour lui, et lui-même compte beaucoup pour eux. Cette mission acquiert pour lui une dimension nouvelle par la tournure très personnelle qu’elle prend. Pour la première fois de sa carrière, il se retrouve émotionnellement impliqué. Pourtant, cela ne se retrouve jamais dans la mise en scène d’Abel Ferrara, qui entretient une distance froide avec ses personnages.
L’image vidéo est omniprésente dans New Rose Hotel. Hiroshi, par exemple, n’existe que par le prisme des images des caméras de surveillance que Fox et Mr X ont posé un peu partout sur son chemin. Curieusement, il n’en est plus question une fois que Sandii entre dans la vie de l’informaticien. Dès lors, Mr X n’obtient plus que des bribes d’informations de la part de Fox quant à la bonne marche de la mission. C’est comme s’il voulait se cacher la vérité, ou en savoir le moins possible pour ne pas souffrir. Il fait preuve d’un certain détachement, un détachement que nous retrouvons tout au long du film à l’exception d’une scène d’intimité entre Sandii et lui. Lors de cette scène, l’indifférence de façade de Mr X s’effrite pour laisser exprimer ses sentiments. Il laisse deviner une pointe de jalousie sous ses questions un peu crues lancées au visage de Sandii. Elle-même cesse d’être un corps, simple réceptacle de nos fantasmes, pour se dévoiler telle qu’elle est : une jeune femme quelque peu enfantine qui croit au grand amour. Abel Ferrara oublie pour un temps de s’attarder sur leurs étreintes et les formes généreuses de la comédienne pour insuffler un peu d’âme à un récit jusqu’alors désincarné. Cette fois-ci, Mr X regarde la vérité en face, et il ne peut plus se retrancher derrière une caméra de surveillance. Il n’a plus ce sentiment de sécurité que lui procure sa position habituelle de voyeur, et il s’en retrouve totalement désemparé. Cela le fragilise et l’amène peut-être à trop baisser sa garde. Cette scène marque le basculement de Mr X dans une réalité tangible, elle marque le moment où il prend conscience de tout ce que Sandii représente pour lui.
Quant à l’intrigue, elle basculera complètement dans l’abscons au moment de la chute, au sens littéral, de l’un des personnages. La dernière demi-heure, véritable supplice pour le spectateur, se contente de ruminer ce que la première heure avait péniblement mis en place. Et Abel Ferrara de nous laisser sur un terrible sentiment d’amertume pour ce qui s’est avéré le début d’une série de films à l’inintérêt croissant.