Mon nom est Personne – Tonino Valerii
Il mio nome è nessuno. 1973Origine : Italie / France / R.F.A.
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Vers le milieu des années 70, le western était un genre qui allait déjà sur sa fin. Les classiques de la décennie précédentes, signés notamment Sergio Leone (encore qu’il ne faille pas oublier ses collègues, qui eux aussi signèrent d’excellents films, même si moins connus du grand-public) étaient déjà loin, et les westerns à tendances comiques avaient pris le dessus. Mauvais signe pour un genre cinématographique… C’est dans ce contexte que Leone eut l’idée de produire un script signé d’Ernesto Gastaldi, prolifique et talentueux scénariste ayant déjà pas mal bourlingué dans le milieu du western. La réalisation fut quant à elle confiée à Tonino Valerii, assistant réalisateur sur Pour une poignée de dollars et sur Et pour quelques dollars de plus, et la musique à Ennio Morricone, qui reprend et réarrange certains thèmes de ces précédentes partitions pour Leone, notamment celui d’Il était une fois dans l’ouest… Chose normale, vu l’ambition du film.
L’histoire de Mon nom est Personne ne raconte rien d’autre que les derniers jours dans l’Ouest de Jack Beauregard, une légende aux nombreux faits d’armes, qui se voit poussé à la retraite par un fantasque mais très habile inconnu, qui dit n’être personne…
Dans le rôle de Jack, on aurait bien entendu pu voir Clint Eastwood, mais le rôle incomba à Henry Fonda. Un choix qui se révèlera tout de même très judicieux, d’autant plus qu’il s’agit ici du dernier rôle principal de l’acteur dans un genre qui a profondément marqué sa carrière. Et puis disons tout de suite que certaines de ses mimiques faciales (son regard principalement) évoquent tout de même le grand Clint.
Face à lui, l’inconnu qui se fait remarquer par ses pitreries n’est autre que Mario Girotti, mieux connu sous le nom de Terence Hill. Un choix on ne peut plus logique, puisque le bonhomme était un des piliers du western comique, notamment pour ses célèbres collaborations avec Bud Spencer.
Ensemble, les personnages de Fonda et de Hill vont donc représenter la fin du western tel qu’il était perçu par Leone et par les élèves de celui-ci (ce n’est pas pour rien que le film fut confié à Tonino Valerii). Si Jack Beauregard se révèlera discret, proche de la retraite, c’est pour mieux marquer la fin de ces héros du western de la décennie précédente. Discret mais pourtant pas grabataire, car son habilité avec les armes reste intacte, comme le prouveront quelques scènes, dont celle qui l’oppose au début à l’inconnu. Son aura n’est donc nullement atteinte, et il reste cette légende de l’Ouest qui a précipité la venue de l’inconnu, de “personne”, venu prendre la place de son plus âgé confrère, qu’il poussera à entrer dans l’histoire en organisant pour lui quelques derniers barouds d’honneur qu’il serait inutile de révéler, tant leur utilité est mince, si ce n’est pour une scène, mythique, celle de l’attaque de la horde sauvage, impressionnante de bout en bout et qui aurait aussi bien pu avoir été réalisée par Leone (par ailleurs déjà réalisateur de quelques scènes du film, notamment -et c’est plutôt une surprise- celles des gaudrioles de Terence Hill). Et puis il y a aussi une autre référence à Peckinpah, dans un désert où se trouve une tombe portant son nom, peut-être également symbole de la fin du western américain comme le concevait le grand Sam: sec et violent.
Mais en règle générale, et en dépit du fait que le film fut tourné aux Etats-Unis et non à Almeria, la portée de Mon nom est Personne concerne le western spaghetti et le passage de relais des vieux héros aux jeunes, qui apportent un ton résolument comique. C’est ainsi qu’avec le personnage interpreté par Terence Hill, l’humour se fera omniprésent, embrayant directement sur la légendaire rapidité des héros de l’Ouest pour donner un personnage plus que rapide, du style Flash. Une rapidité qui sera également utilisée pour des scènes de baffes, traditionnelles marques de fabrique des films avec Terence Hill et Bud Spencer. Pourtant, ce style comique n’est pas né de rien, comme le prouve la très léonienne entame du film, où, chez le barbier, Jack Beauregard pointe de son flingue l’entrejambe du bandit qui a pris la place du barbier et le contraint à lui couper la barbe. Une scène qui en elle porte déjà un ton légèrement ironique, certes loin des délires de Terence Hill, mais pourtant pas dénuée de tout esprit comique, tout comme n’en étaient pas dénués les films de Leone. C’est ainsi que le passage générationnel s’effectue dans une transition logique, et non fortuitement. Une transition qui sous le scénario d’Ernesto Gastaldi est également symbolisée par un changement de siècle, puisque l’intrigue se déroule en l’année 1899, et annonce autant la fin d’une époque que celle d’un certain type de personnage. Le vieux dix-neuvième siècle (comprendre les années 60) est remplacé par le nouveau vingtième (les années 70), où tout diffère, où “les colts ne sont plus suffisants pour résoudre les conflits”. Jack Beauregard, qui comme on peut l’imaginer fut lui aussi autrefois un homme sans nom (comme les personnages joués par Clint Eastwood dans les westerns de Leone) a désormais un nom. Conséquence logique de sa légende. Quant au nouveau venu, lui, il n’est encore personne, mais il sera quelqu’un…
Bien entendu, il va sans dire qu’un tel sujet est empreint d’une certaine dose de nostalgie, qui parvient à dominer l’ensemble en dépit des scènes ouvertement comiques, lesquelles sont d’ailleurs parfois assez lourdes (les grimaces de Hill, la scène des chiottes), parfois bien vu (tout le jeu de miroir dans la maison hantée d’une fête foraine), mais toujours basée sur l’exagération. Chose qui passe plutôt bien, tant le propos du film les utilise de façon pertinente. En sachant détourner les défauts des westerns comiques pour les lier aux westerns spaghettis classiques dans une très classieuse analyse du genre, Tonino Valerii (rendons au réalisateur ce qui lui appartient) livre sans aucun doute l’un des tous meilleurs westerns spaghettis. Vingt ans avant le prodigieux Impitoyable de Clint Eastwood, les Italiens avaient eux aussi donné leur propre conclusion à la mythique décennie que constituèrent les années 60 en ce qui concerne le genre western.