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Mumu – Joël Séria

mumu

Mumu. 2010

Origine : France
Genre : Drame
Réalisation : Joël Séria
Avec : Balthazar Dejean de la Bâtie, Sylvie Testud, Jean-François Balmer, Valentin Ferey…

Dans la France d’après-guerre, le jeune Roger (Balthazar Dejean de la Bâtie) est trimballé de pensionnat en pensionnat au gré des fréquents renvois qui irritent d’autant plus son père que le frère de Roger est pour sa part irréprochable. Son nouveau point de chute se trouve être une école où il avait déjà séjourné quelques années plus tôt, et dont l’institutrice Melle Mulard (Sylvie Testud) passe pour être l’une des plus coriaces du coin. Elle est même cinglée disent ses élèves qui n’échappent pas plus aux accès de violence de Melle Mulard que n’y parviennent M. le curé (Jean-François Balmer), directeur de l’établissement, et « Saucisse » (Bruno Lochet), le surveillant.

Après plus de 20 années de privation, voici le grand retour de Joël Séria au long-métrage, lui qui après avoir signé ce qui est probablement le chef d’œuvre le plus injustement méconnu du cinéma français qu’est Mais ne nous délivrez pas du mal ainsi que diverses comédies et drames aussi polissons que provocateurs (dont Les Galettes de Pont-Aven, son film le plus connu) était tombé dans un anonymat télévisuel bien immérité. Ce retour, il le doit en partie à une mode inaugurée par Amélie Poulain et surtout Les Choristes, celle des films typés « vieille France ». Déjà au cours des années 70, Séria faisait plus ou moins dans un créneau nostalgique, même s’il usait alors d’un regard nettement plus cru et vachard que les succès des années 2000. Auteur de son propre scénario, il nous revient avec ce Mumu dont le sujet ne peut que rappeler celui de Mais ne nous délivrez pas du mal : le mal-être d’un jeune élève dans un pensionnat catholique. Ce qui s’explique par la large part autobiographique contenue dans les deux films.

Toutefois, difficile d’imaginer que son come-back co-produit par Canal + puisse se montrer aussi extrémiste que son premier film (mais du coup il est peut-être encore plus fidèle à sa propre expérience d’enfant), et même que ses films suivants (pensons au joli Marie Poupée et au grinçant …comme la lune). Et en effet, comparé à ce que Séria nous a offert -y compris lors de ses incartades télévisuelles- Mumu apparaît comme un film très sage, voire comme une version extrêmement édulcorée de Mais ne nous délivrez pas du mal. Les thèmes y sont bel et bien les mêmes que dans ce dernier : le ras-le-bol d’un jeune se sentant étouffé à la fois par sa famille et par un système scolaire sous l’égide d’une Église bien décidée à former la jeunesse pour donner de bons petits citoyens au pays. Encore qu’ici, Séria ne s’en prend pas tellement au clergé, dont le moralisme relève plus de la discipline que du gavage de préceptes pieux (que ce soit Mumu, le surveillant ou le curé, tous passent bien plus de temps à encadrer leur effectif qu’à inculquer la bonne parole). Il ne s’en prend du reste à pas grand monde, si ce n’est à la figure du père, qui se complait à maltraiter son fils, à le rabaisser par ses comparaisons avec son frère (lequel n’inspire lui-même pas l’antipathie, son personnage est bien trop survolé pour cela) et à vivre dans la colère, effaçant ainsi son épouse timorée. Aussi aurait-on pu penser que Roger se serait plu en pensionnat, loin de sa famille. Mais ce serait faire peu de cas du besoin qu’a réellement ce gamin de se sentir apprécié par des proches, par des adultes (en opposition aux amis du même âge, qui ne comprennent pas grand chose à sa détresse) sans pour autant renoncer à ce qui fait sa personnalité en développement. C’est à dire les bêtises en tous genres qui le sortent du milieu assez rigide qui caractérise la société de cet après guerre. Ce qu’il ne se prive pas de faire, mais sans que cela ne puisse lui permettre de combler le vide d’une famille absente. Entendons nous bien : Roger ne fait pas seulement ces bêtises pour palier ce manque. Pour la plupart, il les fait avant tout pour la même raison que ses camarades : pour rigoler et rendre la vie du pensionnat plus attractive qu’elle ne l’est. Ainsi peuvent être comprises les bagarres, les brimades du surveillant, les sarcasmes sur la façon de manger de monsieur le curé… De même, il entre à l’âge de la puberté et c’est ainsi qu’il se retrouve à parler de filles, à faire une escapade polissonne avec une élève de l’école de filles lors d’une sortie pédagogique ou à mater la copine de son ami sous la douche. Des gamineries qui en somme contribuent à faire de lui un pré-adolescent normal. Séria ne recherche pas tant à dresser un portrait psychologique fouillé de son alter ego qu’à faire un film témoignage dont la part de nostalgie inévitable est contrebalancée par la conscience du manque. Bien qu’il ne soit jamais esseulé, Roger est seul à vivre méprisé par sa famille (ainsi il n’est pas rare que ses parents trouvent une bonne excuse pour le laisser au pensionnat le week-end ou pendant les vacances), et il est donc un gamin profondément solitaire. Aucun pathos exagéré là-dedans : rares sont les effusions. Elles n’ont lieu qu’à l’abri des regards de ses camarades, et souvent sous le coup d’un choc immédiat. Le reste du temps, Roger prend tout sur lui, avec une introversion que ses amis de l’école ne remarquent pas. Ce qui confère au personnage une certaine aura mélancolique qui se répercute sur le film, d’autant plus qu’il n’est pas seul dans ce cas.

A bien des niveaux, les principaux personnages adultes de Mumu ont tous une part de souffrance. Chose que l’on peut attribuer à l’atmosphère sociale de cette France rurale d’après guerre dont l’avenir reste flou et le présent encore assez terne. Mais il y a autre chose, et même le personnage du père (ancien prisonnier des allemands) fonde bien son intolérance sur quelque chose, qui là encore reste enfoui en lui-même. Autres exemples d’isolement : le vieux comédien moqué par les élèves (Michel Galabru, recruté en l’absence de Jean-Pierre Marielle, l’acteur fétiche de Séria qui était malade) ou encore Saucisse, de toute évidence privé d’avenir, incapable de se faire respecter, brimé par ses élèves et regardé de haut par ses collègues, qui inspire la pitié et ne se confie à personne. Qu’un tel personnage, secondaire, soit décrit ainsi et que son sort ne connaisse aucune évolution au cours du film est assez révélateur de la façon qu’a Séria d’instaurer cette mélancolie mentionnée. Cependant, le personnage le plus introverti et mystérieux de l’affaire reste Mumu elle-même. Jugée cinglée, en proie à des crises nées de l’incapacité de ses élèves à connaître ce qu’elle cherche à leur faire apprendre ou de leur manque de discipline, capable d’avoir recours à la violence physique y compris contre Saucisse et le curé, Séria ne donne pourtant aucun début d’explication sur son comportement, pas plus qu’il n’évoque son passé là encore tu en elle-même. Seule une scène nous la présente en dehors du cadre scolaire : elle fait la lecture à un aveugle (joué par Antoine De Caunes) et partage avec lui son goût pour la musique classique, sans que leur relation ne semble aller au delà que le partage d’une certaine détresse. Ils ne s’unissent pas. Elle aussi est de toute évidence tourmentée. Elle aussi est d’une solitude forcenée, et c’est probablement ce qui la rapproche de l’aveugle, et de Roger. En un sens, comme son élève, elle n’a d’autre horizon que le pensionnat. Pourtant, leur rapprochement ne saute pas aux yeux, et la relation prof-élève n’a rien de celle qui caractérise la série L’Instit avec Gérard Klein. Il n’y a pas de grande confession ni de grand combat : dans cette société, chacun se débrouille avec son impasse personnelle. Telle est la philosophie inhérente à cette époque où la privation concerne aussi bien l’aspect matériel de la vie que son aspect relationnel. Le cadre de vie est rigide, les interdits (et pas du point de vue de la loi) sont nombreux. Alors de temps à autres, les crises s’expriment : elles prennent la forme de l’épanchement chez Roger, et des crises de violence chez Mumu. Le tout est de savoir quand l’ampleur d’une crise ira jusqu’au point de non-retour, tout le monde étant finalement proche du précipice, sans que personne ne semble le remarquer ou s’en émouvoir. Si ce n’est Mumu pour Roger, mais les deux sont bien trop dominés par la pudeur plombante environnante pour se l’avouer sans équivoque.

Guère joyeux que ce retour de Joël Séria aux affaires. Au-delà de son côté historique et personnel, Mumu entérine la rupture qu’a connu le réalisateur et qui s’était exprimé par sa longue et éloquente absence. Après un film aussi sombre, et même si par les bêtises de Roger on retrouve son goût pour la provocation, on l’imagine mal pouvant revenir un jour à ce qui a fait naguère son succès. En ces temps où les comédies françaises veulent se comparer au style anglo-saxon ou font de la vulgarité un fond de commerce (Séria en faisait tout un art : voir le final des Galettes de Pont-Aven), le constat est bien triste, à l’image d’un film bien conçu, bien pensé, mais finalement trop froid ou trop désabusé -à l’inverse de Mais ne nous délivrez pas du mal, tout aussi sombre mais d’une force autrement plus affirmée- pour se donner la peine d’accéder à la postérité.

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