Mannequin le jour – Christian Duguay
Model by Day. 1993Origine : États-Unis
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Alors qu’elle est partie pour une séance de photos en milieu exotique, la mannequin Lex apprend que Jae, sa colocataire, a été victime d’une agression. Hospitalisée, elle risque de devenir borgne. Repartie vite fait à la maison, Lex constate l’inaction de la police et, forte d’une formation d’arts martiaux, décide de se faire justicière nocturne. Les vilains n’ont qu’à bien se tenir ! L’un d’eux est retrouvé mort, ce qui attire l’attention de l’inspecteur Walker, bien décidé à retrouver cette vigilante baptisée Lady X par la presse. Il va s’avérer que Lex a fait des émules.
Difficile de se faire un nom lorsqu’on vient de l’étranger et que l’on est issu du mannequinat, un milieu pas forcément connu pour être une pépinière de talents au cinéma. Du coup les actrices, encore plus que les acteurs, moins employés, sont souvent embauchées pour des rôles mettant en avant leur physique. Ce qui fait d’elles des starlettes dont la longévité à l’écran ne va souvent pas bien loin. Même les Cindy Crawford, les Claudia Schiffer, les Naomi Campbell, bref les grands noms des podiums n’ont pas été bien loin et ont certainement pâti d’une trop grande renommée acquise comme modèles. La célébrité était déjà là, mais elle n’a pas pu tenir la route au cinéma. D’autres se sont accrochées, et quelques unes sont devenues des stars, ou ont au moins réussi à s’attirer des louanges : Lauren Bacall et Marilyn Monroe principalement, et dans une moindre mesure une Jessica Lange ou une Jennifer Connelly, qui ont su s’imposer dans les grosses productions comme dans les bêtes de festival. Enfin, il y a le profil des ex-mannequins de moindre célébrité qui sans être devenues des vedettes du grand écran ont connu une carrière honnête, souvent associée à la série B et occasionnellement dans des productions de plus grande envergure. C’est le cas de Famke Janssen, qui avant les X-Men s’est fait connaître par son rôle de James Bond Girl dans GoldenEye où elle campait une femme fatale mangeuse d’hommes. Un rôle qu’elle doit il y a fort à parier à ce Mannequin le jour, une de ses premières apparitions à l’écran, en l’occurrence le petit où elle fourbissait ses premières armes.
Dans ce téléfilm destiné au réseau de la Fox et signé Christian Duguay (Scanners 2 et 3, un peu plus tard Planète hurlante), elle tient son premier rôle principal. Un rôle de mannequin émule de Charles Bronson qui lui permet de faire la transition entre son ancienne activité et sa nouvelle mais qui souffre tout de même énormément de ce fameux syndrome de “belle plante” inévitable pour les anciennes top modèles reconverties. Car Lady X n’est pas du style à tirer discrètement sur des malotrus : elle distribue les coups de tatanes avec la grâce d’une karatéka toute de cuir vêtue. Un beau cuir de vachette violet, qui la laisse assez dénudée exception faite de la tête (superbe masque à la Bioman avec des lunettes de ski), puisqu’il faut bien qu’elle agisse masquée vu que sa trombine se trouve sur les couvertures de magazines et sur les panneaux d’affichage. La qualité des arts martiaux peut prêter à débat -quand bien même Janssen serait doublée pour les mouvements les plus périlleux-, mais l’objectif de Duguay n’a clairement pas été de façonner la relève de Bruce Lee. Il filme ostensiblement son héroïne dans le but d’appuyer sur son côté sexy, et il s’agit pour elle de prendre la pose plus que de se battre efficacement. Il est vrai qu’elle est bien aidée par des adversaires qui, quand ils ne sont pas subjugués par leur assaillante, sont à peine capables de lever la patte (ou ils la lèvent trop longtemps, tel ce gus qui voulait la narguer en lui foutant son pied sous le nez et qui se retrouve menotté à la cheville). Bien entendu, cette mise en scène va de paire avec la personnalité de Lady X, qui ne se prive pas de narguer les hommes avec des répliques bien senties destinées à titiller leur libido et à les tourner en ridicule. Et ce qu’il y a de bien avec Lady X, c’est que même sans son costume de justicière, elle reste la même, et Christian Duguay garde les mêmes intentions. Les séances de photo remplacent les poses de karatéka, les petites tenues remplacent la combinaison en cuir (et les collègues de Lex permettent de multiplier le nombre de femmes peu vêtues, voire nues), mais le personnage reste inchangé : toujours aussi mordante avec les hommes, un peu tête brulée sur les bords et même parfois violente. Il n’y a ainsi pas vraiment de rupture, et cela évite aussi de donner des allures de super-héros à une héroïne qui est plus proche de la Catherine Tramell de Basic Instinct (scène d’interrogatoire à l’appui, qu’elle entame en précisant qu’elle porte une culotte !) que de la Catwoman de Batman le défi.
Reste désormais à évoquer le scénario, ou plutôt la justification qui permet au réalisateur d’aller d’un décor à un autre. Si l’entame du film laisse bien suggérer que nous serons face à une logique semblable à celle d’Un justicier dans la ville à base de ville gangrenée par le crime et de flics dépassés, l’illusion ne fait pas long feu. Ceux qui veulent assister au premier polar sécuritaire féministe d’extrême-droite en seront pour leurs frais. La rencontre entre Lex et l’inspecteur Walker, lorsque ce dernier se plaint du nombre de dossiers en souffrance et juge qu’il ne faut pas mettre les pieds dans certains coins de la ville ne préfigure en fait que le tournant amoureux qui finira par unir la justicière en colère et le flic désabusé, le second faisant mine de fermer les yeux sur les activités de vigilante de sa jolie citoyenne, tandis que cette dernière sera probablement séduite par la timidité de ce mâle qui lui laisserait sans nul doute porter la culotte. D’une course poursuite en voiture à l’interrogatoire, de la fois où elle force son chemin jusqu’à lui en plein commissariat jusqu’à celle où elle lui évite de se faire jeter du studio où elle posait pour des photos, c’est clairement elle qui mène le jeu. Et elle s’en amuse jusqu’à faire preuve de compassion pour lui, ce qui réduit le côté purement sécuritaire du film en donnant à Lex un aspect un peu moins “dur” au profit d’un humour féministe qui se retrouve jusque dans l’intimité d’une conversation privée. De même, le coup de la bonne copine agressée peine à être autre chose qu’un point de départ : la victime, que l’on ne reverra plus guère par la suite, n’est caractérisée que par son œil amoché risquant de nuire à sa propre carrière de mannequin.
Duguay ne cherche aucunement à articuler les sentiments de pitié et de colère, alors que c’était l’un des moteurs de la série créée par le pamphlétaire Michael Winner. Les méchants en eux-mêmes se font plutôt discrets : une bande de voleurs de voitures et de dragueurs insistants, le tout sous la coupe d’une organisation de la mafia russe qui se retrouve impliquée là dedans à force de voir ses hommes mis à mal par Lady X. Cette mafia n’est clairement qu’un passe-partout scénaristique destiné à donner une ligne de mire à cette justicière qui autrement, sans personnification du mal, pourrait enchaîner les virées nocturnes ad vitam æternam. Bref, nous sommes loin des drogués et désœuvrés imprévisibles qui rendaient les films de Michael Winner si malsains. Du reste, plutôt que d’errer dans les bas-fonds, Duguay préfère traîner dans les milieux en vogue dotés d’éclairages colorés (sans parler du montage avec ses fondus au bleu) donnant l’impression que Lady X est bel et bien dans son jardin plutôt que dans un cloaque de non-droit. Tout ceci aseptise grandement le discours sécuritaire que Duguay repousse même de vive voix par la bouche d’un personnage, celui du mentor de Lex qui en bon sage oriental qu’il n’est pas mais qu’il aurait aimé être (à défaut d’être un vieux maître asiatique, il est en fauteuil roulant) condamne la croisade de sa protégée qu’il met en garde contre la sensation faussement apaisante de la vengeance et contre le fait de se laisser bouffer par ses sentiments. Et au final, sa leçon sera vérifiée. Un peu stéréotypé il va sans dire, mais en harmonie avec un film qui aime à se vautrer dans la facilité avec un certain humour.
A force de déconstruire aussi grossièrement les ingrédients du polar sécuritaire politiquement engagé au profit d’une certaine forme d’exploitation elle-même très peu discrète -le costume de Lady X, quel accoutrement quand même !-, Christian Duguay finit par amuser la galerie. Mannequin le jour est vraiment crétin, mais au moins il s’assume comme tel. Du coup, on ne peut pas vraiment lui en vouloir, surtout qu’il faut bien admettre que la jeune Famke Janssen est effectivement sculpturale. Alors quitte à la mettre sur le devant de la scène, autant jouer la carte de la bêtise plutôt que d’aller inventer des subterfuges qui ne tromperaient personne et risqueraient de devenir vite lassant, surtout à une époque où les productions télévisuelles n’étaient pas aussi libres de ton que maintenant.