CinémaWestern

Mannaja, l’homme à la hache – Sergio Martino

mannaja

Mannaja. 1977

Origine : Italie 
Genre : Western 
Réalisation : Sergio Martino 
Avec : Maurizio Merli, John Steiner, Philippe Leroy, Martine Brochard…

De tous les genres ayant été à la mode durant l’âge d’or du cinéma d’exploitation italien (de la fin des années 50 au début des années 80), le western spaghetti est celui qui aura eut la vie la plus longue. Parti en fanfare en 1964 avec Pour une poignée de dollars de Leone, il atteint son apogée créatrice à la fin de la même décennie, avant de s’ouvrir de plus en plus à la comédie jusqu’à ce qu’en 1973 Sergio Leone, en produisant Mon Nom est Personne de Tonino Valerii, ne souhaite mettre un terme au genre qu’il avait popularisé. Pour autant, quelques braves résistants se montrent persévérants, et le western spaghetti n’en finit plus d’agoniser, n’accouchant que trop rarement de films dignes de succéder à ceux de Leone, Corbucci, Sollima et compagnie. Une des réussites intervient en 1976, lorsque le Keoma de Castellari parvient à marquer les esprits par son côté crépusculaire hérité et amplifié du Django de Corbucci. Il est suivi presque immédiatement de Mannaja, l’homme à la hache, son petit frère moins connu et pourtant signé d’un des réalisateurs italiens les plus renommés : Sergio Martino. Celui-ci avait déjà réalisé un western, Arizona Colt se déchaîne, en 1970. Entre ses deux seules incursions dans le genre, il se sera fait connaître grâce à quelques bons ou excellents gialli. Son retour dans le western au moment même où celui-ci est en passe d’être définitivement passé de mode, et où lui s’est fait un nom dans un autre domaine, est donc des plus surprenants. Le choix de son acteur principal l’est tout autant : Maurizio Merli, connu pour ses polars violents et qui en guise de western n’avait fait que de la figuration dans l’obscur Due rrringos nel Texas dix ans auparavant. Délaissant l’asphalte et les voitures, le voilà avec une barbe, plongé dans un crasseux manteau en peau de bison. Copie presque conforme de Keoma, il est Mannaja, plus connu sous le nom de Blade (“la lame”) en raison de son habileté au maniement de la hache. Chasseur de primes, Blade vient dans la cité minière de Suttonville, là où le vieil infirme McGowan (Philippe Leroy, lui aussi plus habitué aux polars) contrôle tout avec l’aide de son lieutenant Voller (John Steiner). Bien qu’il n’y soit pas le bienvenu, Blade s’incruste en compagnie d’une troupe de cabaret qu’il entend protéger de l’interdiction d’exercer qui leur ait faite. Il semble avoir un vieux compte à régler avec McGowan.

Western très sombre tout comme Keoma (dont l’intrigue est fort proche de la sienne), Mannaja fait la part belle à l’ambiance putrescente d’un monde en pleine décomposition sociale et morale. McGowan, l’inévitable figure de coercition commune à d’innombrables westerns, est à la tête d’un empire financier déclinant, qui ne tient qu’à l’aide de procédés réactionnaires et violents. Les ouvriers des mines sont traités comme du bétail, les spectacles de saloon sont interdits pour ne pas que la population ait la tête ailleurs et les diligences transférant les marchandises sont très souvent attaquées, mettant en péril la situation financière du despote local. Même physiquement, McGowan est au bout du rouleau et dans son fauteuil roulant il n’est plus à même de diriger la cité. Il doit alors déléguer ses tâches à Voller, son bras droit. Mais, symbole de la sinistrose ambiante, les liens humains reposent eux-mêmes sur une très grande fragilité, et en ces temps troublés il est bien difficile de faire confiance à qui que ce soit. Mannaja est un film de trahisons et son récit s’articule autant autour des coups portés aux corps qu’à ceux portés à l’esprit. La solitude dans laquelle sont plongés parfois violemment les personnages (par les trahisons ou par la perte d’un être cher) va de pair avec des personnages résignés à leur propre déchéance. Ni l’amitié, ni l’amour, ni même l’espoir ne peuvent naître dans un tel milieu n’offrant aucune perspective d’avenir. Aveuglé par ses succès irrémédiablement passés, McGowan se fourvoie lourdement en s’accrochant à son empire, croyant en des lendemains qui chanteront grâce à la confiance accordée à sa fille ainsi qu’à Voller, tous deux aussi pourris que lui-même. Les ouvriers ont beau se révolter héroïquement, ils ne trouveront que la mort. La modeste troupe d’artistes amenée par Blade ne pourra elle aussi que pleurer ses morts… La liste pourrait continuer sur chacun des personnages importants de l’intrigue. Les “gentils” autant que les “méchants” font face aux désillusions. Blade lui-même n’est pas à l’abri de la déception : trahison et mort seront son pain quotidien à lui aussi, sorte de cavalier de l’apocalypse sorti de nulle part pour achever Suttonville et qui tente parfois de s’affranchir de sa mission fataliste en se fourvoyant dans des sentiments humains et dans des enjeux sociaux (défendre les mineurs). Il se heurte lui aussi à l’échec et à la douleur. D’ailleurs c’est bien malgré lui qu’il devient le bourreau d’un monde. Toujours profondément humain, il est revenu pour venger son père, spolié de ses terres et assassiné par McGowan sous ses yeux, alors qu’il n’était encore qu’un enfant (des séquences bien entendu sous forme de flash-backs faussement mystérieux, preuve de la bienveillance accordée par Martino aux clichés du western spaghetti). Sa vengeance personnelle perd de sa saveur au fur et à mesure des évènements, jusqu’à ce que Blade se rende compte que le destin est passé avant lui et s’est révélé bien plus cruel envers McGowan. Dès lors, Blade se traîne en boulet, élément déclencheur d’une apocalypse imminente que ses ennemis autant que ses amis tentent vainement de combattre. Maurizio Merli se montre même assez mou et n’est pas aussi convaincant qu’un Franco Nero dont le registre est plus étendu (ce qui ne retire rien au Merli ultra-violent et gueulard des polars).

Mannaja est donc bien le (petit) frère de Keoma. Comme lui, il utilise aussi la pluie et la boue comme éléments constitutifs d’une atmosphère de pourriture, accompagnant harmonieusement la teneur du scénario. Avec sa saleté, avec cet instrument primitif et sauvage qu’est la hache, Blade semble être la personnification de cette atmosphère de mort généré par une terre autrefois boisée et luxuriante (le film distille quelques relents écologistes). A travers lui, c’est quelque part la nature qui se venge d’avoir été détruite par McGowan. Sergio Martino, en esthète du giallo, prend un malin plaisir à créer cette esthétique sale propice à la misère. Ainsi couvre-t-il la pauvreté de ses décors (le film fut tourné en Italie et non à Almeria, sans fonds espagnols) d’une brume très dense aux coloris sinistres : un jaune pisseux, un bleu délavé, un vert aux relents “caca d’oie”… Cela confère au film un certain surréalisme, entretenu par quelques références très proches du fantastique (les deux cerbères qui accompagnent Voller). A plusieurs occasions, Mannaja se rapproche d’une des meilleures scènes de Torso, giallo dans lequel une fille se traînait dans la boue tandis qu’un tueur la suivait dans la brume du petit matin. Martino joue beaucoup sur la vision de ses personnages, et ses duels dans la brume sont des façons particulièrement habiles de redorer un style de scènes se contentant trop souvent de loucher du côté de Sergio Leone. Il pousse d’ailleurs le concept jusqu’à rendre Blade temporairement aveugle et à le cloîtrer dans une grotte humide, elle aussi colorée avec ces teintes jaunâtres et verdâtres, où il devra affronter dans l’obscurité des hommes à ses trousses. De là ne peut surgir que la mort, d’autant plus qu’il s’agit d’une des dernières scènes du film. La musique des frères De Angelis, à la limite de l’auto-plagiat de celle qu’ils avaient composé pour Keoma (suppliques d’un chanteur à la voix extrêmement grave, harmonica…) entretient la noirceur véhiculée par un Martino usant d’une mise en scène contemplative (tellement qu’il utilise les mêmes ralentis que Castellari dans Keoma -en moins accentués-) pour mieux retranscrire le manque de vitalité des hommes et de leur environnement. Quiconque aime Keoma a décidément de forte chance d’apprécier Mannaja.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.