Mutations – Juan Piquer Simon
Slugs, muerte viscosa. 1988Origine : Espagne / Etats-Unis
|
Une série de morts étranges vient endeuiller une paisible bourgade américaine. Répugnants, les cadavres semblent avoir été dévorés… “Par quoi ?” se demande le service d’hygiène de Mike Brady (Michael Garfield), un peu plus dégourdi que son ami Don Palmer (Philip MacHale) de l’inspection sanitaire. Mike a bien sa petite idée, mais elle est absurde… Et pourtant, le laborantin Foley (Santiago Álvarez) ne tardera pas à lui confirmer : les grosses limaces qui envahissent les jardins sont bel et bien devenues carnivores…
Marre des requins ! Ca suffit les rats ! Au diable les araignées ! Le genre des animaux meurtriers a besoin d’imprévu, de sang frais, de nouvelles têtes ! Dès les années 50, les films de monstres atomiques avaient fini par tourner en rond à cause d’une saturation d’insectes en tous genres. Après quoi la peur des effets radioactifs était retombée, la taille des bestiaux aussi, mais ce furent toujours les mêmes bêtes qui eurent accès au vedettariat par le biais des inévitables repompes de succès commerciaux (on ne compte plus les rejetons illégitimes du requin des Dents de la mer). Trop rares furent les braves gens qui ont tenté de remédier au problème… Citons tout de même le rigolo Frogs de George McCowan et son cortège de bestioles marécageuses. N’oublions pas non plus William F. Claxton et ses impayables Rongeurs de l’apocalypse. En 1988, c’est à dire tardivement (la grande mode ayant été dans les années 70), l’espagnol Juan Piquer Simón vient rajouter sa pierre à l’édifice en accouchant avec l’aide de la fille de Dino de Larentiis d’une invasion de limaces carnivores. Ca ne paye pas de mine, une limace : c’est informe, mou, visqueux, lent. A défaut de susciter le même effroi que, disons, des araignées, les limaces provoquent au moins le dégoût. Et pourtant, elles ont de quoi faire peur, quand on les connaît bien : elles sont dentées jusque sur la langue ! Les gastéropodes de Juan Piquer Simón sont même bien pires, puisqu’elles abritent des parasites belliqueux et que leur bave est acide. Ces singularités biologiques trouvent leurs origines dans un malencontreux stéréotype passe-partout du film de monstre : la présence de déchets toxiques à proximité du lieu d’habitation des animaux concernés. Ici dans le voisinage des égouts, lieu humide propice à la reproduction des limaces. Ce ne sera pas le seul cliché employé par Simón, d’ailleurs : tout le traitement réservé aux activités humaines a été déjà mille fois vu dans les films du même type. La phase des cadavres retrouvés (qui se prolonge jusque très tard dans le film pour préserver un intérêt régulier), la phase d’interrogations, la phase de découverte, la phase d’alerte des autorités qui s’en foutent, la phase où il faut agir… Autant que les victimes (un alcoolique, des vieux, des adolescents libidineux…), les héros sont d’une banalité affligeante, toujours à veiller courageusement au bien de la communauté en dépit des intérêts financiers des grosses huiles. Il faut dire que si la présence de requins près des stations balnéaires est à peu près crédible, celle de limaces mutantes dans une petite ville l’est déjà moins, et c’est fort logiquement que le maire accueille froidement son responsable de l’hygiène, qui vient crier à la mort visqueuse en pleine réunion d’affaires.
Mutations fonctionne en grande partie sur cette opposition entre la placidité qui caractérise normalement les limaces et la force de leurs attaques, qui s’accompagnent d’un vent de panique chez les personnages principaux. Imperturbable, le réalisateur adopte le point de vue premier degré de Mike Brady, ce qui entretient l’image d’un vrai film d’horreur et qui n’en doutons pas provoque l’hilarité chez les petits malins qui croient avoir déniché un vrai sujet de moquerie. Ce serait faire injure à l’honorable Juan Piquer Simón que de le croire capable de filmer une limace toute dents dehors en gros plan sans lui attribuer une arrière-pensée humoristique. L’utilisation récurrente d’une des musiques du pastiche Amazon women on the moon est là pour le souligner : Mutations est rempli d’un agréable humour (auto-)parodique d’autant plus méritant qu’il ne cède pas au second degré explicite comme peuvent le faire certaines parodies au style éléphantesque (type la série des Scary Movie). Outre les héros abusivement alarmistes face aux limaces (il faut voir la façon dont ils prévoient de détruire les gastéropodes !), et donc les dialogues surréalistes que cela sous-entend, le réalisateur s’amuse à mettre en scène des images les plus gores possibles, là encore dans le but de créer le décalage entre l’image des limaces et leur réalité après mutations. Le couple d’adolescents qui se retrouve en charpie après être tombé sur un véritable tapis de limaces carnivores, le vieux jardinier qui se coupe la main juste parce qu’une limace s’est glissée dans son gant (avant que la serre n’explose !) ou encore l’homme d’affaire rongé de l’intérieur qui implosera en plein restaurant, tout ceci est nettement plus sanguinolent que n’importe quel film de requins ou d’araignées. Digne du réalisateur du Sadique à la tronçonneuse ! Le syndrome du grand guignol frappe un grand coup, pour un résultat optimal. Et tant pis si les effets spéciaux ne sont pas toujours très convaincants… Les limaces tueuses méritent les égards du public, pas forcément transi d’effroi devant les plans d’ensemble de leurs assemblées baveuses, mais en tout cas ravi de les voir ainsi bousculer la hiérarchie des bestiaux méchants.