Magie noire – Juan Piquer Simon
La Mansión de los Cthulhu. 1990Origine : Espagne / Royaume-Uni
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Alors qu’ils négocient de la cocaïne à l’abri des regards dans un train fantôme, deux truands se disputent. Hawk (Brad Fisher) poignarde son dealer, s’empare de la poudre et rejoint ses trois compères. Le quatrième, Chris, est quant à lui sur le parking, à les attendre dans une voiture volée. Un peu con (il avait mis la radio à fond, le sot), il se fait remarquer par un policier et trouve le moyen de se prendre une balle dans la jambe avant que ses amis n’immobilisent l’agent. Pour ne pas se faire prendre, Hawk et ses compères se dissimulent dans la voiture de l’illusionniste Chandu (Frank Finlay) et de ses deux assistants (dont Lisa, sa fille, jouée par Marcia Layton). Sous la menace d’un flingue, les bandits s’invitent au manoir de Chandu, où ils prennent leurs aises en attendant que Chris récupère de l’opération de fortune pratiquée par leur hôte. Ils prennent tellement leurs aises qu’ils vont libérer les esprits démoniaques naguère invoqués par Chandu et actuellement maintenus au frais dans la cave.
Et dire que Magie noire est censé être “basé sur les écrits de H.P. Lovecraft”… Elle est bien bonne, celle-là ! Avant même d’avoir visionné la première minute du film, l’idée que Juan Piquer Simón puisse reproduire à l’écran le style de Lovecraft (exercice d’une difficulté excessive, beaucoup s’y sont déjà risqués sans succès) laisse aussi perplexe que d’entendre que Terry Gilliam relance le chantier de Don Quixote. Juan Piquer Simón, c’est un super héros en collant, ce sont des dinosaures en plastique, c’est un sadique à la tronçonneuse, ce sont des limaces anthropophages… Bref, c’est tout sauf un réalisateur apte à retranscrire “l’indicible” lovecraftien avec à-propos. Une fois démarré, son film vient confirmer l’impossibilité du réalisateur à mener à bien ce défi, ne serait-ce qu’en se contentant de laisser les spectateurs dans le flou sur l’œuvre précise de Lovecraft sur laquelle se base Magie noire (ce sont bien “sur les écrits de…”). Il n’est pas peu dire que Hawk et sa bande, c’est à dire les méchants du film, sont l’antithèse des personnages démoniaques de H.P. Lovecraft. Non seulement ils n’entretiennent aucun lien avec l’occulte, non seulement sont-ils d’une exubérance incompatible avec la discrétion des sorciers de Lovecraft, mais en plus ils brillent par leur insignifiance au point que l’on pourrait très bien leur accrocher une pancarte “méchants de série B” autour du cou. Ce sont cinq minables, trois garçons et deux filles dont les interprètes ont probablement été recrutés dans des listes d’attente de sitcoms (sauf peut-être Melanie Shatner, qui a dû bénéficier de la notoriété de son père William). Ils ont des blousons en cuir, ils sont vulgaires, ils aiment l’argent, la drogue et le sexe, ils sont cons comme des ballons, ils gueulent comme des putois et ils essaient de se faire passer pour des gros durs. Chaque bravade accentuant toujours un peu plus le ridicule de ces bandits de pacotilles (on retiendra le brillant sens de la répartie de Hawk : “J’ai un compte à la banque Cran d’arrêt, connard et v’là le premier versement !” dit-il, fier comme un coq au moment de poignarder son dealer). On ne sait même plus si c’est eux qui échouent à se faire passer pour des gros durs, ou bien si c’est Juan Piquer Simón qui échoue à les faire passer comme tels. Bref, niveau charisme autant que niveau Lovecraft, on repassera. Peut-être côté Chandu, alors ? Après tout, c’est lui le magicien, c’est lui qui est joué par un acteur connu (faisant un peu n’importe quoi de sa carrière, d’ailleurs), et même si il est le “gentil” il a tout de même fricoté avec les forces du mal qui vont être à nouveau à l’œuvre. Hélas, là encore le réalisateur prend ses distances avec Lovecraft. Celui-ci n’aurait jamais éventé tout le mystère autour de son principal personnage dès le début de ses nouvelles. Il aurait eut recours à une mise en bouche de quelques lignes nous dévoilant un personnage au bord du chaos, mais rien n’aurait été dit aussi tôt sur ce dont il fut victime. C’est pourtant ce que fait Simón. Première scène du film : l’ancienne assistante de Chandu grille pendant une représentation sous un pentacle. Générique : lardé d’un flash-back en noir et blanc nous montrant Chandu et cette ex assistante (en fait sa femme Lenore) découvrant un livre appelé “Cthulhu”. A la limite, il aurait été plus lovecraftien de faire tourner le film autour de cette mort, puisqu’à partir de cette introduction, il n’y a plus aucun suspense sur les évènements qui se produiront au manoir. La façon dont les démons reviennent importe peu, et Simón n’est d’ailleurs pas très clair à ce sujet. Il nous montre d’abord un des hommes de Hawk ouvrir une porte maudite à la cave, puis ensuite Chandu lire son exemplaire de “Cthulhu” (pourquoi ce nom et pas “Necronomicon”, mystère). Toujours est-il que le mal finit enfin par arriver. Après trois quarts d’heure de parlottes pendant lesquelles Hawk et sa bande auront fait les pitres en séquestrant Chandu et sa fille (l’autre assistant est mort), mais Magie noire passe enfin aux choses sérieuses.
Si il n’y a rien de lovecraftien, au moins avons-nous l’espoir d’assister à un film d’horreur généreux, un peu à la manière de Re-Animator, qui lui aussi avait pris ses distances avec l’écrivain, pour un résultat exceptionnel. Ne comptant pas dans ses rangs de personnages tels qu’Herbert West, ayant déjà perdu pas mal de temps en exposition futile, Magie noire ne sera pas exceptionnel, c’est sûr. Mais Juan Piquer Simón s’est fait une spécialité de parvenir à transcender ses scénarios pourris par une conception très spectaculaire de l’horreur. Son Sadique à la tronçonneuse est un modèle de gore con mais jubilatoire. Même chose pour Mutations. Magie noire aurait pu l’être aussi. Malheureusement, nous sommes loin du compte. Peut-être paralysé par le nom de Lovecraft, le réalisateur compte cette fois-ci rester sérieux. Il n’envisage pas ses démons et leurs manifestations comme des émanations grands guignols, mais bien comme des entités surnaturelles qui tout en faisant officiellement le mal vengent en fait Chandu et sa fille de l’assaut de Hawk et sa bande. Ce qui est une vision du mal pour le moins hypocrite. Mais le pire est que Simón applique son sérieux et sa morale à une vaste reprise d’Evil Dead, film pourtant grand guignol qu’il aurait dû très bien cerner. Des personnes coincées dans une maison qui ne les laisse pas partir, un vieux grimoire maléfique, une cave lugubre, des démons qui prennent possession du corps de leur victime, tout évoque Evil Dead…sauf l’essentiel, c’est à dire le ton. Tout est aligné sans imagination, sans humour, sans rythme, conduisant le plus souvent au ridicule, comme par exemple lorsque la plante en pot agresse une jeune femme (la fille de William Shatner, pour être exact). Magie noire verse aussi dans le style “maison hantée”, et échoue tout autant à faire naître le moindre enthousiasme. Il faut dire que les meubles qui volent, les portes qui se ferment et les courants d’air soudain ne sont pas des choses très impressionnantes. Quant aux morts en elles-mêmes, si ce n’est peut-être pour ce pauvre bougre noyé par les flots de sang qui tombent de la douche, elles n’ont rien de bien palpitant. Ni gores, ni particulièrement méchantes. La pauvre fille qui se fait avaler par le frigo aurait probablement préféré mourir un peu plus dignement.
Voilà le genre de film destiné à être rapidement oublié, puisque ses qualités sont quasi inexistantes et que ses défauts sont bien trop banals pour rester en mémoire. L’ami Simón s’est pris les pieds dans le tapis. Ça arrive. Et ça ne retire rien au respect qu’on doit avoir pour cet artisan espagnol dévoué à la cause.